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Quelles que soient les traditions, le monde naît du divin ! Le hasard, s’il existe, part d’un dieu créateur et y ramène : souvent, celui-ci jaillit d’un œuf, forme parfaite symbole de l’unité génératrice et réservoir illimité des possibles. Le véritable commencement du monde s’identifie à l’acte qui transforme la matière primordiale en cosmos. La procédure suit trois modèles : le premier fait référence à la procréation, à la génération sexuée ; le deuxième met l’accent sur le savoir-faire artisanal ; le troisième fait appel à la thèse du pouvoir, créateur de la parole divine.
Les dieux créateurs des premiers âges donnent tous naissance à des monstres. Les récits fondateurs n’imaginent pas d’emblée un monde parfait, mais un Univers en gestation où les premières créatures, symboles des éléments naturels (l’eau, la terre, le feu, la sécheresse, le froid, etc.) sont des dragons immondes. Ces monstres, souvenir peut-être des gros lézards de la préhistoire (le serpent est l’une des figures les plus fréquentes, pouvant se déplacer sur terre comme sur l’eau et grimper, logeant également sous terre, donc en rapport avec toutes les grandes forces naturelles), se disputent et s’entredévorent sous le regard agacé de leurs géniteurs, eux-mêmes repoussants.
La vision des premiers âges est toujours violente : le choc des éléments est symbolisé par le combat des enfants des dieux créateurs. Ils se querellent tant et si bruyamment, que le père décide de s’en débarrasser (comme les humains avec le Déluge). Mais l’un des fils le tue : le meurtre familial est l’une des constantes des mythes fondateurs, pour que puissent commencer, après le temps des monstres, l’organisation du monde et l’âge des humains ! En tuant le père, propriétaire exclusif du harem, le fils permet aux membres de la tribu de se partager les femmes et assurer ainsi leur descendance. Après le meurtre, acte fondateur par excellence, le père devient totem et donc tabou : nul ne peut le toucher ! Ainsi naît la loi, à travers un événement traumatique, fondateur du mythe.
Violence sans fin ? Non, nouvelle étape. Si un fils peut supprimer un dieu créateur, c’est qu’il jouit d’une qualité nouvelle, indispensable à l’organisation du monde : l’intelligence ! Le fils criminel est ainsi le plus « sage », et le plus « capable ». Libérés des forces brutes, les dieux « sapiens » peuvent organiser le ciel et la terre et préparer la venue de l’humain. Ces conceptions véhiculent l’idée que le créateur et sa création partagent la même essence ! La création de l’humain est donc la marque de la naissance des dieux ! Cette dernière se fonde sur la division qui seule peut permettre l’établissement d’un ordre stable et définitif à partir d’un désordre qui confine à l’informe. Le monde naît ainsi de la tension entre l’unité et la division : sa mise en ordre peut soit aboutir à l’établissement d’un pouvoir qui se perpétue à l’aide de la violence et de la persuasion, soit elle est sans cesse remise en cause par un mouvement qui va de l’un au multiple et vice-versa. Souvent, les premières divinités naissant du chaos sont le résultat d’une reproduction non sexuée. Par la suite, lors du premier rapport sexuel créateur d’autres divinités, une forte proximité se crée : cette étreinte est beaucoup trop rapprochée, empêchant la venue au jour des enfants et arrêtant ainsi le processus de division en cours. Pour que ce processus reparte, il faut que le fils rompe l’union parentale par un acte d’une extrême violence, la castration du père, qui permettra l’établissement d’une bonne distance entre dieux et déesses : le masculin et le féminin sont alors bien définis ! Mais la distance instaurée risque de déclencher une réaction inverse (comme souvent, d’un extrême à l’autre), une séparation trop grande : lorsque le masculin et le féminin sont séparés, leur union devient en effet problématique. Un nouveau type de proximité entre les êtres est alors établi : au sexe vécu dans la violence va ainsi succéder l’Amour né de la persuasion ! Avec la castration, la sexualité n’est pas abolie (risquant alors d’entraîner la disparition de l’humanité), elle change d’allure ! Ce n’est plus la peur (souvent les hommes, ou les femmes, étaient échangés pour créer des réseaux d’alliance), mais le désir qui rapproche les sexes. De surcroît, dans le jeu du désir, les deux partenaires tiendront dans la relation amoureuse un rôle qui relèvera de leur initiative.

Dans un système fondé sur la concentration, la ville est un noyau humanisé, un paysage artificiel. Une ville est un lieu où les habitants se considèrent comme des citadins. Derrière la boutade, il y a une réalité. De grosses agglomérations paysannes ne sont pas des villes : une cité est caractérisée par la diversité sociale de ses habitants. Ces citadins, comme ceux qui, autour de la ville, assurent sa subsistance, instaurent entre eux des relations d’un type nouveau : la cité est la tête et le centre d’un nouveau système social. Le monde « civilisé » (en terme étymologique) ne peut fonctionner sans ces cités : la ville est un centre de relations et de décisions où se rencontrent les humains, où s’échangent les marchandises et où se diffusent les idées. C’est donc un système d’habitat particulier, concentré, qui permet à une société complexe de résoudre des problèmes spécifiques qui ne peuvent être réglés à l’échelon individuel ou familial. Les relations de dépendance personnelle apparaissent comme antérieures à l’état et jouent un rôle fondamental dans son émergence. Il y a une différence colossale entre un citadin-citoyen et un parent (dans le cadre d’une chefferie lignagère) : la relation seigneur-citoyen est une relation totale, non partagée. Les parents sont des partenaires, avec des droits et des devoirs réciproques, tandis que dans le cas du citoyen, tout est dans la main du seigneur.
La ville, avant d’être une forme d’habitat spécifique, est un lieu où se tissent entre les gens des relations particulières, directement liées à l’ampleur de la population qui y habite. Le corps social étant très vaste, des relations de voisinage s’ajoutent à celles, traditionnelles, de parenté et d’alliance (qui d’ailleurs se schématisent), et une part d’anonymat s’installe donc entre les gens. Surtout, l’ampleur de la population entraîne sa hiérarchisation, car l’appareil qui contrôle la société doit s’adapter à la nécessité de gérer des effectifs accrus. Une élite héréditaire s’est dégagée peu à peu de la masse, au point de constituer un groupe relativement à part, dominé par un personnage plus important que les autres, et que l’on appelle le seigneur.

Le temple, tel qu’on le connaît en Mésopotamie à l’époque historique, n’émerge qu’à Eridu (puis Uruk) dans le courant du -Vè millénaire. Il y eut certes des lieux de culte auparavant, mais, sous sa forme construite, le temple apparaît comme un phénomène strictement lié à la cité. En effet, Enki, le dieu d’Eridu, aurait apporté la civilisation à Sumer par le biais d’Adapa/Adamu : il servait fidèlement son dieu, qui l'avait créé pour qu'il soit capable de faire de nombreuses choses pour son plus grand plaisir et c’est lui qui introduisit les arts de la civilisation dans cette ville. Adapa est souvent désigné comme conseiller auprès de la mythique première royauté (« Après que la royauté fut descendue du ciel, Alulim devint roi, et il régna pendant 28 800 ans » : premier roi d’Eridu et premier roi de Sumer, il fut le premier roi du monde). En plus de ses fonctions de conseil, il a servi comme grand prêtre et exorciste, et après sa mort il prit sa place parmi les Sept Sages [apkallu : lié au chien, vient du sumérien Abgal (Ab = eau, Gal = grand homme)], bien qu’il brisa les ailes de Ninlil le Vent du Sud, qui avait renversé son bateau de pêche.

Au même moment, de vastes bâtiments émergent, parfois ornés de manière recherchée : l’art est devenu propagande, aux seules fins de pouvoir, non plus accessible au commun des mortels. A cette époque apparaissent définitivement des représentations humaines « enfin » réalistes : la révolution urbaine est une révolution humaniste en ce sens que l’humain, enfin reconnaissable (alors que la femme et son principe naturel reproducteur l’est plus ou moins depuis les Vénus préhistoriques de -35 000 environ, en Europe), s’assure dans le monde des représentations figurées la place éminente qu’il ne quittera plus et qu’aucune figurine néolithique n’avait occupée à ce degré. Sur ce point aussi cette époque marque une rupture. L’anthropomorphisme des représentations figurées permet l’avancée notable des conceptions religieuses. La charnière du -IVè au -IIIè millénaire est l’époque où s’élaborent les premières esquisses théologiques et où sont définies les premières figures divines.
L’enracinement religieux de la reproduction des rapports sociaux ne concerne pas seulement les sociétés les plus simples, relativement peu différenciées. Il est encore plus fortement impliqué dans l’émergence de hiérarchies d’ordres ou de classes sociales. Différents degrés de stratification ont été observés, allant vers une séparation croissante des fonctions politico-religieuses. Le clan le plus noble tire sa position de la divinisation de son ancêtre.

