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• Animateur : Faisons un petit aparté avant de voir comment la situation a évolué après la seconde guerre mondiale. Qu'en était-il de la prostitution en terres d'Islam, notamment les colonies et protectorats français ?

• Historienne : A l'époque anté-islamique et même par la suite (non du fait du Coran, plutôt à cause du poids des traditions), les femmes étaient dominées par les hommes, un homme pouvant épouser à sa guise et en même temps le nombre de femmes qu'il voulait. Les femmes dépendaient donc souvent du mari pour survivre ; de la même manière, il pouvait aussi en répudier autant qu'il voulait, la répudiation d'une femme par son époux la laissant sans droits et sans recours. Assez vite, ces femmes répudiées qui dépendaient de leur époux pour vivre, se retrouvaient dans la misère. Lorsqu'elles ne tombaient pas en esclavage dans le strict sens du mot, elles se livraient à la prostitution (qui est une forme terrible d'esclavage). La prostitution était donc exercée par des femmes libres, célibataires, veuves ou divorcées que la misère contraignait à faire commerce de leur corps, mais principalement par des esclaves travaillant pour leurs maîtres. En fait, le Coran ne condamne pas expressément la prostitution, mais se borne plutôt à interdire d'y contraindre une femme : il interdit la rétribution de la courtisane et les produits de la prostitution, moyen détourné de prohiber une activité jugée peu honorable, mais finalement considérée comme un mal nécessaire. La précocité des mariages chez les Musulmans, qui pouvaient prendre quatre épouses légitimes et autant de concubines que leur situation le permettait, aurait pu être de nature à limiter l'amour vénal. Cependant, bien des jeunes gens des milieux modestes ne pouvaient s'initier autrement, et le mariage légal impliquait des charges que les hommes du peuple n'étaient pas toujours à même d'assumer. Par ailleurs, l'interdiction prononcée par le Coran fut toujours aisément contournée par des proxénètes que l'appât du gain attirait, tandis que les facilités de répudiation jetaient à la rue des femmes qui n'avaient pas toujours la possibilité de retourner dans leurs familles. De fait, la prostitution n'a jamais cessé d'être florissante dans les pays musulmans (notamment du fait des nombreuses esclaves), même si la police les pourchassait, les promenant en ville après avoir eu la tête rasée (et elles étaient enterrées dans un coin spécial des cimetières). La galanterie fut de tout temps plus ou moins tolérée, mais même souvent reconnue par les autorités et soumise à des taxes qui alimentaient le trésor public. Il y avait ainsi des maisons publiques dans les divers villes islamiques (un lupanar à Suse - Iran - se situait près de la mosquée ; on pouvait mettre aux enchères les faveurs des filles publiques). Mais il existait bien des prostituées indépendantes, qui pour attirer l'attention, avaient souvent la poitrine nue, à l'image des prostituées sacrées, connues en Mésopotamie et en Inde, régions avec lesquelles la péninsule arabique commerçait et avait des échanges culturels et humains intenses. Nous savons, à partir des sources de l'Inquisition de Modène (1580-1620), que les femmes accusées de prostitution l'étaient moins pour leurs activités prostitutionnelles que pour leurs performances rituelles liées à un savoir sur l'amour dont elles étaient les seules détentrices (incantations, conjurations et oraisons). De même, l'islam orthodoxe des oulémas nord-africains s'accommodait mal des pratiques magico-religieuses des « filles soumises » (prostituées réglementées). Dans le Maghreb du milieu du XIXè au milieu du XXè siècle, les prostituées se situaient à la croisée de la tradition et de la modernité, du visible et de l'invisible, du permis et de l'interdit. Les prostituées étaient en effet souvent en rupture avec les obligations coraniques. Globalement indifférentes aux piliers de l'Islam, elles n'accomplissaient pas les cinq prières journalières, ne pratiquaient pas l'impôt rituel (zaka) et ne respectaient pas le ramadan (il y avait ainsi une forte intensité de la vie sexuelle des prostituées du quartier