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L’élément le plus marquant et le plus émouvant de l’art paléolithique est représenté par les célèbres Vénus, que l’on trouve sur une période de vingt millénaires et sur une étendue de neuf mille kilomètres (mais surtout au Gravettien, entre environ -29 000 et -19 000 ans). La plupart des Vénus sont sculptées en statuettes dans les matériaux les plus nobles (ivoire, os, pierre, argile ; pour créer l’une des Vénus de Moravie méridionale, les peuples d’il y a plus de 24 000 ans ont même inventé la technique de la terre cuite – uniquement dans le cadre des statuettes votives, jamais pour des ustensiles pratiques –, procédé qui sera perdu pour être redécouvert au Néolithique), mais certaines sont gravées ou sculptées en bas-relief.

 

Sur l’immensité du territoire russe, l’art paléolithique se manifeste en deux groupes géographiques distincts : la Russie européenne (c'est-à-dire la plaine russe) et la Sibérie orientale.

À Kostenki sur le Don vers -24 000 / -18 000 (Gravettien), les statuettes féminines sont généralement bien proportionnées et réalistes (bien que certains détails soient exagérés à outrance : seins volumineux et pendants, énorme ventre gonflé, des bourrelets de graisse dans la région du bassin et des hanches : femme-mère). Sans compter de nombreux fragments, on connaît actuellement près de trente figurines en ivoire complètes ou presque, ainsi qu’une dizaine en marne calcaire (une gravure sur une plaquette en marne calcaire). Les statuettes de l’Europe de l’Est portent deux ceintures, l’une au-dessus des seins, l’autre en-dessous du ventre. La lanière passée autour de la taille et des poignets a pu être interprétée comme un procédé pour faciliter l’accouchement. Les mains reposent souvent sur le ventre.

Sur le site de plein air de Zaraysk, à 155 km au sud-est de Moscou (site le plus septentrional connu), on a trouvé des œuvres qui, par leur beauté et leur qualité artistique, sont à relier à d’autres, plus au sud, dans les régions ukrainiennes d’Avdeevo et Kostenki, dans la vallée du Don. Au-delà de plaques d’ivoire gravées et de décorations géométriques, le site livra des statuettes de femmes aux hanches larges (taillées dans de l’ivoire de mammouth), des figurations de grands mammifères. Ainsi, une tête de bison sculptée avec grande maîtrise ainsi qu’un beau collier confectionné à partir de 41 dents de renard arctique furent déposés avec soin au fond de petites cavités intentionnellement creusées (dépôt de sable vers le sud, dépôt d'ocre rouge vers le nord), recouvertes par des os de mammouths.

 

En Russie occidentale, on signale des figurines humaines stylisées en forme de tiges, parfois couronnées d’une tête. On les suppose masculines (bien qu’elles soient dépourvues d’attributs masculins primaires ou secondaires), dans le sens où chacune de ces figurines se distingue à sa manière des statuettes nettement féminines. Il faut remarquer que des représentations masculines nettement marquées sont très rares dans l’art paléolithique.

 

Tandis que les statuettes de l’Europe de l’Est ressemblent à celles de l’Europe centrale (comme Willendorf et Dolni-Vestonice) et de l’Ouest (spécialement les spécimens de Brassempouy, Lespugue et le bas-relief de Laussel), celles de Sibérie en sont bien distinctes.

Alors que les statuettes européennes représentent des femmes aux formes opulentes (pour autant, la première statuette humaine découverte en France en 1864, la « Vénus impudique », a des formes assez loin des critères de Leroi-Gourhan : ses hanches sont peu marquées, la poitrine très peu développée...Filiforme, elle représente certainement une adolescente ou une jeune fille, dont la netteté du sexe lui a donné son nom de Vénus « impudique »), même quand il s’agit de statuettes allongées et assez sveltes, les statuettes sibériennes n’indiquent jamais ces formes d’une façon claire. Les seins sont le plus souvent marqués par un faible relief ou une rainure peu profonde, les hanches sont à peine accusées, les fesses ne s’élargissent pas, ni à l’arrière ni sur les côtés, mais en même temps elles sont relevées, parfois considérablement.