Après le règne d’Alalgar qui dura 36 000 ans, la royauté passa à Bad-Tibira, le « mur des travailleurs du cuivre ». Le troisième roi fut Dumuzi, l’aïeul auquel tous les rois se réfèreront par la suite.
Le pouvoir a longtemps été considéré comme devant être consacré par les puissances divines pour affirmer sa légitimité. Cette reconnaissance se faisait par l’intermédiaire de mariages sacrés (hiérogamies) où, en s’accouplant avec l’énergie de la déesse-mère et tutélaire (les deux regroupées dans Inanna/Ishtar), le roi devient son amant et accède de la sorte au statut de fils et de parèdre (alter ego). À travers cet inceste symbolique, c’est la fécondité du royaume et la fertilité de son sol qui sont recherchées (fécondité qui représente le premier devoir du souverain). Il s’agissait ainsi, par la mise en scène du désir et de l’amour consommé, d’assurer la fécondation des matrices par l’ « eau du cœur » (le sperme) en répétant les ardentes noces de la déesse Inanna et de l’antique roi berger Dumuzi. Les chants sacerdotaux sont d’ailleurs explicites. Soulevée de passion, Inanna chante : « Quant à moi, à ma vulve, à mon tertre rebondi, Moi, jouvencelle, qui me labourera ? Ma vulve, ce terrain humide que je suis, Moi, reine, qui y mettra ses bœufs de labour ? ». À quoi on lui répond : « Ô Inanna, c’est le roi qui te labourera, C’est Dumuzi qui te labourera ! ». Et la déesse d’exulter : « Laboure-moi donc la vulve, ô homme de mon cœur ! ». C’est l’expression de ce désir et l’union qui en résultait que le roi réel devait répéter pour son propre compte avec une prêtresse d’Inanna qui en jouait le rôle et en qui la déesse était incarnée pour la circonstance (dans certaines cultures, si la déesse est un animal, le roi doit donc s’accoupler avec elle dans un acte de zoophilie sacré). Fondamentalement, le but de ces unions n’était pas tant d’assurer la fertilité des terres et l’abondance des récoltes (autant que la reproduction animale et humaine), que de ratifier la souveraineté du roi.

Dumuzi le berger devint le nom d’un dieu de la fertilité et de la végétation qui, en tant que tel, mourait et ressuscitait, invitant l’ensemble de la nature à suive le cycle des saisons. Un récit mythologique l'oppose d'ailleurs à Enkimdu, dieu de l'irrigation et de l'agriculture (fils d'Enki le dieu de la sagesse, identifié avec Enbilulu, « l'inspecteur des canaux ») auquel il dispute les faveurs de la déesse Inanna.
Bien que la déesse lui préférait l’agriculteur, aux vêtements moins rugueux, l’hésitation initiale de la déesse en ce qui concerne la personnalité de son futur époux, berger ou fermier, aboutit au choix du berger comme amant (comme dans Caïn et Abel), et ainsi comme roi de la communauté humaine. Ce choix fait écho à la présence de groupes humains aux modes de vie différents et à la légitimation, à un moment donné, de la montée sur le trône du représentant des bergers (Enkimdu s’inclina, acceptant que Dumuzi fasse brouter son troupeau de chèvres sur ses propres terres), reflet dès cette époque reculée d’une métaphore assimilant troupeau et communauté humaine, métaphore qui restera attachée à la personnalité royale et, plus loin, aux guides des Peuples, fussent-ils religieux. Ce passage illustre l’importance du rôle divin dans la légitimation des pouvoirs.
Élu du cœur de la déesse, Dumuzi l’épousa, épisode heureux qui servit de fondement au rite de la hiérogamie, dans lequel le roi jouait le rôle de l’époux d’Inanna en lieu et place de son ancêtre héroïque Dumuzi. Ce rituel garantissait symboliquement la fertilité de la terre et du bétail, mais désignait aussi Inanna comme source du pouvoir royale. Toute la mythologie sumérienne insiste sur la fécondité des femmes et des vaches, sur le lait qui sort des seins et des déesses-mères, sur la crème riche qui nourrira les humains (c'est encore sa « crème » et son beau « lait jaune » que le berger Dumuzi propose à Inanna lorsqu'il lui fait la cour ; ambivalence de cette substance, éminemment masculine mais présentée comme un produit féminin parce qu'il est celui des brebis).

Inanna, souveraine du « Grand Royaume d’En Haut », décide de descendre aux Enfers pour supplanter sa sœur aînée Ereshkigal, souveraine du Monde Inférieur. Elle s’apprête et revêt ses sept parures, symboles de ses pouvoirs. Mais pour accéder au royaume des Morts, elle doit franchir sept portes et, chaque fois, y déposer un de ses atours en paiement de son passage. Finalement, elle se présente nue devant sa sœur et s’installe sur son trône. Sur ordre d’Ereshkigal, elle est aussitôt condamnée à mort et les Sept Juges des Enfers (Anunnaki) la tuent. Le cadavre d’Inanna est suspendu à un clou. La disparition d'Ishtar provoque un arrêt de la fécondité sur terre. La servante d’Inanna, sans nouvelles, va chercher du secours auprès d’Enki. Celui-ci, ne supportant pas que sa sœur soit ainsi traitée, façonne deux créatures capables d’accéder sans difficulté au royaume des Morts. Ces messagers asexués raniment Inanna avec le « breuvage de vie » donné par un kalaturru (kalû/keleb signifie « chien », mais aussi esclave ou serviteur ; chienne signifie « inverti – homosexuel – sacré » : ces musiciens imberbes avec chapeau étaient des lamentateurs kalû ; il n’existait pas d’équivalent féminin pour les lamentateurs kalû, bien qu’au -IIIè millénaire ce métier ait pu également être exercé par des femmes) et la « nourriture de vie » donnée par un kurgarru ( catalogué parmi les chanteuses, ils avaient leur place fixe dans les temples, et sont à identifier avec des figurants qui dansaient, chantaient ou jouaient lors de cérémonies cultuelles). Obéissant à la loi qui dit que quiconque pénètre en Enfer ne peut revenir sur Terre, les Anunnaki ne la laissent pas partir. Inanna doit fournir un remplaçant. Elle revient sur terre accompagnée de démons et après diverses recherches, elle trouve Dumuzi confortablement installé sur le trône de la cité et ne pouvant contenir sa colère, elle le fait envoyer au royaume des Morts. Geshtinanna, déesse du Vin et sœur de Dumuzi, propose de prendre sa place. C’est ainsi que Dumuzi et Geshtinanna passent, alternativement, la moitié de l’année au royaume des Morts (sous un autre de ses aspects, que l'on retrouve notamment dans le Mythe d'Adapa, Dumuzi est l'un des deux gardiens du palais céleste d'Anu, avec Ningishzida). Le retour de Dumuzi sur terre est vu comme le début du renouveau de la nature (Dumuzi avait donné son nom au sixième mois de l'année à Lagash sous les Dynasties archaïques, le calendrier mésopotamien des époques postérieures comprend un mois nommé Dumuzi/Tammuz, le quatrième). Cela est notamment marqué dans les rituels mésopotamiens par le mariage sacré (hiérogamie), dans lequel les rois sumériens interprétant Dumuzi s'unissaient rituellement à la déesse Inanna, pour marquer le retour du printemps. Il dispose d’ailleurs de son sanctuaire dans celui de sa parèdre Inanna à Uruk.
Sargon d’Akkad (-XXIVè siècle), qui fut d’abord soumis au roi de Kish, s’est lui aussi placé sous le patronage d’Inanna, introduisant son culte dans sa nouvelle capitale. En effet, il doit son ascension politique à la déesse qui, s’étant éprise de lui, lui a toujours accordé son aide. Inanna, choisissant de s’établir à Akkad, y bâtissant son temple, attire toutes sortes de prospérité sur la ville grâce à la prostitution « sacrée ». Au -XXIè siècle, les souverains d’Ur, dont la dynastie est originaire d’Uruk, reprennent la thématique du roi aimé et même amant de la déesse.
Il est à noter que la puissance féminine d’Inanna gouverne dans un même temps, dans une sexualité souvent désordonnée et dépassant les cadres moraux et légaux des humains, les forces naturelles qui assurent la fertilité de la terre et l’esprit guerrier qui en garantit l’intégrité (le sol de la province, du royaume, étant lui-même compris comme le corps de la Mère). Ainsi, au-delà de garantir la prospérité du territoire, les rois (« suprêmes) »doivent aussi le gouverner avec sagesse et mesure, devant donc être capable de discernement, d’ordre spirituel.