réservé de Casablanca pendant le mois de jeûne, ces dernières continuant de manger et de boire normalement). Par contre, les filles soumises du quartier récitaient la profession de foi musulmane (shahada) et elles pratiquaient l'aide ponctuelle aux indigents (sadaqa). Les rues et les quartiers réservés étaient d'ailleurs fréquentés, dans l'ensemble du Maghreb, par de nombreux miséreux qui vivaient des libéralités des filles soumises. En somme, les prostituées conservaient un rapport quotidien, mais sélectif, à la religion. Un rapport qui s'accommodait surtout de leurs conditions de vie et de travail à l'intérieur des espaces réservés à la prostitution. Dire la shahada, pratiquer la sadaqa et l'entraide, était une manière simple et non contraignante d'être dans l'Islam et de continuer à appartenir à la communauté des croyants (oumma). Donc de repousser la marginalité imposée par le réglementarisme colonial et d'une certaine manière aussi par la religion officielle des juristes musulmans (fuqaha). Dans cette entreprise, les prostituées formaient une alliance informelle avec les zaouïas (angle ou coin d'une maison ; au début, la zaouïa ne semble avoir été que le nom donné à la rabita - ermitage où se retire un saint -, mais par extension, la zaouïa, c'est aussi l'oratoire, les salles de réunion, les cellules des disciples et des étudiants), la protection des bandits, des voleurs et des prostituées étant chose commune et fréquente dans les zaouïas maghrébines « précoloniales ». Alliance logique puisque certaines zaouïas, comme celle de Sidi Rahhal, étaient renommées pour se livrer à la prostitution sacrée, tout comme la zaouïa de Sidi Ben Arous était de même considérée comme un lieu de débauche féminine. En effet, la prostitution n'étant en Islam ni un métier ni une activité commerciale, on ne légiféra pas dessus mais on y apportait des solutions d'accompagnement. À cette protection revendiquée au sein de l'espace sacré du sanctuaire (haram) s'ajoutait aussi une proximité géographique certaine, en totale opposition avec la centralité islamique des ulémas (en général, les quartiers réservés étaient localisés à l'opposé de la grande mosquée, point axial de la cité islamique). À Kairouan, les rues et quartiers réservés étaient souvent situés près des zaouïas et la moitié des maisons de prostitution étaient érigées en biens religieux (habous). En général, les prostituées étaient symboliquement désignées par le nom du saint du quartier où elles officiaient (les filles de Sidi Abdallah Guèche par exemple). De cette proximité géographique naissait une sorte d'intimité de situation et de sensibilité. Souvent marqués d'un sceau d'étrangeté (folie, pauvreté, infirmité...), les saints et les marabouts parlent en effet un langage que les filles publiques comprennent. Au point que certaines prostituées n'hésitaient pas à se faire tatouer sur le corps des motifs rappelant le rapport privilégié qu'elles entretiennent avec un saint. Bien qu'elles s'adonnaient à la zina (à la fornication), au kif, à l'alcool, et aux jeux de hasard, les prostituées se sentaient, à juste titre, « protégées » par le droit d'asile des zaouïas et « rachetées » par le droit d'humanité des saints et des marabouts. Cet étonnant lien entre profane/ halal (l'illégalisme sexuel des filles) et sacré/ haram (le monde des zaouïas), était apparemment quotidien et continu. De même, une prostituée pouvait rendre visite à une nouvelle mariée, l'aider à se parfumer, à se farder, à se mettre du henné (« La jeune personne sera aimée, car la prostituée a entre ses sourcils, sept fleurs magiques qui attirent l'amour »). De même, dans les petites villes tunisiennes, des prostituées, profitant d'un statut souvent considéré comme transitoire (en attendant un mariage éventuel), devenaient les initiatrices sexuelles des fils de la notabilité (telles nos filles de noces d'antan). Dans ce cas de figure, les filles soumises étaient invitées aux fêtes de familles « pour égayer de propos libertins femmes et enfants » et avaient ainsi une vie sociale très développée. Il existait donc bien une réelle dichotomie entre la nécessité apparente d'intégrer ou de réintégrer, à l'intérieur