Quant à leurs proportions, contrairement aux statuettes européennes dont les têtes sont toujours réduites par rapport au torse, les figurines sibériennes ont une grosse tête (souvent ornée, mais le visage n’est jamais décoré), une petite cage thoracique, tandis que la partie inférieure du torse et les jambes sont parfois démesurément allongées.

 

Certaines des statuettes féminines ont un visage bien individualisé et, sans être de réels portraits, il existe des représentations concrètement différenciées, ce qui incite à y voir des femmes réelles plutôt que des déesses. Presque toutes les femmes représentées sont enceintes, quelques-unes au stade ultime de leur grossesse ; prêtes à accoucher, elles témoignent d’une symbolique forte de la femme-mère. Les statuettes féminines présentent le principe de la fertilité, le miracle de la naissance, la source de la vie : le centre du corps est privilégié, l’important est le ventre. La femme à la corne de Laussel ressemble aux statuettes : la corne portée dans la main peut représenter la lune ou la fertilité (bovine ?).

 

Les statuettes féminines gravettiennes, qu’elles soient françaises, rhéno-danubiennes, russes ou sibériennes, présentent presque toutes un corps plus ou moins complet. Les régions ou organes représentés répondent à un schéma unique et de ce fait significatif (organisation schématique avec inscription des seins, de l’abdomen et des fesses hypertrophiées dans un cercle, et de l’ensemble dans un losange à grand axe vertical). Cette formule si elle s’applique effectivement à nombre de statuettes ne peut pas être généralisée. Un certain nombre de caractères généraux peut cependant être dégagé : sur la partie centrale du corps, seins, abdomen et tissus adipeux de la ceinture pelvienne, fesses, cuisses et sexe sont toujours sur représentés (toutes régions ou organes dont le caractère sexuel ne fait aucun doute, le volume des seins, des fesses, de l’adiposité pelvienne est en outre souvent exagéré) ;·les mains, les pieds, les membres supérieurs et, à un moindre degré, les jambes sont négligés ; les traits du visage ne sont pas représentés (sauf deux exceptions : la Dame de Brassempouy et la tête de Dolni Vestonice). Dans la plupart des cas, la fente vulvaire n’est rendue visible que par une distorsion majeure, les artistes tenant à faire figurer le triangle pubien et à montrer la fente vulvaire, privilégiant la réalité fonctionnelle sur la vérité anatomique (montrant bien tout l’intérêt qui lui est attaché).

Les fesses paraissent un autre point à prendre en considération dans la mesure où, comme la fente vulvaire, elles ont retenu l’attention des Paléolithiques au delà de toute mesure (importance donnée au massif fessier ; vu par les premiers sapiens, il est plus que généreux quand il n’est pas franchement disproportionné).

Ce sont généralement des femmes enceintes, Vénus opulentes, aux formes généreuses (Vénus stéatopyges) à l’origine du supposé culte de la « déesse-mère » pratiqué par les Gravettiens et leurs descendants.

On peut distinguer deux types de figures féminines, presque aussi répandues l’une que l’autre. Les unes sont adipeuses, avec un bassin très développé, des hanches débordantes et donc une disproportion entre le haut et le bas du corps ; on utilise à leur propos le terme de stéatopygie (« à grosses fesses » : ces réserves se constituent dans l'enfance et atteignent leur niveau de développement maximal au cours de la première grossesse, pouvant s'accompagner d'une hypertrophie des petites lèvres ; ces formes pouvaient être considérées comme une marque de beauté et de fertilité). D'autres sont sveltes, ont la taille fine et les seins menus. Face à ces deux types de femmes, certains préhistoriens affirment qu'il ne s'agit pas de la réalité des femmes de l'époque, mais d'une exagération, de l'objet de fantasmes (masculins ?) et de rêves économiques (les femmes opulentes signifiant une richesse de l'alimentation et donc de la cueillette et de la chasse). Toujours est-il que les fesses constituaient au Paléolithique une zone érogène très privilégiée.

 

La réduction du corps humain aux parties médianes (privilège abdominal) conduit finalement à résumer l’individu à un sexe.