Le mariage est le symbole de la réunion des extrêmes, ou couple d’opposés, qui dès lors se complètent et accèdent ainsi à une unité plus haute, comme un tout qui signifie plus que la simple somme de ses parties. Ainsi, le mariage sacré symbolisait l’union créatrice du Ciel et de la Terre, du dieu de l’élément masculin (le roi) et de la déesse de l’élément féminin (Inanna).
Le mariage et l’union sexuelle sacré symbolise donc l’union des éléments originels, qui forment alors un être androgyne, accédant de ce fait à une unité plus haute, primordiale. La dualité originelle du soleil et de la lune, de Mars le guerrier et de Vénus l’aimante, se résout alors dans l’union de la force et de la sagesse.
L’être androgyne représente la totalité de l’âme et de l’être humain : la tension entre les deux pôles n’a pas toujours revêtu une signification sexuelle, elle peut même être interprétée selon d’autres couples d’opposés dont les images sexuelles ne sont que les signifiants. L’androgyne représente en fait l’union des contraires en une unité autonome et parfaite, le retour à l’unité originelle (celle de l’œuf, d’avant le chaos), à la totalité du monde maternel et paternel dans sa perfection divine, où se dissolvent toutes les oppositions.
C’est de cette façon qu’on pouvait garantir la fertilité et l’ordre cosmique pour l’année à venir (cette union se faisait lors de la fête qui marquait le début de l’an nouveau).
Par le mariage, la femme est pour l’homme le seul moyen d’avoir des enfants et d’assurer ainsi une certaine forme d’immortalité. Mais pour nourrir sa famille, l’homme doit travailler la terre et récolter des céréales. L’espèce humaine peut donc se perpétuer, mais à la condition d’établir entre les hommes et les femmes des relations génératrices de maux associés à la mort et au travail. La lutte contre la mort exige que la femme souffre en enfantant, tandis que l’homme perd sa vie en travaillant. À travers les mythes s’expriment aussi ce que ne peut connaître l’expérience humaine, le royaume des morts. Avec la partition annuelle du séjour d’une divinité (souvent féminine) en Enfer, on assiste alors à un compromis, organisant la relation entre le monde d’en-haut et celui d’en-bas, dans le souci de respecter à la fois l’intérêt des récoltes qui naissent de la terre et celui des morts qui y sont enterrés. Le cycle végétatif (pendant l’hiver, les graines sont sous la terre, invisibles et comme mortes ; au printemps, des tiges commencent à sortir, puis les plantes se forment et poussent avant d’être récoltées) associé à la vie humaine peut également alors faire naître l’espoir d’une survie de l’âme humaine, telle une graine (sachant que les humains vivent sur la terre en dérobant le grain dans le sol) : la vie ne se termine pas avec la mort, elle se poursuit à travers elle !
Finalement, le roi se mariant à Inanna se sacrifie pour, après avoir toute sa vie fait exécuter les ordres venus d’en-haut, être condamné au séjour éternel aux Enfers afin que la déesse puisse continuer à prodiguer l’Amour (mais aussi la guerre) ! Explication bien « humaine » qui cache le mystère de la mort rituelle du roi pour assurer la fertilité universelle. En fait, Inanna regroupe différents aspects de la Grande Mère et de Lilith. Elle est la femme d'action présente chez l'homme qui a du mal à s'affirmer et s'attache surtout à des femmes qui le dominent. Elle est également la femme de la sublimation, celle qui apporte à l’homme à la fois vie, et mort ; elle est alors synonyme d'initiation et de destruction. Elle représente certains désirs, certaines attentes, arrangées dans un système de relation érotique.

Il faudra attendre le courant du -IIIè millénaire et l’apparition des premières dynasties pour entrer dans une ère nouvelle, celle de l’état fondé sur un pouvoir héréditaire, quand les textes transmettront des lignées de « rois ».
Les dieux apportent alors la civilisation, débarrassent l’humain des êtres monstrueux, fauves/rapaces et serpents, et mettent à sa disposition les animaux dont il peut se nourrir grâce à la chasse ou l’élevage, autant qu’ils enseignent la culture des végétaux. Avec tous ces changements, on cherche un monde ouvert, à ordonner ! Et l’on commence par le plus simple : la communauté élémentaire, la famille, le clan, puis la cité. Ces entités assurent leur identité grâce à la généalogie que racontent les récits fondateurs : sont ainsi fondés l’origine, le rattachement à un territoire, la parenté, les liens d’amitié comme les rapports de haine ! Les sociétés polythéistes s’ordonnent et se limitent grâce aux mythes, qui les aident aussi à se problématiser. Essentiels sont les mythes de succession, qui, à travers l’ordre des dieux, nous amènent à l’ordre du monde.
En-men-dur-ana de Sippar (ou également Enmeduranki) fut le septième et avant-dernier roi du pays de Sumer prédynastique. Son nom signifie « chef de la compétence de Dur-an-ki », qui signifie « le lieu de rencontre du ciel et de terre ». La ville de Sippar était associé avec le culte du dieu-soleil Utu, appelée plus tard Shamash dans la langue sémitique. Un mythe écrit dans une langue sémitique raconte qu’il fut emporté au ciel par les dieux Shamash et Adad, qui lui ont enseigné les secrets du ciel et de terre. En-men-dur-ana est extrêmement important pour les Sumériens : il a été l'ancêtre de tous les prêtres qui ont dû être en mesure de retracer l'ascendance généalogique. Il est parfois lié au patriarche biblique Énoch : fils de Yared (lignée de Seth), il initia le décompte des temps. Arrière-grand-père de Noé, il est le septième des patriarches de la lignée dont Adam est le premier et Noé le dixième. Il est réputé pour être à la fois le père de l’écriture, de l’astronomie et de la maîtrise du fer.

Ngushur fut le premier roi de Sumer après le Déluge, effectuant la mise en place de la première dynastie de Kish. Il marque donc le début de la période Dynastie archaïque II de Sumer, ce qui correspond à peu près au début de l’Âge de Bronze II, soit vers -2 900.
Kalibum de Kish fut le septième roi sumérien dans la première dynastie de Kish vers -2800. Ce nom est dérivé de l’akkadien « chien ».
Etana fut roi de Kish, « le pasteur, qui est monté au Ciel et a mis de l'ordre dans tous les pays ». Au -IIIè millénaire, dans toute l’antiquité, on bascule vers un roi dynastique. Etana vole le secret de la fertilité, institutionnalisant la masculinisation de la reproduction. Le développement du pouvoir royal semble s’accompagner d’un abandon progressif des anciens rites de fertilité, au profit d’un nouveau culte rendu à la puissance physique (les représentations de la femme sont désormais quasi inexistantes). Succèdent alors aux grandes stèles anthropomorphe celles du guerrier : une forme d’organisation (aberrante pour les Anciens) va se fonder, une personnalité armée, avec ses tendances agressives, imposant ses aspirations à l’ensemble de la communauté. Le mythe de la force, stérile, ennemi même de la vie, allait s’imposer. La structure sociale devient alors patriarcale, patrilinéaire et la psyché est guerrière. Chaque dieu est également un guerrier. Les déesses féminines sont les jeunes mariées, les épouses ou jeunes filles sans pouvoir et sans créativité, à part Inanna/Ishtar.