de la communauté, les individus prostitués et un mépris profond pour les activités prostitutionnelles (ce mépris viendrait du fait que les prostituées sont en rupture avec la qayda, la base/ règle religieuse : les prostituées reçoivent de nombreuses sollicitations d'hommes qui les méprisent puisqu'elles ont rompu avec la qayda - qui les veut voilées, claustrées et soumises à l'autorité du père ou du mari - mais qui les incitent avec ténacité à la débauche). En Algérie (débarquée le 14 juin 1830, le 5 juillet les troupes françaises firent leur entrée dans la forteresse d'Alger, le dey capitula le jour même), le monde des courtisanes et des concubines, celui des « femmes libres » auquel était attaché ce groupe (qu'on a cru faire disparaître avec l'arrêté du 12 août 1830 qui classa les filles publiques en « officielles » et en « clandestines »), allait resurgir pour se réorganiser autour de la nouvelle économie touristique. Marginalisées par le système réglementariste et stigmatisées par ses agents, les filles soumises étaient considérées de fait comme des exclues de la société coloniale (d'autant plus que la prostitution était perçue comme une pratique qui perturbait l'ordre social de la société coloniale, que l'on voulait morale selon ses propres référents, les prostituées pouvant, elles aussi à l'occasion, grossir les rangs des mécontents et des contestataires, entretenant ainsi un lien entre pauvreté, désordre sexuel et sédition sociale). Le régime colonial se dota donc d'un certain nombre de moyens pour maîtriser, canaliser et surveiller cette pratique (notamment à cause des maladies vénériennes qui hantaient les esprits). Ainsi, au café maure de Bou-Saâda, des jeunes filles des Ouled Naïl, couvertes de vêtements et d'ornements bizarres, dansaient au son d'une « étrange musique » (pour les Blancs). Alors qu'auparavant c'était au mezouard, un agent désigné au temps de la période ottomane, qu'il revenait d'assurer la surveillance des filles publiques et de lever l'impôt (institution qui fut reconduite pendant quelques temps par l'administration coloniale), en 1850, jugé archaïque, ce système fut remplacé par la police des mœurs. On affecta alors aux filles publiques un lieu spécifique, appelé « l'Asile des Naïlia », qu'on installa sur la place, bordée d'un côté par les boutiques indigènes, de l'autre par le Commissariat de police et la « maison d'école » : le quartier réservé était né. Organisé autour d'une cour centrale entourée de seize à dix-huit cabanons, dont chacun était destiné à loger deux femmes prostituées, il était nommé localement « Beit el kabira » (la grande maison), terme qui désigne en arabe une tribu de « grande tente » ou une grande famille. Le terme tabeg el kelb, la patte levée du chien, rappelle l'image abjecte qu'avait engendrée ce lieu. Un lieu qui resta, pendant longtemps, au centre de la vie économique et sociale de la cité. Au début du XXè siècle, au moment de l'émergence de la bourgeoisie puritaine et du réformisme religieux qui s'affirmèrent avec l'évolution urbaine de la cité, on annexa au bâtiment un dispensaire infirmerie-prison. Les filles publiques furent définitivement enfermées dans ce nouvel espace, dont elles ne sortaient plus que sur autorisation. Au cours des années 1930, la population de Bou-Saada atteignit 50 000 âmes : l'urbanisation et l'euphorie touristique aidant, la topographie de la prostitution allait dès lors se modifier. Autour de « Beit el kabira », déplacée sur les berges de l'oued, allaient s'établir peu à peu des maisons de tolérance. Elles formèrent la rue de la « tolérance », appelée communément la « rue des Ouled Naïl » (la mémoire évoque plutôt, z'gag el qanqi, la rue de la Lanterne, qui fut l'une des premières à être éclairée). La rue des Ouled Naïl était, à Bou-Saada, la plus animée de la ville. En apparence bien sûr, puisque la rue de l'amour et de la joie était aussi un lieu de mort et de bagarres, il ne se passait pas un jour sans que la police ou l'armée n'interviennent. En 1932, une bagarre entre clients qui se disputaient les faveurs d'une prostituée dégénéra en une véritable révolte qui souleva presque toute la ville. L'administration