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• Animateur : Donc la Révolution n'a pas amélioré les choses, elle les aurait même dégradées. Comment réagirent les nouveaux régimes issus de la « rupture » révolutionnaire ?

• Historienne : Il y eut un véritable retour de bâton du pouvoir masculin. De nouveau, dans le mariage, la soumission de la femme fut juridiquement avancée comme un élément essentiel, obéissance « justifiée » par la tradition, par la nature et par la « raison ». Par sa docilité, la femme manifestait sa reconnaissance du « pouvoir qui la protège » (dans ce contexte, le mari agissait comme un proxénète, échangeant le fruit de son travail contre des prestations sexuelles, éventuellement en vue d'avoir des enfants) : elle se devait de « suivre » son mari, demander son autorisation pour témoigner en justice ou simplement pour travailler, ne pouvait plus gérer seule l'argent qu'elle avait gagné, ni acheter ni vendre des biens, et pour ce qui touche aux droits de succession, elle venait en dernier, derrière l'ensemble des héritiers (de fait, en cas de problème, c'était directement la rue). Dès lors, les mentalités conservatrices les plus traditionalistes retrouvèrent leur assurance et leur arrogance. De la totale soumission conjugale, il était temps de passer à l'assujettissement complet des femmes en leur imposant l'ignorance, seule cette dernière achevant de les enfermer dans une dépendance absolue et irréversible. C'était alors l'orientation générale de l'opinion qui allait marquer profondément le siècle qui s'installait. D'où ce constat brutal : la Révolution française n'a pas libéré la femme ! Et encore moins la prostituée !!! Même si la Révolution, le Directoire, l'Empire et la Restauration ne connurent guère de nouvelles mesures législatives, le Directoire, puis Napoléon (ainsi que l'ensemble des responsables européens), codifièrent l'organisation des maisons de tolérance. Si devoir vendre son corps est bien la pire des sujétions, pour saper le Code Napoléon, le phénomène de la prostitution et de la galanterie eut davantage d'efficacité pour la libération de la femme que l'intégration professionnelle réussie (même si le travail salarié fut un énorme levier d'indépendance pour les femmes, et, à terme, d'intégration dans la cité). Au début du XIXè siècle, pendant la période réglementariste, la prostitution n'était pas interdite, elle n'était que tolérée, d'où le nom d'établissements de tolérance. En effet, à cette époque, la société devint puritaine, la bourgeoisie installant son ordre moral. Le vocabulaire fut aseptisé, les gestes amoureux déplacés en public. On pratiquait l'acte sexuel dans le noir et souvent en restant habillé. Les prostituées étaient donc celles qui pratiquaient les caresses directes et les techniques buccales. La sexualité avait pour but - dans les liens du mariage - de procréer ; hors de ces liens, c'était une tolérance faite aux seuls hommes. Considérées comme vicieuses par nature, les filles publiques étaient étroitement surveillées et depuis 1802 devaient se faire inscrire et respecter un règlement (visites sanitaires d'aptitude, interdits touchant à la coiffure et à l'habillement, lieux et heures de racolage) pour pénétrer le monde officiel de la prostitution. Ce fut l'époque des maisons closes (opposées aux bordels beaucoup plus ouverts), appelées ainsi dans la seconde moitié du XIXè siècle car leurs fenêtres étaient souvent grillagées, fermées ou masquées pour empêcher les femmes de racoler en se penchant au dehors (la loi obligeait la façade de porter en gros caractère le numéro de la rue pour être clairement identifiable). Le XIXè siècle induisait en effet une certaine régularité de l'activité, une tarification des prestations, un anonymat relatif (en tout cas une absence de familiarité avec le client) et une surveillance policière et médicale doublée d'une dépendance économique et psychologique à l'égard de la tenancière de maison et/ou du proxénète. En découlait un statut officiel unique pour toutes les prostituées (celui de fille soumise) que ces dernières décident d'exercer leurs activités isolément (fille en carte) ou en maison (fille à numéro, la tenancière les inscrivant sur un registre) et des lieux de prostitution spécifiques (le bordel, le quartier