L’identité physiologique est essentiellement donnée par la région abdomino-pelvienne ; c'est en effet le moyen de déterminer le sexe d'un humain et de dire quelle a été l'histoire physiologique de cet individu : la femme a-t-elle eu plusieurs enfants, est-elle enceinte, quel est son âge ?... Les représentations féminines sont donc des représentations « fonctionnelles » (fonctions de génitrice, de nourrice, de partenaire sexuelle, ...).

Ce réalisme biologique est l'expression de l'identité biologique de la femme dans son vécu fonctionnel, dans les grandes fonctions du corps féminin : grossesse, accouchement, allaitement. Ces fonctions ont un retentissement sur la morphologie féminine (l'adiposité caractérise la féminité car la fécondité nécessite une certaine masse graisseuse).

 

 

L’art paléolithique, rupestre et mobilier, peut fournir les éléments d’une riche réflexion sur la place de la femme dans la préhistoire : reproduction sociale, fécondité, relations humaines, affectivité, valeurs exprimées incluses dans la notion de féminin. Les sites du Paléolithique supérieur ont livré des images de femmes d’une grande variété et souvent d’une grande beauté.

Dès ses origines, l’art pariétal donne une place aux figures féminines. La plus ancienne des grottes ornées aujourd’hui connues (la Grotte Chauvet, -30 000 ans avant le présent), livre en effet, à côté des thèmes habituels du bestiaire, des symboles et des images évoquant les formes féminines, et qui constitue comme une « matrice » des thèmes que l’on retrouvera, inlassablement répétés, tout au long de la préhistoire. Des vulves stylisées sur les parois des grottes, des silhouettes féminines gravées dans la roche, des corps graciles ou plantureux sculptés dans la pierre ou dans l’ivoire, modelés dans l’argile, sont connus depuis le début du Paléolithique supérieur. Les Vénus de Laussel, de Lespugue ou de Brassempouy en France, de Willendorf en Autriche, de Dolni Vestonice en Moravie, d’Avdeevo et de Kostienki dans la plaine russe, nous donnent sous la forme de statuettes d’ivoire, d’os ou de calcaire, les versions les plus anciennes de ces portraits de femmes (plus tard, ce seront les silhouettes gravées en bas-relief de Laussel, ou celles, plus lascives, de la Magdeleine et d’Angles sur l’Anglin). La plupart de ces figurations paléolithiques exhibent seulement la partie centrale de leur corps : les traits du visage, le dessin des bras, des mains ou de l’extrémité des jambes n’importaient pas.

Certains y ont vu l’expression de rites de chasse ou de fécondité, voire même l’expression sans détour de la libido masculine, l’équivalent préhistorique de notre pornographie. D’autres y ont vu la preuve d’un matriarcat primitif ou d’une religion de la Grande Déesse.

 

L’abbé Breuil voulut voir dans l’art pariétal paléolithique une expression religieuse et magique, liée au mode de vie des grands chasseurs. L’image de la femme (ou la vulve qui la représente) exprimerait la notion et le désir de la fécondité ou serait liée aux rites de la chasse, c’est-à-dire aux préoccupations d’une survie immédiate. Prenant pour point de comparaison les rites africains de fertilité et de fécondité, les coutumes des Esquimaux ou des Australiens, Breuil interprète les figurations d’animaux-bisons de Dordogne (aux bosses cervicales exagérées, mâles suivant de près les femelles, parfois gravides) comme traduisant une « magie de reproduction du gibier » ; la représentation particulière des figures féminines, qui magnifie les caractères sexuels, et qui figure parfois des femmes enceintes, serait elle aussi liée à la magie de fécondité.