Le mythe d’Etana est une légende sumérienne ayant pour personnage principal Etana, le roi de Kish, qui tente désespérément d’obtenir un fils pour lui succéder.
Le récit commence par l’histoire d’un serpent et d’un aigle, liés d’amitié avant que le second ne mange les enfants du premier. Celui-ci va chercher conseil auprès d’Utu, le dieu-soleil, qui lui dit de piéger l’aigle en se cachant dans le cadavre d’un bœuf, et d’attendre que le volatile s’approche, pour le capturer. C’est ce que le serpent fait, avant de jeter l’aigle dans un trou après l’avoir molesté pour l’empêcher de s’envoler, et il dépérit. C’est alors qu’entre en scène Etana, le roi de Kish. Celui-ci désire ardemment un fils. Pour cela, il fait une demande à Utu, qui est aussi prié par l’aigle de lui venir en aide. Faisant d’une pierre deux coups, il dit à Etana que la solution serait d’obtenir une « plante d’enfantement », qui se trouve au Ciel, là où résident les dieux. Pour se rendre dans ce lieu inaccessible aux mortels, le dieu lui conseille de sortir l’aigle du trou, de le soigner, et qu’alors celui-ci l’aiderait à la trouver. Dans un premier temps, l’aigle ne veut pas l’aider. Il ne cède qu’après qu’Etana l’ait longuement imploré. Etana s’envole donc vers le Ciel sur le dos de l’aigle.
Finalement, Etana trouve dans le Ciel la déesse de la féminité (Inanna) à qui il demande le don de la fertilité (« plante d'enfantement »). Celle-ci accepte. Avec le don de la fertilité Etana s'assure le pouvoir de la succession : la Liste royale sumérienne indique qu’Etana a eu un fils comme successeur, Balih (également nom d’un affluent de la rive gauche de l’Euphrate, cours d’eau peu considérable avec maigre débit). Etana devient le premier roi dynastique de l'histoire. Ce mythe exprime la version masculine du culte dédié à la féminité, il marque l’affirmation de la supériorité du pouvoir masculin (et la reconnaissance de son rôle dans la reproduction), même si le matriarcat en tant que tel n’a jamais existé (nulle part). Les déesses-mères agricoles deviennent alors des dieux-rois métalliques (cuivre et bronze) représentés par des statuettes à tête d’aigle.

Ces légendes apparaissent bien tard dans les palais de Mésopotamie, puisque le Mythe d’Etana apparaît à la fin du -IIè millénaire, 600 ans après que la civilisation d’Aratta les ait dessinées.
La pensée humaine, sa vision du beau et du terrible, sa quête d’une organisation sociale, son exploration chaotique d’un principe supérieur, tout cela a pris forme quelques siècles avant Sumer, 1000 km plus au sud, à Jiroft, en Iran, véritable paradis oriental. Cette région qu’on croyait habitée à cette époque par des nomades était en réalité le cœur d’une civilisation prodigieusement avancée. Elle abritait une population dense et hiérarchisée au cœur d’une chaîne montagneuse avec désert, à mi-chemin entre Mésopotamie et Indus, en face d’Ormuz en Arabie Saoudite, non loin de la route de l’opium venu d’Afghanistan.
Aratta avait un art plus élaboré qu’en Mésopotamie. L’artisanat étant au cœur des échanges de cette civilisation, de par son talent exceptionnel dans la gravure des sceaux (créativité et originalité), ses produits voyageaient avec les idées qui y sont rattachées. Ainsi, quatre des plus anciennes légendes sumériennes parlent d’Aratta dont les Sumériens enviaient la puissance et la richesse (pierres dans un périmètre de 100 km autour du site, puis stockées dans le palais). La région, plus riche que fertile, ne dispose pas de matières premières : du limon, du bitume, des roseaux, rien d’autre. Ce peuple mésopotamien doit donc circuler, commercer, voyager (aussi bien aux Indes qu’aux marches de l’Europe), et il suppléé ses carences naturelles par des trouvailles techniques et intellectuelles. Les Sumériens, venus peut -être par la mer du golfe Arabo-persique, semblent avoir coupé les ponts avec leur patrie d’origine. Les Sémites en revanche s’enracinent dans un puissant arrière-monde, remontant jusqu’à la Syrie. Plus dynamiques, plus nombreux, constamment alimentés de sang frais, même s’ils semblent avoir été moins inventifs, ils « décollent » grâce à leur contact avec les Sumériens. Réciproquement, les Sumériens profitent de l’extraordinaire vitalité des Sémites. Il faut aussi compter sur d’autres Peuples, déjà présents sur les lieux, qui nous ont légué de nombreux noms propres tels que Lagash, Uruk, Ur. Nous sommes donc en présence d’une civilisation dynamique, composite. Le choc de l’écriture va la précipiter (dans le sens chimique du terme) dans un double mouvement : l’organisation d’une mythologie et celle, complémentaire, d’un certain esprit « scientifique », les deux se liant.

Des vases décrivent l’affrontement entre l’homme-lion et l’homme-scorpion. L’humain de Jiroft se cherche. Il teste ses forces et ses peurs. Sera-t-il le lion ou le scorpion, le dominé ou le dominant ? Il existe en effet une hiérarchie des puissances surnaturelles au sommet de laquelle se place l’homme-lion, seul capable de dominer le mal incarné par l’homme-scorpion (l’orgueil contre la reptation – le fait de « ramper »).
Le danger pour l’homme vient du scorpion et du serpent, de la panthère aussi, mais à un moindre degré (elle se renverse sans façon devant l’humain porteur d’une parure protectrice et devient même son allié contre le serpent, aux côtés de l’aigle). Ainsi, les forces, bonnes, mauvaises ou neutres, sont clairement identifiées.
Le dieu scorpion protège la montagne sacré ! L'image de la montagne traduit l'union du Ciel et de la Terre, autant qu'elle évoque le sexe féminin de la terre dans laquelle un pénis divin peut s'enfoncer : c'est le lieu de conjonction, union sexuelle où le Ciel « verse la semence » dans le sein de la Terre comparée à une « vache féconde qui donne naissance aux plantes de vie ». D’ailleurs Ishhara (Inanna/Ishtar prend ce nom en tant que déesse présidant aux accouplements) a pour symbole un scorpion. Le signe du Scorpion est lié à l’élément classique de l’eau (symbole de fertilité) et son opposé polaire est le Taureau. L’axe Taureau-Scorpion est d’ailleurs l'axe de la pulsion : le Taureau se définit par « La vie est sur Terre. Je crée et je possède », par opposition à la phrase du Scorpion « La vie passe par la mort. Je détruis pour transcender ».
Les fauves et les rapaces font allusion au pouvoir destructeur de la divinité, de telle sorte que l’association fréquente des uns et des autres dans des scènes conflictuelles évoque la mort qui s’abat sur les humains. Ici, dans une conception cyclique du temps, la mort est toujours annonciatrice d’un renouveau. Le héros dompteur de fauves (ou « Maître des animaux ») représente la royauté maîtrisant les forces délétères (nuisible, dangereuses pour la santé, qui peuvent causer la mort), une des fonctions royales étant en effet de garantir l’ordre sous toutes ses formes.
Le « Maître des animaux » (silhouette humaine dont la tête est sommée de cornes de capridés, le corps ocellé – avec des taches rondes, comme sur le pelage, le plumage, de certains animaux – et les mains pourvues de trois doigts), fait d’ailleurs suite à la « Maîtresse des animaux », la Grande Mère.
Cet homme, protégé par des parures (ou bracelets, colliers, bandeaux), maîtrise des serpents ou renverse des panthères ; un lion (pouvoir masculin) se bat contre de longs serpents (pouvoir féminin) qui cherchent à l’étouffer dans leurs anneaux, mais il n’offre en revanche qu’une résistance assez molle au « Maître des animaux » paré qui le soulève de terre et le renverse d’un doigt indifférent.
À une époque qui précède celle de la structuration des villes et de l’écriture, ce personnage se distingue des autres. Certaines de ses parures ou de ses attitudes le relient au monde animal. On peut le mettre en rapport avec l’apparition d’une hiérarchie dans le cadre d’actes qui ne relèvent pas de la sphère quotidienne : ce personnage est ainsi la représentativité d’une autorité supra-humaine (ancêtre héroïque, esprit voire dieu).