réservé...), en un mot une économie du sexe financièrement rentable. Balzac disait d'ailleurs (dans la première moitié du XIXè siècle) à propos du Palais-Royal : « La poésie de ce terrible bazar éclatait à la tombée du jour. Dans toutes les rues adjacentes allaient et venaient un grand nombre de filles qui pouvaient s'y promener sans rétribution. De tous les points de Paris, les filles de joie accouraient « faire son Palais », décolletées jusqu'au milieu du dos et très bas aussi par-devant, portant leurs bizarres coiffures inventées pour attirer les regards. Ces femmes attiraient donc le soir aux galeries de bois une foule si considérable qu'on y marchait au pas, comme à la procession ou au bal masqué. Cette lenteur, qui ne gênait personne, servait à l'examen. C'était horrible et gai. La chair éclatante des épaules et des gorges étincelait au milieu des vêtements d'hommes presque toujours sombres et produisait les plus magnifiques oppositions. Les personnes comme il faut, les hommes les plus marquants y étaient coudoyés par des gens à figure patibulaire. Ces monstrueux assemblages avaient je ne sais quoi de piquant ; les hommes les plus insensibles étaient émus. Aussi tout Paris est-il venu là jusqu'au dernier moment ». Même si elles étaient considérées comme clairement dévoyées, les prostituées étaient aussi déclarées d'utilité publique. Ainsi, des filles s'exposaient dans les boutiques de gants, de cravates, de gravures et de photographies. Les « grisettes » (lingères, couturières, blanchisseuses, ...), victimes de l'insuffisance des salaires, étaient des « femmes d'attente » pour étudiants qui concubinaient avant le mariage. Vers 1860, les filles de brasserie s'installaient à la table des clients et les faisaient boire, puis les accompagnaient dans une arrière-salle. Les riches clients se rabattaient sur les « maisons de rendez-vous » où ils retrouvaient des femmes qui se prétendaient des bourgeoises honnêtes (épouses ou concubines insuffisamment entretenues, veuves désargentées, divorcées sans ressources ou jeunes filles sans dot). La fille entretenue (appelée « horizontale »), la femme galante et la prostituée de luxe ne représentaient aucun danger pour les classes dirigeantes auxquelles elles s'intégraient de fait, ainsi la police les laissait tranquille, craignant les réactions de leurs protecteurs. Mais le gros des effectifs de la prostitution était constitué des « insoumises », ces filles qui n'étaient pas inscrites ou avaient disparu des listes par refus de se présenter aux visites médicales, et leur nombre ne cessait de croître au fur et à mesure du développement des agglomérations (leur nombre aurait été multiplié par dix en un siècle). Elles déambulaient près des grands boulevards (« filles à partie »), à proximité des travaux de fortification et des anciens points d'octrois (« filles de barrière »), dans les fêtes foraines et les parcs (« filles à soldat »). Enfin, il existait les mineures, des fillettes entre 12 et 15 ans (les faux poids), recrutées par des camarades du même âge ou envoyées au bordel par leur propre famille (souvent par la mère ou d'autres femmes). A force de ne pas voir, les choses empirèrent. A partir du XIXè siècle, la police (mondaine ou non) prit le relais. La péripatéticienne concentra sur elle tous les contrôles, contrairement à son protecteur (du moment qu'il renseigne) et à ses clients (du moment qu'ils sont « respectables » - pour qui ? - et surtout discrets). Parallèlement à cela, après la guerre de 1870, les courtisanes recevaient à leur domicile et uniquement sur présentation. Les femmes organisaient alors des parties - « fines » - (dîners ou soirées qui pouvaient dégénérer) à la campagne ou dans des endroits retirés, réservées à des hommes fortunés. L'abolitionnisme, « croisade » d'origine protestante, occupa une place capitale dans l'histoire du féminisme. Ainsi, Josephine Butler (dont le célèbre texte, Une voix dans le désert, parut en 1875), déclencha une vaste campagne internationale contre « l'inique police des mœurs ». La « police des mœurs » illustrait ainsi la pérennité de pratiques qui remontaient à l'Ancien Régime (avec une lieutenance de police, créée en 1667 par Colbert, dont les pouvoirs sur les femmes de débauche perpétuaient ceux des prévôts de Paris), essentiellement