Pourtant, cette hypothèse qui peut valoir pour les images des animaux, dont la reproduction est la condition inéluctable de la survie du chasseur, est discutable en ce qui concerne les figurations humaines : au point de vue économique, la multiplication des chasseurs accroit la concurrence pour la nourriture dans une plus large mesure, semble-t-il, qu’elle ne facilite la chasse par l’entraide, et d’ailleurs les enfants ne deviendront utiles comme chasseurs qu’à échéance lointaine et resteront pendant de longues années des bouches inutiles. Ainsi, pour le psychanalyste Henri Luquet en 1926 (idée d’abord émise par Freud en 1917) « ce n’est pas le caractère générateur de la femme, mais son caractère voluptueux qui avait éveillé les auteurs de ces œuvres ». Il y aurait selon lui dans ces représentations une forme d’érotisme gratuit (silhouettes de femmes aux attributs sexuels exagérés, femmes « ployées » ou lascives, innombrables vulves dessinées sur les parois des grottes), essentiellement masculin, peut-être lié à la frustration sexuelle, induite par la dureté de la vie et le manque de ressources alimentaires en certains moments de l’histoire humaine (l’époque glaciaire).

Les statuettes féminines du Paléolithique supérieur seraient l’extériorisation des besoins et des désirs des hommes de ce temps, les auteurs des figurations rupestres paléolithiques étant pour l’essentiel de jeunes chasseurs, de très jeunes hommes.

Des modèles ainsi proposés, il faudrait conclure que l’art paléolithique est dans sa totalité (et plus spécifiquement dans les figurations féminines qu’il propose), un art viril, fait par et pour les hommes, qui traduit la dominance mâle dans les tribus des grands chasseurs paléolithiques. La femme paléolithique serait ainsi une reproductrice dont seule la grossesse importe, ou un objet sexuel, incapable de subvenir à ses besoins, et dont les faveurs s’échangent contre le butin de la chasse.

 

Le caractère plus ou moins érotique d’une figure nue peut être en grande partie déterminé par le contexte et tel était le cas semble t-il au Paléolithique, en particulier pour les statuettes Gravettiennes. En outre une figuration féminine nue peut fort bien être érotique tout en étant belle (les premières sculptures de la femme sont des statuettes et statues exprimant la séduction de l'être désiré, la beauté de son corps, l'érotisme de ses attraits, la fascination de son sexe) et avoir pour les paléolithiques une résonance franche dans l’opposition humain-animal. En effet, la femme dans l’art paléolithique, souvent présente, se veut discrète et n’essaie pas de rivaliser avec les grandes fresques animalières des grottes : elle prend la forme de petites statuettes, de gravures, de bas-reliefs ou de peintures dans les endroits confidentiels des sanctuaires souterrains.

 

De fait, l’art est bien une expression des modes de vie et de la conscience sociale, d'où prédominance d'animaux (production) et de femmes (reproduction) de l'économie politique. La condition des femmes est toujours – plus ou moins, voire assez peu – inférieure à celle des hommes. Chez les chasseurs-collecteurs, tout ce qui met en jeu un écoulement de sang ou l’évoque relève du domaine masculin. Cet arrangement simple de division sexuelle du travail (ou de dichotomie sexuelle) est illustré par de nombreux exemples, un des plus démonstratif étant fourni par une scène de la caverne d'Addaura en Sicile, où un homme portant des armes sur son épaule est suivi d'une femme enceinte portant un fardeau sur ses épaules (un fardeau – baluchon de provisions – semblable fut être trouvé à Gönnersdorf, Allemagne). Il existe ainsi une division sexuelle du travail réservant la chasse active, sanglante (pour autant, les femmes participaient très souvent à la chasse mais le faisaient toujours sans employer aucune arme typique de la chasse, plutôt en rabattant le gibier, ou en le prenant dans des filets, voire mettaient à mort leur proie mais sans effusion de sang), et l'équarrissage, aux hommes, quelques heures par jour : force est alors de conclure que les grands peintres et graveurs étaient des hommes plutôt que des femmes. Et ils disposaient sans doute de plus de temps libre que leurs compagnes. Au Paléolithique le plus ancien, les activités féminines étaient sans doute liées au charognage, au dépeçage, à la transformation et au transport des animaux morts. Mieux que les autres singes, les humains vont pouvoir nourrir leur cerveau des acides aminés et du phosphore de la chair des animaux charognés ou chassés. Ces activités ne requièrent pas une force physique particulière et la femme a parfaitement pu y participer. Dans des environnements où la chasse et la cueillette sont à peu près d’égale importance, la répartition des tâches entre les sexes correspond exactement au partage animal et végétal. Il est à noter que les végétaux (graminées sauvages ou tubercules) représentent souvent la moitié de l’alimentation des chasseurs-collecteurs : la collecte est bien plus régulière et abondante que la chasse, risquée et à l’efficacité assez faible compte-tenu du temps passé. Bien que les femmes emmènent avec elles les enfants en bas-âge, les expéditions de cueillette conduisent les femmes à effectuer des déplacements beaucoup plus importants que ceux qu’effectuaient les hommes au cours de la chasse. Ces « compléments alimentaires » féminins devaient souvent être la seule source de nourriture pour le clan : l'apport végétal devait constituer de 20 à 50% des 3 000 kcal de leur ration énergétique quotidienne, suivant que le climat était froid ou tempéré. Chez l'adulte, les besoins réels en protides amenés par la viande sont en réalité assez réduits : moins de 200 grammes de viande maigre par jour (juste ce qu'il faut pour le maintien de la masse musculaire et des autres tissus, car nous n'avons pas de réserve en protéines, le rôle des protides est donc très secondaire). Le vrai rôle de carburant revient aux lipides, dont la chair du gibier n'est pas très riche, et surtout aux glucides des plantes, indispensables aux muscles et au cerveau (sachant que les chasseurs-collecteurs étaient plus sédentaires qu'on ne le pensait).