centrale avait même cru à une rébellion populaire suscitée par les nationalistes. Le Gouverneur Général y dépêcha une commission pour enquêter, le lieu de l'amour vénal étant de nouveau au centre de la cité, les voies y conduisant furent murées. Une manière de dénoncer l'infamie et de s'en distancer (comme à Alger, où faute de disposer d'un espace propre à la prostitution, l'inscription « Maison honnête » au frontispice des maisons indiquait la frontière à ne pas franchir ; ou encore à Tunis, où les portes des filles publiques étaient marquées d'une teinte rouge). A Bou-Saada, le recrutement se faisait dès le jeune âge, au sein de la famille, du village ou de la tribu (Yamina, à la redoutable réputation, avait mis à son service toutes ses sœurs et ses nièces). Pour les filles, le choix était limité : naissant et vivant au quartier réservé, l'avenir était assuré, le « métier » de maman étant le seul modèle à suivre. Quant au garçon, il devait apprendre un métier en relation avec le milieu (Shaush était le métier le plus prisé, le garçon administrait alors les biens de sa mère, de sa sœur ou de ses tantes). L'initiation à la danse, point d'entrée dans la prostitution, exigeait un véritable apprentissage. Il s'agissait là de « prostitution traditionnelle », en opposition à la « prostitution sacrée » (longtemps tenue pour être à l'origine de la prostitution en Algérie). L'entreprise « familiale » ainsi bâtie, son chef n'était autre que la dame de maison selon le règlement. Elle agissait en véritable patron face à l'administration qui lui imposait un règlement et exigeait d'elle des taxes. C'est ainsi que l'administration a été confortée dans son rôle, rassurée quant aux aptitudes de ses recrues. La vie quotidienne était organisée selon un calendrier établi par l'administration : les samedis et dimanches étaient réservés exclusivement aux militaires pour éviter tout incident avec la clientèle civile. Le mardi, jour de marché à Bou-Saâda, était réservé aux clients civils, voyageurs et commerçants de passage. Le reste de la semaine les prostituées recevaient surtout les citadins. Le programme d'une journée commençait le soir où, dans une première partie, on assistait à un « spectacle banal ». Et dans une deuxième partie, qui commençait très tard, venait le spectacle « des danseuses nues ». Aucun répit n'était accordé à la fille publique de Bou-Saâda, puisqu'elle était également sollicitée par l'administration pour animer les festivités officielles : on ne manquait pas le 14 Juillet, lorsque les filles publiques, dans leurs palanquins (siège installé sur des bras inamovibles et porté par des hommes dans les pays orientaux), défilaient aux cotés des militaires dans les rues de la cité. Après ce programme chargé, auquel la fille publique était soumise pendant ses années de jeunesse, sa gloire passée, vieillie par le temps ou par l'alcool, le tabac, et toutes sortes de boissons frelatées qui faisaient partie des nouvelles pratiques adoptées au quartier réservé, elle était abandonnée. Avec plus de chance, certaines finissaient tenancières de maison de tolérance. Parfois, les plus jeunes avaient la chance d'être choisies par un homme riche ou par un amant de cœur pour des épousailles que le prophète Mohammed autorise et même recommande aux croyants. C'est un acte de bravoure qu'un musulman se doit de faire pour sortir une femme de la déchéance (même s'il y a davantage de mépris porté à ces « épouses » que de respect pour la bravoure de l'homme). Leur réinsertion au sein de la société locale n'était pas chose évidente, ni acquise d'avance : elles y étaient admises - ou réadmises - à travers des rites de passage. Elles devaient emprunter des savoirs aux épouses-mères (celles dont les épousailles supposent des alliances entre groupes, la cousine étant la plus privilégiée), comme le tissage et la cuisine qui constituent un gage de reconnaissance. Conscientes de la fragilité de leurs atouts, elles cherchaient à se replacer dans la société comme bonnes ménagères. Les autres épouses, quant à elles, n'étaient pas indifférentes à la façon d'être de leurs nouvelles concurrentes, leur empruntant l'art de l'entretien du corps et de la