avec des préoccupations d'ordre sanitaire. Ce XIXè siècle puritain, marqué par le sceau de la reconquête catholique, ne semble alors pas si éloigné des établissements d'Ancien régime : on y retrouve, en effet, le même souci de répression, par l'incarcération et la religion, des sexualités illégitimes et féminines. Considérées comme des « marginales », les prostituées étaient désormais traitées comme des « malades » qu'il fallait soigner. Le déterminisme, liant, dans un même mouvement, gènes et comportements, qui caractérisera la pensée de la fin du XIXè et du début du XXè siècle trouve, dès ce moment, ses racines profondes. La prostitution devait, comme les activités insalubres auxquelles on la comparait souvent, être réglementée, les préoccupations de voirie et d'hygiène s'accompagnant d'un souci moral et politique : le vice et la débauche des classes populaires (considérée, comme l'oisiveté, comme une menace de subversion de l'ordre social) devaient être contrôlés. Mais parce que ni le législateur ni la justice n'avaient jamais voulu se saisir d'une matière aussi délicate, ce fut à la police seule qu'était réservée la tâche ingrate et pénible de ces questions. Mais avec cette emprise, au lieu d'encourager les femmes inscrites à aller dans des maisons de tolérance (perçues comme des maisons d'abattage), la dureté du régime imposé aux filles en carte fit que le nombre des « disparues » (femmes inscrites qui ont manqué plusieurs visites sanitaires consécutives) augmenta largement (même si en parallèle un certain nombre de filles isolées se laissèrent emmener vers les maisons closes pour s'extirper des tracasseries incessantes de la police). Ainsi, la diminution de la prostitution close fut un phénomène irrémédiable depuis la fin du XIXè siècle, l'haussmannisation (ainsi que l'embourgeoisement des classes populaires et le développement des classes moyennes urbaines) ayant vu la prostituée sortir de la « maison » et des quartiers réservés pour s'offrir au centre des villes. Ces mutations du désir et de l'économie prostitutionnelle, la prolifération des insoumises qui y répondaient, accroissaient l'anxiété biologique qui accompagnait la révolution liée aux découvertes de Pasteur. Dans une fin de siècle obsédée par l'hygiène, l'idée de dégénérescence et le spectre de la dénatalité, les impératifs sanitaires nés du péril vénérien vinrent au secours d'une police des mœurs pourtant très critiquée pour ses pratiques et ses abus (la police Mondaine réglementait et surveillait les maisons de tolérance, terrain d'investigation propice à infiltrer le milieu, au risque parfois de succomber au charme ... de la corruption). Ainsi, Victor Hugo ne présente pas Fantine dans les Misérables comme une prostituée dangereuse pour la société, mais comme une victime de la dépravation et de l'hypocrisie bourgeoise ainsi que de la violence policière. Pour les socialistes, la famille bourgeoise, fondée sur l'accumulation et le transfert des biens par la dot et l'héritage, était le symbole même du système prostitutionnel ; la virginité et la fidélité, vertus exigées des filles et épouses de la bourgeoisie, étaient responsables de la frustration sexuelle des bourgeois qui allaient chercher auprès des ouvrières (dont le salariat était déjà une forme de prostitution) la satisfaction de leurs désirs et de leurs vices sexuels. On le voit bien d'ailleurs dans l'évolution des représentations de la poitrine des femmes, passant d'un sein nourricier à un sein érotique, alors que parallèlement à cela les épouses dans leur majorité n'avaient pas de plaisir sexuel, s'ennuyant, faisant tout pour éviter le rapport sexuel (une jeune fille bien ne parlait pas des attributs d'un homme, ce n'était pas possible). Mais l'origine véritable du fléau était une misère sexuelle générale, hommes et femmes confondus, qui touchait tous les milieux : de la jeune bourgeoise, sainte ou pouliche, dont le mari ne pouvait tirer qu'un plaisir honnête, aux célibataires qui, en ces temps de mariage tardif et de service militaire prolongé, ne pouvaient compter que sur l'amour vénal, en passant par les émigrés ruraux (et ceux d'Europe centrale et de Méditerranée) qui constituaient un prolétariat urbain majoritairement masculin et isolé, la prostitution apparaissait comme