 

En Russie, sur la surface des sols d’habitation (ou plus souvent ensevelies dans des fosses de détritus et en partie brisées, figures abandonnées et retrouvées face tournées contre le sol), on découvrit nombre de figurines d’ivoire ou de calcaire sculptées. Ces statuettes féminines avaient les mêmes formes opulentes que certaines des Vénus Paléolithiques d’Europe occidentale.

Pour certains, les représentations féminines caractéristiques de cette époque incarnent à la fois le rôle social et économique de la femme, mais aussi son rôle spirituel, comme support iconique d’une idéologie dominée par les femmes-mères, au sein d’une organisation sociale de type matriarcal. Pour eux, l’image de la femme, fixée par les statuettes, montre le rôle important qu’avait la femme-mère dans la communauté du Paléolithique supérieur. Elle représentait à la fois la femme-maîtresse de maison, du foyer et du feu dynamique, et la femme-ancêtre à laquelle se rattache l’idée de la femme gardienne d’une puissance magique capable d’assurer le bon déroulement d’une des principales activités de subsistance, la chasse.

En Russie, les statuettes féminines sont toujours trouvées à proximité de grandes quantités d’ossements. Les figurines animales conventionnelles symboliseraient le besoin de chasse, base économique de l’homme préhistorique. La femme représenterait donc la structure sociale et les valeurs économiques d’une société où le mammouth joue un rôle à la fois économique et symbolique de premier plan.

Pour autant, il ne faut pas confondre matriarcat avec l’existence de groupes sociaux à transmission matrilinéaire ou pratiquant la matrilocalité, c'est-à-dire la constitution du foyer au lieu même de l’habitation des femmes. Le mythe du matriarcat primitif peut être un moyen de reléguer le pouvoir des femmes dans un passé perdu, d’inventer une mythologie dont la fonction n’est autre que de cautionner l’état présent des rapports de hiérarchie et de domination des femmes par les hommes. Le matriarcat primitif est maintenant abandonné au profit d'un système matrilinéaire : c'est par la femme que se créé la famille, sans pour autant lui donner un pouvoir hiérarchique ou politique. Beaucoup de peuples sont matrilinéaires (appartenance à un groupe, à un clan ou à un lignage en fonction de la mère et sans considération du père), mais la condition des femmes n’y est pas meilleure qu’ailleurs, les fonctions et les pouvoirs du père y étant tenus par l’oncle maternel. La seule situation qui confère un certain pouvoir, ou tout au moins une grande autonomie, aux femmes est celle de la matrilocalité, le fait que les femmes résident ensemble de mères en filles dans le même lieu où viendra s’installer le mari. Partout les hommes payent pour avoir une épouse, dot qu’ils payent au père de la future femme : les hommes font des transactions entre eux dont les femmes sont les enjeux. Les chasseurs-collecteurs, n’ayant en général pas de biens valorisés à fournir au beau-père, payent de leur personne en se mettant au service du beau-père pendant un certain temps (plusieurs mois voire plusieurs années).