En complément, les œuvres d’Aratta décrivent jusqu’à l’obsession les enlacements des serpents qui s’enroulent et se dévorent dans des entrelacs interminables (le serpent – animal du chaos originel, opposé en tout, jour/nuit, bien/mal, vie/mort, féminin/masculin – est le fondateur du monde terrestre, lorsqu’il pondit l’œuf primordial).
Le monde naît du divin. Un dieu créateur sort de l’œuf, forme parfaite et réservoir illimité des possibles. Les dieux créateurs des premiers âges donnent naissance à des monstres, symboles des éléments naturels (eau, terre, feu, sécheresse, froid, etc.). Ces monstres se disputent et s’entredévorent sous le regard agacé de leurs géniteurs, eux-mêmes repoussants. Le serpent est l’une des figures les plus fréquentes : à Sumer, c’est une femme qui est à l’origine du monde, femelle reptilienne et sauvage, Tiamat. Être gigantesque et destructeur, elle est le symbole de la prolifération encore désordonnée de l’énergie vitale, sexuelle.
Le serpent a le même signe qui désigne la vie constamment renouvelée (ouroboros : le serpent se mord la queue, ce qui donnera plus tard le nœud gordien, l’infini grec), il symbolise la société en cela que la femme est seule capable de relier le masculin au féminin (acte sexuel) et de produire soi du même (bébé féminin) soi du différent (bébé masculin).
Le serpent, le féminin, ne s’oppose pas au masculin, il contient et réunit les deux aspects récepteur et émetteur.
La femme, symbole du renouvellement, est aussi celle qui dispense les soins. Les idéogrammes MI (femme) et NIN (féminin) sont abondamment employés dans les textes concernant les soins de l’âme et du corps où interviennent la miséricorde, la pitié, la tendresse du cœur, le secret. L’antériorité, la préséance du féminin éternel est indiquée par un sexe féminin voilé, prononcé NIN. Ce n’est pas une personne, c’est une énergie, une réalité profonde, symbolisée par des figures féminines dont la beauté est perçue comme une présence du divin créant l’amour dans l’humain, éveillant en lui le désir de la pénétration métaphysique. Dès la plus ancienne époque sumérienne, même les noms des divinités masculines sont précédés par l’idéogramme NIN, qui signifie Féminin. Une des fonctions essentielles du Féminin est de soigner. Selon les Sumériens, la maladie est un moyen salutaire pour inciter l’humain à se transcender dans une quête d’immortalité toujours renouvelée. La femme, symbole de ce renouvellement, est celle qui dispense les soins. Thérapeute et prêtresse, elle agit afin d’aider son patient à trouver la Vie (c’est-à-dire la santé) à travers les épreuves (crises curatives), qui préparent à des renaissances.

Après le retour d’Etana sur la terre ferme, avant qu’il n’ait un fils, voici la suite de l’histoire, manquante sur les tablettes mais présente sur les vases de Jiroft. L’humain étatique (en somme le personnage, Etana, justificateur de la religion, donc du roi), s’épuise à combattre le serpent, tentateur de la connaissance du bien (et forcément du recto de la médaille, du mal – mais qui peut être le « bien » perçu par les humains de la servitude volontaire, celle du monde civilisé). L’aigle et la panthère sont les « preux » qui, à ses côtés, étouffent la bête immonde (du véritable bien, celui de la société d’avant où on respectait les femmes comme donneuses de vie et gardiennes de savoirs). Et, pourtant, l’immonde est un monde envoûtant. L’artiste est habité par ses anneaux luisants. Le serpent est à la base du décor, incrusté de bleu et de feu : s’il est le « mal », il est aussi la beauté. Au poignet des Persanes et des Mésopotamiennes d’aujourd’hui scintille toujours sa tentation en bracelets graciles.
Dans une société sédentaire bien alimentée, qui fait plus d’enfants, qui meurent moins souvent, on ne peut avoir les mêmes attitudes face à la sexualité qu’une société nomade à faible natalité (puberté et sevrage plus tardifs) et fort taux de décès périnatal.

L’aigle est le roi des oiseaux, qui descend du ciel pour s’abattre sur la terre. Il est symbole de puissance et de combattivité, mais aussi d’âme qui s’envole vers le ciel rejoindre les dieux.
Animal capable de regarder le soleil sans ciller des yeux et d’évoluer dans le ciel inaccessible aux humains, tueur de serpent, l’aigle est le symbole masculin de la victoire de la lumière sur les forces obscures, c’est pourquoi il est souvent représenté tenant dans son bec un serpent, symbole féminin. Il représente finalement la puissante vertu de la justice.
Pour certains, une première période de la royauté aurait vu l’existence de centres urbains dominés par des divinités féminines, dont les rois, des « en », auraient été les princes consorts. Par la suite, les états du -IIIè millénaire possédant presque tous une double capitale (Girsu et Lagash, Umma et Zabalam, Nippur et Tumal), la capitale religieuse aurait été la plus ancienne, celle qui avait une déesse à sa tête, doublée d’un époux humain, l’« en » de la cité. Pour des raisons militaires, les capitales politiques se seraient développées en miroir avec un dieu masculin à leur tête, un « ensik » (statut du roi, vicaire, par rapport au propriétaire divin de sa cité). Cette situation expliquerait qu’à terme, le roi de l’époque Dynastique archaïque finale ait pu être tout à la fois époux de la déesse (« en »), vicaire d’un dieu masculin (« ensik ») ou encore homme fort de l’état (« lugal »).
Les rois reçoivent du plus puissant des dieux le sceptre (crosse de berger) et le fléau (flagellum du bouvier ?), ou une couronne (forme très particulière et adéquat du couvre-chef, placée sur la tête elle domine le corps humain – donc la matière – et participe du ciel vers lequel elle s’élève, établissant un pont entre l’humain et l’azur).
Les rois d’Uruk, comme les héros d’épopées, revendiquent des liens très forts avec Inanna et voient volontiers en elle la source de leur pouvoir. Il en va de même des souverains de Kish, dans la partie nord de la plaine, autre centre du culte de la déesse et première dynastie d’après Déluge, lieu de naissance d’Etana. Ainsi, Eannatum de Lagash (vers -2 450), lorsqu’il prend le titre de roi de Kish, explique : « Inanna, parce qu’elle aimait Eannatum, gouverneur de Lagash, lui a donné de gouverner Lagash et d’être roi à Kish ».

Finalement, le choix d’un roi procédait du dieu tutélaire de la cité, par élection ou par naissance. Toutefois, le dieu Enlil lui-même conférait également la royauté, tandis que l’amour de la grande déesse Inanna pour le roi est également censé confier et légitimer le pouvoir royal. Les titres royaux traduisent la nature intermédiaire attachée au souverain, mettant en valeur le principe de réciprocité des relations entretenues avec les dieux. Le roi est donc dans la posture subalterne d’un régent (qui gère au nom de), en même temps qu’il est l’élu et le chéri des dieux, nourri par la grande déesse, façonné par les dieux. Le sentiment du roi à l’égard des dieux est à la fois centrifuge et centripète (donc qui attire et qui écarte), fondé non seulement sur la crainte, le respect et l’obéissance, mais aussi sur une grande proximité, établie sur une forme complexe d’assimilation au monde supérieur doublée de la certitude d’un légitime amour en retour.

L’épopée de Gilgamesh fait figure d’un des tout premiers poèmes et des prémisses (pour ne pas dire préliminaires) de la littérature érotique. On y évoque la mort, l’amitié mais aussi l’amour physique, parfois de manière assez crue. Le désir y est abordé comme un des moteurs de l’Histoire. La morale de l'Épopée est qu'on ne peut échapper à la mort, symbole de la condition humaine, et qu'il vaut mieux chercher à profiter au maximum de son existence sur Terre.