séduction. Ce sont là des échanges qui montrent combien la société locale s'accommodait de ses déviantes : elle n'encourageait pas la prostitution qu'elle stigmatisait par toutes sortes de méthodes, verbales ou non, mais elle ne l'excluait pas complètement ; elle la tenait plutôt en respect. Au sein de la société locale, prostituée ou pas, la femme restait marginalisée, qu'elle soit dans la condition d'épouse-mère pour assurer la descendance ou dans un statut de femme de plaisir pour que puissent être assouvis les besoins sexuels masculins. Ballottée entre deux sociétés, la femme « indigène » restait donc une laissée pour compte. Ces pratiques qui viennent d'être décrites étaient méprisées par la société coloniale qui avait du mal à les comprendre et à les percevoir. Jusqu'au moment où la raison économique allait l'emporter : « L'Ouled Naïl » (un terme générique qui englobait des statuts de courtisane, concubine, danseuse et prostituée) allait répondre à cette demande. Les traditions prostitutionnelles, méprisées parce que représentatives d'une société « arriérée », furent reprises pour le compte et dans le cadre d'un tourisme « folklorisé ». Le syndicat d'initiative de Bou Saada inséra la « rue des Ouled Naïl » dans son programme de visite comme une « attraction touristique », et fit de la maison de tolérance une « maison de danse ». Une mise en scène dans laquelle la fille publique, consciente plus que jamais de son nouveau rôle, mit à contribution tout son savoir-faire. Mais le commerce sexuel n'était pas la seule chose visée, le syndicat d'initiative ayant introduit dans ses programmes des attractions essentielles, telles les soirées m'bita, nuitées de chants et de danses : les filles publiques exécutaient, pour les touristes, des danses locales, telle la danse naïli, accomplie par deux femmes qui vont et viennent en une démarche glissante et légère, ou la « danse de la bouteille » (danse étrangère à la tradition locale, qui fit son apparition pour la première fois au quartier réservé), où la danseuse portait une bouteille d'alcool en équilibre sur sa tête. La danseuse ne pouvait se présenter à son public et à ses clients qu'affublée du costume « traditionnel », costume qui ne diffère guère de celui des autres femmes. Mais il y avait bien sûr des spectacles plus attrayants, comme la « danse nue » : elle était exécutée en seconde partie du programme de la soirée, moyennant un supplément (aujourd'hui, certaines anciennes danseuses comptent parmi les notables les plus fortunées de la cité). Finalement, ce tourisme du « Ouled Naïl » reposait sur un mythe solidement échafaudé qui mit en échec la loi française du 13 avril 1946 (dite loi Marthe Richard) relative à la fermeture des maisons de tolérance.

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• Animateur : Justement, en France, c'est à la suite de la Seconde Guerre Mondiale que les choses allaient concrètement changer.

• Historienne : En effet, même si dès 1935 il y eut un premier projet de loi visant la fermeture des « maisons », présenté par Henri Sellier, ministre de la Santé Publique sous le gouvernement de Front Populaire. Il fut adopté par l'Assemblée nationale, mais le projet fut rejeté par le Sénat (conservateur certes, mais d'habitude pas dans ce genre de sens). Il faut dire que les tenanciers disposaient de moyens de pression sur une partie du personnel politique qui, habitué de leurs établissements, dévoilait du coup ses petites manies sexuelles. Comme la prostitution accompagnait toujours les armées en campagnes (voire y était même organisée, comme à Bangkok lors de la guerre du Vietnam), les nazis firent fonctionner, entre 1940 et 1944, une véritable machinerie du sexe tarifé à l'usage de leurs soldats stationnés en France (les « maisons de tolérance » étant assimilées aux « spectacles de 3è catégorie » et obtenant leur rattachement au « Comité d'organisation professionnelle de l'industrie hôtelière »), Vichy assurant à la fois l'ordre moral, la surveillance policière des établissements (la « collaboration horizontale » n'étant pas seulement affaire de sexe, mais aussi d'argent et de répression), et la surveillance médicale de leurs