Chez les Aborigènes australiens, une fille est promise à un homme et engagée vis-à-vis de lui dès avant sa naissance. La différence d’âge au premier mariage est en général d’une trentaine d’années et le taux de polygamies est extrêmement élevé (jusqu’à treize femmes). D’un autre côté, toute femme est libre d’avoir des amants pourvu que cela n’interfère pas avec son activité de cueillette dont le produit doit revenir au mari ; un enlèvement, au contraire, qu’il s’agisse d’une femme mariée ou d’une fille promise, déclenche la vendetta qui doit se solder normalement par mort d’homme ou, ce qui revient au même, remise d’une femme en tant qu’épouse. Les filles se marient à la puberté, quelques fois après des rites de puberté, improprement appelés rites d’initiation (même si les filles sont déflorées et violées par plusieurs hommes de la tribu).

 

Si beaucoup de peuples racontent dans leur mythologie qu’autrefois les femmes avaient le pouvoir et tenaient les hommes sous leur joug, si les mythes parlent d’un temps où les femmes avaient été les seules à connaître les secrets des objets sacrés, ce n’est que pour justifier la domination actuelle des hommes, liée au fait qu’ils soient les seuls, depuis toujours puisque les femmes ne sont jamais initiées au spirituel, à connaître et à manipuler ces objets sacrés. Étant séparées des armes, les femmes sont exclues de la guerre. Tout pouvoir politique étant en dernière analyse fondé sur la possibilité d’un recours à la violence, les femmes sont également exclues du pouvoir politique (au mieux elles n’ont qu’un pouvoir d’influence sur les décisions, même si celui-ci peut être important). Bien que les religions de chasseurs-collecteurs nomades ne mettent jamais en œuvre le sacrifice, elles sont centrées sur le sang symbolisé par les objets sacrés, d’où les femmes en sont totalement exclues.

Les conditions de vie étaient d'une telle dureté, aux temps préhistoriques, que toutes les ressources humaines devaient être utilisées et complémentaires. Cela n'induisait pas forcément un rapport de force entre les individus et les sexes, mais plutôt de la coopération. Même si l’on se limite aux conceptions traditionnelles qui assignent aux femmes les soins du foyer et des enfants, elles peuvent exercer, dans ce cadre, un certain nombre d’activités, à condition qu’il s’agisse de taches non dangereuses, qui n’exigent pas une grande mobilité, et peuvent être souvent interrompues. De fait, de nombreuses activités répondent à ces critères. Si l’on admet par exemple que les activités de tissage et de filage sont dans beaucoup de cultures le domaine des femmes, il se peut bien que ce soient elles qui aient inventé, il y a quelque 20 000 ans, la corde et l’art du tissage de fibres végétales, dont témoignent les parures et les vêtements qui ornent certaines statuettes paléolithiques : ainsi, la résille qui coiffe la « dame a la capuche » de Brassempouy, le « pagne » de la Vénus de Lespugue, les « ceintures » des Vénus d’ivoire de Kostienki, qui sont peut-être des moyens de portage des bébés. Contrairement aux idées reçues, les femmes préhistoriques ont pu être techniciennes, fabricatrices et utilisatrices d’outils : la gente féminine, moins mobile que les mâles chasseurs, pouvait se consacrer à des ouvrages manuels tels que la fabrication d'outils, d'armes ou le tissage (en fibres végétales : plusieurs statuettes anthropomorphes représentent des « vêtements » ou des parures).

 

L’étude des traces de pas dans les grottes ornées et des empreintes de mains positives ou négatives sur leurs parois, les techniques utilisées, ne permettent pas d’exclure que des femmes aient pu participer à l’élaboration des figures rupestres ou des objets de l’art mobilier.