Uruk (-4 300 à -3 100) était au cœur d’un vaste réseau de relations et d’échanges dont le développement est étroitement lié aux mutations que connaît alors l’ensemble du monde mésopotamien. Uruk était ainsi le centre très actif d’un important réseau de villages et de petits bourgs situés le long des chenaux de l’Euphrate. On a lié la révolution urbaine à une croissance démographique que la rente agraire de Sumer rendait possible. En effet, installées sur les bras du cours combiné du Tigre et de l’Euphrate, les cités sumériennes exploitent au prix d’un effort humain limité les ressources exceptionnellement riches d’une niche écologique, un immense delta, qui offre d’abondantes ressources de poissons, des roseaux et l’eau de l’irrigation. Bref, nous disposons là de tout un faisceau de contraintes qui expliquent en partie son dynamisme. De plus, les pluies de moussons affectaient jusque vers -3 500 le pays de Sumer. En revanche, à partir de cette époque, les conditions climatiques actuelles (aridité extrême) se mettent en place, et ces modifications climatiques ont pu nécessiter un encadrement accru des populations.
Tel le jardinier de la vie et l’organisateur de son pré carré, on remarque l’image du seigneur, souvent plus grand que les autres (selon une convention appelé à un long avenir). Il n’est pas symbolisé ou idéalisé, mais représenté de façon réaliste, humaine : c’est un personnage historique et non une idée ou un concept. Le fait qu’il apparaisse en même temps que des signes écrits, qui permettront plus tard le souvenir d’évènements historiques, n’est pas le fait du hasard. Alors que l’on avait affaire à une gestion très poussée dans le cadre des chefferies, on passe avec l’urbanisation à un contrôle de plus en plus absolu des productions et des échanges. Le terme gestion est plus neutre car il ne présume pas d’objectifs. L’idée d’organisation y est implicite et par-là même celle de prises de décision, au moins individuelles, voire au niveau du groupe, supposant alors une volonté ou un objectif communs. Le terme contrôle, quant à lui, contient l’idée d’objectifs à atteindre, de maîtrise, de domination et donc de pouvoir sur les choses ou les êtres. Le seigneur de la cité a alors quasiment un droit de propriété sur ses possessions, ses femmes, ses subordonnés. Le fait de disposer de gens, fidèles et dévoués, est un instrument de pouvoir efficace sur le reste de la société. Parmi les stratégies les plus courantes utilisées pour acquérir du pouvoir et d’autres bénéfices basés sur la production, on trouve le prix payés pour les époux/ses, l’investissement dans les enfants (pour augmenter leur valeur comme époux/ses), l’établissement de tabous, d’amendes et contrôle dans la résolution des disputes, la manipulation des valeurs culturelles (contrôle de la fertilité et de la richesse, besoin alliances pour se défendre, acquisition des épouses par le paiement).

Le site d'Uruk fut occupé à partir de la fin de la période d'Obeid, vers la fin du -Vè millénaire, sur le bord de l'Euphrate. Identifié à l'Erech de la Bible, cette ville joua un rôle très important sur les plans religieux et politiques pendant quatre millénaires. Elle passe pour être la plus ancienne agglomération (environ 30 000 habitants) à avoir atteint le stade urbain dans la seconde moitié du -IVè millénaire : c'est sous la Période d'Uruk (environ -3 800 à -2 900) que la cité s'épanouit. Sept grands temples datent de la fin de la période d'Uruk, au niveau IV A (fin du -IVè millénaire), et c'est le niveau IV de l'Eanna qui a livré les plus anciennes tablettes (de comptabilité) écrites retrouvées en Mésopotamie, ce qui paraît confirmer la tradition sumérienne voulant voir dans Uruk le lieu de naissance de l'écriture.
Le site est organisé autour de deux entités, qui correspondent à deux villages unifiés pour former la cité d'Uruk : Kullab à l'ouest (mort du soleil), et Eanna à l'est (naissance du soleil), séparés d'environ 500 mètres seulement, localisés au centre du tell.
Kullab ou Kullaba était à l'origine un village doté d'un temple consacré au dieu sumérien Anu (dieu suprême du Ciel). La déesse Ninsun, qui signifie dame de la vache sauvage, est une divinité mineure de la mythologie sumérienne, mais sous son appellation Rimat-Ninsun (la sage, l'intelligente, l'omnisciente, la grande reine, la vache sublime), on peut la relier à la Grande Mère. Son culte était également rendu à Kullab. Là se dressait un sanctuaire : sur une plate-forme de 13 mètres de haut et d'une quarantaine de mètres de côté avait été bâti un sanctuaire de 18 m sur 7 m, le « Temple blanc ».
L'Eanna (« la maison du Ciel ») est le temple principal de la déesse sumérienne Inanna (Ishtar chez les Akkadiens et Babyloniens) dans la ville d'Uruk. À Uruk, le centre de la cité est son cœur politique. L’Eanna est une acropole où se pressent les bâtiments prestigieux dus à la volonté de l’élite de la cité, dorénavant unie autour d’un seigneur reconnaissable. C’est tout l’ensemble de l’Eanna qui est le palais d’Uruk. Son maître, le seigneur, chef de la cité, garantit la prospérité du pays, la fertilité des plantes et des troupeaux, il nourrit – ou vivifie – les troupeaux. Inanna (Ishtar en akkadien) est la plus grande déesse du panthéon mésopotamien. Elle est liée à la fertilité et à l’amour. C’est l’amante, la sœur, l’épouse et la mère de plusieurs divinités. Elle acquiert progressivement un caractère guerrier, très agressif, fournissant aux souverains les armes et se tenant à leurs côtés pendant les combats. Identifiée à Vénus, la plus brillante des étoiles / planètes, elle peut être figurée sous la forme d’un astre, d’une femme nue dévoilant ses charmes ou au contraire vêtue mais armée, des masses d’armes émergeant de ses épaules.

L’Épopée de Gilgamesh est un des textes majeurs traitant de la royauté et de sa définition au travers d’une prise de conscience de sa nature par une confrontation à celle des dieux et à leurs prérogatives. Ce chemin initiatique est voulu par les dieux, qui cherchent ainsi à lui faire comprendre et accepter sa condition de roi, certes placé au-dessus de ses sujets, mais devant exercer sur eux un pouvoir juste et mesuré, dans le cadre d’une finitude humaine. Le récit vise également à assurer la pérennité de la civilisation en stigmatisant ceux qui vivent comme des sauvages.
Les problèmes sociaux issus de la densité de population furent résolus d’abord par le développement des villes : vers -3 000, sur un territoire grand comme la Suisse, existent le long de trois grands chenaux de l’Euphrate et du Tigre une série de micro-états (une quinzaine), qui exploitent chacun une partie du réseau et développe les champs alentours. Au-delà même de la pratique agricole, le système social qui s’est mis en place implique des réseaux de parenté irremplaçables (c’est la couverture sociale de l’époque, avec la garantie entre autres de trouver un conjoint pour procréer de futurs aides de champs), une structure politique capable d’assurer l’ordre et la sécurité, des monuments qui sont l’expression même de la prospérité Commune. Avec le temps, les communautés s’amplifient encore et la hiérarchie s’accentue. On aura bientôt affaire à des micro-états, gouvernés par une élite à la tête de laquelle se trouve un seigneur.
Cette dynamique a un caractère relativement irréversible (même si on a vu des retours au nomadisme ou au moins semi avec la reconversion de certains vers le pastoralisme) car, lorsque s’est constitué au fil des siècles un réseau d’irrigation de plus en plus étendu et performant (permettant la survie de ces agglomérations « obligatoires »), nul ne peut espérer se passer d’un tel héritage sans remettre radicalement en cause son mode de vie.
Tous ces avantages, réels ou subjectifs, sont propres à dissuader de partir tandis qu’à l’inverse, les agglomérations les plus importantes (les plus prospères, les mieux organisées, celles qui se sont dotées de bâtiments les plus impressionnants) constituent des pôles d’attraction vers lesquels convergent les populations des campagnes environnantes.