un mal nécessaire, discours qui fonde d'ailleurs le réglementarisme. Il fallait l'encadrer et la surveiller, mais certainement pas tenter de l'éradiquer, car c'était l'équilibre même de la société qui aurait été ébranlé par la disparition de « l'égout séminal » comme on disait ! Au-delà des conservatismes moraux et sociaux et des problèmes de natalité, ce furent bien les questions de santé publique qui inquiétaient dès les années 1870 : les abolitionnistes réclamèrent la fermeture des maisons, les prohibitionnistes exigèrent la répression de la débauche et des relations sexuelles hors mariage. Mais les députés et sénateurs répugnaient toujours à légiférer sur un sujet qui leur paraissait échapper aux lois de l'Histoire. Il faut d'ailleurs noter que le 16 février 1899 on retrouva à l'Élysée le président de la République Félix Faure mort dans les bras d'une admiratrice (on sut seulement dix ans après qu'il s'agissait d'une demi-mondaine dénommée Marguerite Steinheil, épouse d'un peintre en vogue - elle assassina plus tard son mari mais fut acquittée de ce crime). Avant de recevoir ses amies, Félix Faure avait coutume d'absorber une dragée Yse à base de phosphure de zinc. Ce médicament, le Viagra de l'époque, avait la vertu d'exciter les virilités défaillantes mais il avait aussi pour effet de bloquer la circulation rénale. Survolté par la prise médicamenteuse et l'ardeur de sa compagne, Félix Faure succomba non sans avoir arraché à celle-ci une touffe de cheveux ! L'aventure du président Félix Faure n'a guère scandalisé ses contemporains de la « Belle Époque », même si Georges Clemenceau eut ce bon mot : « Il a voulu vivre César, il est mort Pompée » ! Dans cette période qui précède la Grande Guerre de 14-18, les privilégiés donnaient libre cours à leur appétit de jouissance... peut-être pour mieux dissimuler leurs angoisses existentielles (ce fut l'une des rares époques où le taux de suicide des classes aisées se révéla supérieur à celui des classes inférieures). Le vieux Ferdinand de Lesseps (constructeur du canal de Suez), qui épousa à 64 ans une jeunette de 22 et lui fit 12 enfants, n'en continua pas moins de papillonner dans les maisons closes comme le voulaient les coutumes de l'époque (un policier affecté à sa surveillance rapporta sa visite à 3 jeunes prostituées, à 85 ans sonnés). Plutôt que de donner un cadre soit répressif soit libératoire créant une conscience sexuelle commune aux deux genres et à toutes les classes de la société, les parlementaires estimèrent qu'il fallait tolérer la prostitution tout en l'encadrant dans un but sanitaire, le reste n'étant que maintien de l'ordre et problème de voirie (cynisme sans égal de Gambetta : « La prostitution ? C'est une question de voirie ! ». Ainsi, en 1903, il y eut autorisation officielle du fonctionnement des « maisons de tolérance », sous le contrôle de la police, avec création du registre de police et de la carte délivrée aux personnes prostituées. Parallèlement à cela, pour lutter contre la « traite des blanches », les réglementaristes firent voter une loi condamnant le commerce des mineures et des majeures soumises à violence (la France approuva la Convention Internationale du 4 mai 1910 relative à la « traite des blanches » en 1912 et la Direction de la Police Judiciaire créa en 1913 la brigade des mœurs). C'est d'ailleurs à ce moment-là (en 1906) que l'on vit l'une des premières manifestations de femmes prostituées, qui se rebellaient dans les « maisons de correction » à Cadillac, Rouen et Limoges, après le vote de la loi du 22 avril modifiant l'âge de la majorité pénale, qui passait de 16 à 18 ans. Quoi qu'il en soit, au début du XXè siècle, les établissements de prostitution de luxe étaient très courus du Tout-Paris (des artistes aux hommes politiques en passant par les têtes - plus ou moins - couronnées, mais aussi des malfrats qui, l'Occupation venue, voisineront avec des officiers allemands), s'y montrer même sans « consommer » était du meilleur goût. Entre 14 heures et 5 heures du matin, une soixantaine de filles se succédaient pour contenter près de 300 clients... Cinq à six passes quotidiennes chacune, moins tout de même que les malheureuses qu'on prostituait dans les « maisons d'abattage ».

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