La série des statuettes de Grimaldi, est plus convaincante (la station de Grimaldi près de la frontière française a produit une dizaine de statuettes féminines). Ces figurines sont toutes de petite taille, et certaines comportent un trou en anneau à la partie supérieure qui permet de les porter en pendentifs, tandis que d’autres, terminées en fuseau, pouvaient être tenues dans la main ou fichées en terre. Il pourrait s’agir d’amulettes destinées à protéger la grossesse ou l’accouchement : un usage féminin par excellence, qui ne fait pas intervenir l’idée d’une magie de chasse ou de fécondité, qui ne requiert pas plus la mythologie du matriarcat ou de la « grande Déesse », mais qui met en avant la nécessité pour les femmes de se protéger en un épisode de leur vie lourd d’émotions et de périls. On peut imaginer que ces objets ont pu être fabriqués par des femmes pour leur usage personnel ou pour celui de leurs semblables.

L’idée que l’art rupestre et mobilier préhistorique a pu être réalisé ou utilisé par des femmes trouve d’autres arguments dans le comparatisme ethnographique : chez les Aborigènes australiens, il existe un art sacré réservé aux femmes, qui ne peut être réalisé que lors de circonstances particulières, à un moment et dans un lieu particuliers. Si on admet que l’art paléolithique a pu avoir une fonction rituelle ou spirituelle, certaines images et certains objets étaient peut-être destinés aux femmes ou à l’initiation des adolescentes, plutôt qu’à un usage exclusivement masculin. D’autres analyses ont mis en évidence sur certains sites (par exemple dans le site mésolithique de Lepenski Vir) plusieurs formes artistiques de taille et de facture distinctes qui traduisent peut-être une expression féminine différente de celle des hommes, voire même peut-être opposée à elle. De même, les techniques de fabrication de la poterie pourraient révéler une distribution sexuelle des lieux et des rôles, selon que ces objets sont destinés à un usage domestique ou à des échanges à une échelle plus large, l’importance d’activités de production et de subsistance qui tout au long de la préhistoire pouvaient être pratiquées par des femmes : ainsi, la chasse du petit gibier, la cueillette, la fabrication d’outils de pierre sur éclats, le tissage ou la poterie, la production d’images, figurations gravées ou peintes, de figurines sculptées. On voit alors une femme productive, inventive, artiste ! En parallèle, du point de vue physiologique, les femmes sont les associées sexuelles, les mères de soins et les partenaires sociaux.

 

Il ressort de tout ceci des expressions directes et réalistes, sans pudicité ni interdit : la statuaire féminine séduisante, sexuellement désirante. C'est la sculpture première des humains, la première venue et la prédominante jusqu'à nos jours (sauf quelques interruptions). Nous devinons ici la tradition par excellence de la sculpture. Venue du fond des âges, précédée et attisée par la taille d'outils de plus en plus efficaces et beaux, elle rend clairement la femme et seulement elle, la femme désirée, la femme sexuée, et cela de préférence aux rendus sculptés d'hommes, d'animaux ou autres... Autant d'expressions de la vie, du goût de vivre, de l'espoir de vie. Autant de créations dans la terre, la pierre, le bois, puis le bronze, le verre… qui sont venues et qui viennent avec volupté aux mains des sculpteurs, avec goût d'excellence, avec désir de beauté. Autant de sculptures dont la vue et le toucher ont procuré et procurent du désir et de l'agrément sensible et qui, par là même, Vénus propice à la fécondité, furent probablement favorables aux générations humaines, en tous cas à leur bonheur sur terre (hormis le risque que la femme y soit réduite à un objet de plaisir, ou de culte d'idolâtrie). Le statut important accordé aux femmes peut s'expliquer par leur rareté liée à une forte mortalité infantile et maternelle, mais aussi par leur rôle dans la conception (et la méconnaissance de celui des hommes à cette époque). Ainsi, les représentations féminines préhistoriques ne seraient pas des femmes désirées, mais des femmes sublimées et mythiques. Les statuettes étaient finalement enterrées, souvent à proximité des foyers, lieu du feu et espace social par excellence. La fonction exacte de ces statuettes n’est pas connue. Quelques une présentent un trou de suspension au niveau de l’extrémité de membres inférieurs et ont été employées comme objets de parure. D’autres ont été trouvées dans un contexte archéologique évocateur de rituels. Il pourrait très bien s’agir d’objets de parure et/ou de culte.

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