« Kish fut soumise par les armes, sa royauté à Eanna (Uruk) fut transportée. À Eanna, Meskiangasher, fils d’Utu (dieu du soleil, frère d’Inanna/Ishtar, comme il dispense la lumière, il est rapidement vu comme le dieu de la vérité, du droit et de la justice ; il tend au souverain les emblèmes du pouvoir, le bâton et le cercle et règle aussi le cours des saisons), devint grand-prêtre et roi. Il devint le soleil en entrant dans la mer et en sortant par la montagne. Enmerkar, fils de Meskiangasher (roi d’Uruk qui construisit la ville en fusionnant les deux entités de Kullab et d’Eanna) devint roi.
Suivi le divin Lugalbanda, puis Dumuzi (un autre, pêcheur). Le divin Gilgamesh (son père était un démon lilû, un esprit maléfique qui hantait les déserts et grands espaces, son action était particulièrement néfaste aux femmes enceintes et aux enfants), grand-prêtre de Kullab devint roi ».
Gilgamesh est le cinquième roi de la première dynastie d'Uruk (où il aurait régné vers -2 600), présenté comme le fils d'un démon lilû (jeune homme décédé avant d'avoir pu se marier) et de la déesse Ninsun (dans l'épopée de Gilgamesh, elle apparaît comme reine et non comme déesse, épouse du roi Lugalbanda). Lorsque l’accouplement surnaturel concerne une femme et un esprit, le fruit d'une telle union a des dons exceptionnels : cela ouvre la possibilité d'engendrer, pour une femme chamane lorsque l'union se fait avec un esprit, un enfant qui pourra se réclamer plus tard d'une nouvelle lignée chamanique. Gilgamesh est ainsi deux tiers dieu, un tiers homme, et est grand, beau et fort, même capable de séduire une déesse, Inanna/Ishtar.
Gilgamesh est un despote qui se veut l’égal des dieux : brutalité, tyrannie, soif de plaisir sans limite. Homme intrépide qui veut se mesurer au monde entier et qui aspire à l’immortalité, d’origine noble, il apporte plus d’intérêt au luxe, à son bien-être et aux orgies, qu’à ses devoirs de roi.

Gilgamesh est un grand roi mais la complainte des habitants de sa ville d’Uruk monte trop souvent auprès des dieux du ciel qui sont assaillis par les mêmes prières continuelles. Ils viennent se plaindre au père des dieux, Anu, d’avoir créé un tel homme, fils d’une déesse (la patronne ou la Dame des buffles), de n’avoir pas ignoré ces actions futures et la façon dont il maltraiterait les gens de sa propre ville. Ce roi est insupportable car il ne laisse ni garçon, ni fille à leurs parents. Il emploie les uns aux travaux et à l’armée et à l’encontre des filles, il exerce un droit de cuissage rigoureux (allusion possible à un rite de défloration sacrée dans le cadre de la prostitution toute aussi sacrée au sein du temple d’Inanna : Hérodote dit que « la plus honteuse des lois de Babylone est celle qui oblige toutes les femmes du pays à se rendre une fois dans leur vie au temple d’Inanna pour s'y livrer à un inconnu. (...) Les femmes sont assises dans l'enceinte sacrée d’Inanna, la tête ceinte d'une corde, toujours nombreuses, car si les unes se retirent, il en vient d'autres. Les femmes n'ont pas le droit de retourner chez elles avant qu'un homme ne les ait choisies, en leur jetant quelque argent sur les genoux, en prononçant ces mots : "J'invoque la déesse Mylitta/Inanna/Ishtar". Quelle que soit la somme offerte, la femme ne refuse jamais, elle n'en a pas le droit et cet argent est sacré. Elle suit le premier qui lui jette de l'argent et ne peut repousser personne ») et il les emploie aux multiples travaux féminins que nécessitent le palais et les temples : tissages, filages, broderies, service des cuisines et de boulangerie… Anu le père des dieux ne pouvait ignorer tout cela.

Gilgamesh prend place sur le plan de l’abus sexuel et l’abus de ses pouvoirs de demi-dieu, roi qui s’impose à tous dans tous les domaines de sa cité. Les plaintes du peuple de la ville d’Uruk ne cessent de monter vers les dieux qui en ont les oreilles rebattues. Ils tiennent une assemblée pour déterminer la conduite à tenir envers Gilgamesh. Ils convoquent la déesse Aruru, qui avait déjà formé l’humanité, pour qu’elle façonne un être d’un seul bloc, sur le patron de l’ouragan, aussi puissant que Gilgamesh. Cet être s’empoignera avec Gilgamesh, le terrassera et la complainte cessera.
Aruru fit Enkidu à l'image d'Anu le dieu du ciel, de la végétation ainsi que de la pluie (il était le père de tous les dieux ; on disait de lui qu'il avait le pouvoir de juger tous les criminels) et de Ninurta le dieu de guerre, de la fertilité, de l'irrigation, du labour et du vent du sud (connu pour apporter sécheresse et famine en saison sèche, et des inondations lors de la saison humide) en tant que soleil du matin et du printemps. Elle le façonne à partir d’un lopin d’argile, velu par tout le corps, ses cheveux longs (plutôt même une crinière) comme ceux des femmes ne sont pas noués sur ses épaules, au contraire des habitants civilisés de la ville. Il vit dans la steppe en compagnie des gazelles, broute l’herbe avec elles, boit dans les aiguades ou les rivières avec elles. Voici une naissance hors du commun mais qui ressemble à la formation de la race humaine selon les divers textes de création de l’humain que nous possédons et provenant du Moyen Orient antique.
Né sans mère (absence compensée par la vie avec les gazelles), il a été élevé à l’écart des hommes et de la société, par des bêtes sauvages. Il a vécu toute la première partie de sa vie à l’écart de la société des hommes et des femmes, ignorant la vie de la société des hommes, les femmes, les plaisirs, les joies et aussi les peines des humains. Enkidu (ce nom n’évoque pas la vie animale, mais plus simplement la créature d’Enki) vit comme les gazelles et se sent un être comme elles, qui agit comme elles. Cet homme né hors du commerce naturel des hommes et des femmes est un isolé, volontaire ou involontaire.
Enkidu a un rôle important à jouer dans son royaume. La vie à l’écart qui le caractérise ne peut durer sans dommage pour les habitants du pays. Né dans les steppes, Enkidu est découvert par un homme qui hante les steppes, un chasseur (Enkidu vit isolé, tout comme le chasseur qui le découvre vit isolé, l’isolement du chasseur étant dû à son seul métier). La surprise de cet homme n’a d’égal que son désarroi face à cet être aux cheveux longs dénoués et qui vit avec les gazelles mais qui démonte tous ses pièges de chasseur ou comble toutes ses trappes pour prendre les animaux sauvages ou qui leur permet de s’échapper ou de se tirer du piège qui les retenait. Le chasseur qui l’a vu dans la steppe, s’inquiète car trappes, pièges et filets n’ont plus d’effet. Le chasseur prend conseil de son père qui l’envoie au roi d’Uruk car il est plus habitué à courir la steppe qu’à vivre en ville (le père du chasseur habite sans doute un village proche de la steppe plutôt que près de la ville). Le chasseur va demander à son roi le conseil pour savoir que faire de l’homme étrange qu’il a vu dans la steppe. A Uruk, le roi décide seul de la conduite à tenir et de celle qui exécutera la mission. La décision de Gilgamesh a pour but d’attirer Enkidu à la ville. Ce roi renvoie le chasseur dans la steppe en compagnie d’une courtisane (une prostituée en somme), qui aura pour mission de se mettre nue devant Enkidu et de lui dévoiler ses charmes (le père du chasseur lui avait déjà donné le même conseil). La harde de gazelle avec quelle il vivait lui deviendra alors hostile. Ainsi, le conseil des dieux sumériens visait un homme à corriger, alors que l’homme à corriger envoie une courtisane.
Tout advient comme Gilgamesh l’avait dit. La venue de la courtisane lui fera perdre la tête et il agira en mâle avec la fille, envoyée expressément à cet effet. Enkidu, homme innocent qui ignore l’amour des femmes, succombe aux charmes de la courtisane. Quand elle se dévêt devant lui en laissant apparaître ses charmes féminins et son sexe, elle attire l’homme pour coucher avec lui immédiatement dans la steppe, sans retenue, et ce pendant une semaine (comme des bêtes pourrait-on dire). La courtisane le mêlant ainsi à la société des hommes (Shamat est venue pour « corrompre » l'homme sauvage : elle civilise Enkidu en l'initiant aux rites sexuels de la déesse Inanna/Ishtar, en tant que prostituée du temple, prêtresse de la déesse), les animaux le rejetteront et il ne pourra plus vivre avec la harde de gazelles dont il partageait la vie et qui désormais ne le reconnaît plus pour l’un des siens (une harde est un troupeau d'ongulés sauvages, notamment de ruminants. Ce terme est souvent utilisé pour évoquer un groupe de cerfs mais, selon les pays, pour multiples animaux : une harde de chevaux est un groupe, un troupeau, de chevaux sauvages ; une harde désigne également les liens attachant les chiens quatre à quatre ou six à six. Attention à ne pas confondre « harde » et son cousin « horde », ce dernier terme s'appliquant uniquement aux groupes humains). La réussite des actes de la fille de joie (qui s’appelle justement Lajoyeuse) tient plus du fait que les gazelles abandonnent leur ancien partenaire parce qu’il appartient désormais au monde des humains, à la civilisation qu’il ignorait (autant que les villes et les attraits de la vie en société). Amadoué par la courtisane, Enkidu devient un homme digne de vivre parmi les hommes civilisés (il a perdu en force mais il s'éveille à l'intelligence), et entend parler du roi d’Uruk en bien et en mal (comportement abusif du roi). Avec elle, Enkidu part vers Uruk, passe près des huttes des bergers et des vachers. La courtisane s’arrange pour que les bergers et les vachers leur offrent de la nourriture ou de la boisson. Mais Enkidu ignore ce qu’est la nourriture des hommes, faite à partir des plantes qu’ils ont cultivées : le raffinement ne peut pas être le même, puisqu’il vivait comme une gazelle dans la steppe et n’avait aucune idée de ce qu’était la civilisation. Il refuse les galettes ou la bière d’orge et il faut tout l’entregent de la courtisane pour les lui faire prendre, goûter et accepter. Se plaisant dans son nouveau statut, il gardera les troupeaux pendant un temps en déchirant les lions ou les loups qui viennent assaillir les brebis ou les vaches. On peut en déduire que les bergers et vachers louaient hautement son aide et ses connaissances des animaux de la steppe, car il leur facilitait la tâche et leur donnait un répit important dans la surveillance de leurs troupeaux.

L’arrivée d’Enkidu est précédée dans l’épopée de deux rêves de Gilgamesh. Quand Enkidu entre dans la ville, il est heureux de voir la ville de ce roi puissant, il est heureux de découvrir la civilisation qu’il n’avait jamais connue auparavant. Toute la ville se presse pour voir ce nouvel arrivant qui a une prestance semblable à celle de leur roi, Gilgamesh. Enkidu croise une noce et comprend que Gilgamesh va s’arroger le devoir de l’époux avec la jeune épousée. Enkidu va alors agir vis-à-vis de Gilgamesh comme s’il était personnellement touché par ses abus sur les filles des habitants. Enkidu pouvait déchirer les lions et les loups, mais quand il voit Gilgamesh se parer comme l’époux à la place de celui-là, il l’empêche d’entrer dans la chambre nuptiale et le combat. Les deux hommes en viennent aux mains et se battent dans la rue. Après s’être battus toute la nuit, le roi n’est pas vaincu mais il compose avec cet homme aussi fort que lui et qui avait osé lui résister. Au lieu de le prendre en ennemi, il s’en fait un allié. Gilgamesh comprend ses propres limites et qu’il ne doit plus abuser de son pouvoir.
Enkidu devient l’ami ou le double de Gilgamesh (il le cajole même comme une épouse et le traite à égalité – même la mère de Gilgamesh traite Enkidu à égalité avec son fils, voire ils règnent en tandem sur Uruk et sont même un couple charnel) : Enkidu, qui a couché sept jours durant avec la courtisane, agit sur la sexualité débridée du roi d’Uruk en ne lui laissant pas procéder à son coutumier droit de cuissage, éhonté, objet des supplications du peuple auprès des dieux de la ville. Le rôle d’Enkidu a échoué, en partie du moins, mais Gilgamesh a abandonné par la suite son comportement abusif vis-à-vis des enfants des habitants de la ville d’Uruk (il s’amendera et conduira son royaume à la prospérité). Aucune nouvelle prière n’arrive auprès des dieux.
Il ne faudrait pas voir dans le récit de Gilgamesh le recours au sauvage pour mater le civilisé, mais plutôt l’intervention de la force sauvage pour museler l’abus de pouvoir en tout domaine du demi-dieu. L’objectif est la réalisation d’une civilisation parfaite, d’une société policée qui connaît la prospérité par la douceur de vivre sous un bon gouvernement, sans abus ni défaut. Les dieux tentent, par un moyen détourné, qui ne nuira qu’à l’intéressé, de mettre un point final, non pas à la vie du héros, mais à son comportement hautement abusif et objet de tant de prières qui méritent d’être exaucées. Gilgamesh est arrogant et abusif, sexuellement parlant mais aussi sur le plan de l’embrigadement de tous les enfants de la cité. Enkidu est excessif en couchant sept jours d’affilé avec la courtisane, mais ensuite, il refuse la nourriture des bergers et garde les troupeaux comme les bergers ne savent pas les garder (en tuant les bêtes fauves à mains nues). Les deux sociétés sont de nouveau correctement gérées et dirigées au plus grand bonheur des dieux et des hommes.
On peut d’ailleurs voir Gilgamesh (ou Enkidu, les deux étant interchangeables, chacun ayant pris le meilleur de l’autre après avoir rejeté le pire de soi), serrant sur son cœur un lion vivant, symbole de la force assimilée par l'Initié qui, dans les sables brûlants du désert, a su maîtriser la bête royale et dompter sa puissance, choisissant ainsi de capter et réguler son énergie jusqu'alors destructrice, plutôt que de la tuer et de s'affubler de sa dépouille : symbole, en somme, de la Force mise au service de la Sagesse (Enkidu naturel et Gilgamesh culturel, les deux définissent le passage de l’un à l’autre).
Enkidu peut être interprété comme l’incarnation des forces brutes de la nature avant la conquête de la civilisation, celles de la vie instinctive sans frein (ce qui n’était pas le cas, car toute culture – même chez les autres animaux – connaît et dicte des limites), exprimant la nostalgie d’une libération des désirs. De bien des façons, la métamorphose d'Enkidu peut représenter la puissance de séduction exercée par les ville-États de Mésopotamie. Ses origines (la steppe) et sa vie au milieu des bêtes sauvages suggèrent le chasseur-cueilleur vivant en marge du territoire des premiers fermiers de l'Irak méridional. Sa transformation et l'acceptation de la vie citadine représente la lente assimilation de cette population nomade par la civilisation agricole. Pour autant, Enkidu, commençant à dépérir, maudit le chasseur et la courtisane envoyée pour le civiliser (importance sociale et rôle positif de la prostitution dans la civilisation). Peu avant sa mort, suite aux paroles du dieu Utu (dieu solaire de justice) qui lui reproche son ingratitude envers elle, il finit par la réhabiliter : certes Shamat l’avait arraché à l’innocence de sa vie première, mais elle lui avait somme toute apporté beaucoup de bien tout de même (elle l'a vêtu, abreuvé et nourri, lui a procuré un compagnon tel que Gilgamesh). Mais dans certaines versions, le terme de catin est employé pour désigner Shamat. L'utilisation de ce mot apporte à son rôle une connotation très différente. Il véhicule peut-être l'idée que la transformation d'Enkidu ne lui a pas été totalement salutaire.

Inanna est déesse d’Uruk, de l’amour, de la fécondité, de la guerre et de la mort. Gilgamesh lui érigea le plus grand temple d’Uruk, la ziggourat de l’Eanna, pour y célébrer chaque année le rituel de fertilité qui lui est dédié. Le roi s’unit sexuellement avec une prêtresse vierge qui l’attend dans le temple. Il doit accomplir ce rite juste après son retour de la forêt des cèdres (du Liban), mais Inanna apparaît auréolée des flammes de la passion. Elle veut séduire et s’unir elle-même avec le roi en devenant son épouse, plutôt qu’une prêtresse le fasse à sa place. Surestimant encore une fois ses forces, Gilgamesh s’oppose à la déesse et refuse d’épouser Inanna, en lui reprochant d’avoir toujours provoqué le malheur de ses amants, mettant ainsi en avant les aspects violents et dévastateurs de la personnalité de cette déesse de l’Amour, mais aussi de la guerre.
Elle fait tomber malade Enkidu, qui succombera d’une terrible fièvre. Enkidu descend aux Enfers pour y chercher les insignes de royauté donnés par Inanna à Gilgamesh, que celui-ci y a laissé tomber. Enkidu est alors retenu aux Enfers, mais son esprit revient raconter à Gilgamesh ce qui se passe dans le monde des morts.

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