employées. Dès l'avènement du Maréchal, puis l'entrée des contingents d'occupation sur le territoire national, les pouvoirs publics, français et allemands, firent de la réglementation de la prostitution une priorité : la rue pour les plus jeunes, les maisons « civiles » pour les irritables, les bordels allemands pour les mieux élevées. Prophylaxie des maladies vénériennes intensifiée de concert avec les nazis, mais pas seulement. Le gouvernement de Vichy imposa peu à peu un réglementarisme singulier, conférant à la maison de tolérance, sanitairement plus sûre, une forme d' « exclusivité » du commerce vénal : les tenanciers furent accueillis au sein des structures corporatives hôtelières, puis ils devinrent imposables fiscalement (1941-1942). Plus encore, l'État pourchassa les proxénètes, intermédiaires gênants dans ce nouvel organigramme et désignés comme les « responsables masculins de la défaite » (1940 et 1943). Pour autant, beaucoup de filles ne racolaient pas publiquement mais exerçaient en maison, ceci freinant considérablement l'ouverture d'une instruction du fait que la loi du 20 juillet 1940 restreignait la définition du souteneur à celui qui protège... le racolage public (même si l'on pouvait tout autant comparaître au titre de l'article 334 du Code pénal pour avoir fait office d'intermédiaire). Ainsi, toutes les femmes « en carte » draguant des soldats allemands en-dehors des maisons closes estampillées Wehrmacht ou tenue par elle (les FTP, résistants communistes, prirent volontiers pour cible les bordels, une manière comme une autre de nuire au moral de l'ennemi), étaient considérées comme un risque pour la sécurité, certaines prostituées patriotes venant en aide aux résistants (à qui elles donnaient des informations glanées sur l'oreiller, qu'elles cachaient ou dont elles abritaient certaines réunions). La règle était les « maisons d'abattage », temples du sexe à la chaîne, où des malheureuses promises à une décrépitude physique accélérée et aux maladies vénériennes, devaient contenter jusqu'à soixante hommes par jour en dix heures au moins d'activité. 1 500 femmes étaient encasernées à Paris dans des maisons closes et 6 600 autres exerçaient à même le trottoir (un nombre en baisse puisque six ans plus tôt on en comptait 8 000). Beaucoup étaient mineures, la majorité étant alors de 21 ans, et une grande majorité d'entre elles était atteinte de maladies vénériennes (astreintes réglementairement à une visite médicale hebdomadaire, seules 500 se présentaient, accueillies par seulement trois médecins). On comptait également 1500 lupanars dans toute la France, dont 200 pour la seule ville de Paris. Le secteur du plaisir tarifé constituait donc une entité économique non négligeable, doublée d'un lobby qui savait défendre ses intérêts (avec un « syndicat » occulte des bordeliers, l'Amicale des maîtres d'hôtel de France et des colonies, siégeant dans l'arrière-salle d'un café de la porte de Clichy, et regroupant les gros s-exploitants). Une réalité qui émut Marthe Richard, conseillère municipale de Paris (une des 9 élues femmes sur 88 dans la foulée de la Libération) mais personnage au passé tumultueux. Née en 1889 dans la Meurthe-et-Moselle, elle quitta le domicile familial pour s'en aller vivre la grande vie ... c'est-à-dire tapiner sur le trottoir nancéen avant d'échouer au bordel. Arrêtée, fichée par la police des mœurs, elle se découvrit syphilitique, ce qui ne l'empêcha pas de repiquer au tapin, à Paris dès 1907. Femme d'avant-garde, elle fut la sixième Française à décrocher le brevet de pilotage d'avion. Ecartée pendant la guerre par Vichy, où elle tentait de faire son trou, Marthe se retrouva FFI à l'été 1944 puis conseillère municipale de Paris. La Libération survint à temps pour mettre fin au cauchemar des tripots malfamés, et le rêve des uns fit les mauvaises nuits des autres. Nombre d'établissements s'étant montrés « tolérants » (et bien plus) sous l'Occupation (la France étant considérée comme une zone de repos pour les soldats allemands venant du front de l'Est), à partir de l'été 1945, Marthe Richard lança une véritable croisade contre les maisons closes. L'époque s'y prêtait plutôt bien : quelques mois plus tôt, certains patriotes (souvent tardifs) avaient mis les bouchées morales doubles, tondant en public les « traîtresses » coupables d'avoir pratiqué la « collaboration horizontale » avec les Allemands. Ainsi, soucieux de rattraper son retard à l'allumage côté Résistance, le parti communiste se lança dans un ultranationalisme virulent, lequel allait de pair avec un moralisme non moins agressif (la compagne de Maurice Thorez, secrétaire général du parti, conjuguant bientôt antiaméricanisme et lutte contre la libre sexualité ou le contrôle des naissances, « armes de l'impérialisme » ; l'URSS aurait fait disparaître, entre autres maux hérités du capitalisme, prostitution et homosexualité). Marthe Richard présenta donc son projet au conseil municipal de Paris le 13 décembre 1945, sous l'œil placide du président de séance André Le Trocquer (qui, ironie du sort, tombera en 1959 dans l'affaire de mœurs dite des « ballets roses », une affaire de prostitution de mineures). Le public y était presque entièrement composé de tauliers, de macs et de putains (avertis par leurs indics dans les milieux politiques). Le 17 décembre, le préfet de police de Paris se rangea publiquement aux raisons de Marthe Richard, décidant la suppression des maisons de tolérance dans le département de la Seine. Le président Le Trocquer semblait moins convaincu, il multiplia les artifices de procédures pour retarder le vote, qui fut un triomphe pour Marthe Richard avec 69 voix pour et une seule contre (un politique client d'un boxon sadomasochiste). Quinze jours plus tard, le dossier fermeture fut propulsé au niveau national. Voté le 17 décembre 1945, l'arrêté préfectoral fermant les maisons closes dans le département de la Seine fut publié le 21 janvier 1946, le lendemain de la démission de De Gaulle (en guerre ouverte avec l'Assemblée constituante). Le 9 avril, la proposition de loi arrive enfin en discussion. Le 13 avril, la loi stipulant que toutes les maisons de tolérance seront interdites sur le territoire national fut promulguée, accordant un délai de six mois pour fermer les maisons. Sa campagne anti-maisons closes lui valut des attaques du lobby des tauliers (qui devaient déjà participer à la reconstruction du pays en payant l' « impôt de solidarité national »), associé à la police (qui d'autre serait au courant de son fichage d'antan à la Mondaine ?), son passé tumultueux (héroïnomane, arriviste, mythomane, collabo, résistante) remontant à la surface.

• Animateur : Pourtant, cette solution n'en fut pas réellement une, ni à long terme ni même à court terme ?

• Historienne : Persuadée de tirer un trait sur ce passé sulfureux, la classe politique (qui avait également quelques accointances avec le milieu) décida la fermeture des maisons closes. Mais les politiques ne réalisèrent pas alors qu'ils ouvraient ainsi la boîte de Pandore, la prostitution non contrôlée proliférant, pour le plus grand profit des proxénètes. La fermeture des maisons closes en avril 1946 fut ainsi ressentie comme une grossière erreur par les policiers, les proxénètes « accrédités » étant leurs meilleurs informateurs (pour prix de leurs services, ils obtenaient un « condé », l'oubli d'un délit, la faculté de violer impunément la réglementation) et les tauliers/tenancières étant leurs meilleurs auxiliaires dans ce milieu où le crime est souvent lié à la débauche. Avec la fermeture des « maisons closes », il y eut un renforcement de la lutte contre le proxénétisme, la création du délit de racolage, la création du fichier sanitaire et social de la prostitution et de la surveillance médicale des personnes prostituées, ainsi que des dispositions pour la « rééducation » des femmes prostituées. Mais chassez la prostitution et celle-ci revient au galop : un an à peine après la fermeture, la police recensait déjà 200 lupanars clandestins (sans compter les bordels militaires fonctionnant dans les ports et villes de garnison - à la Légion étrangère, on appelait le lupanar un « pouf »). De fait, dès 1947, il y eut des tentatives de réouverture des « maisons de tolérance », avec toutefois un vernis d'humanisme puisque la France adhéra à la Convention Internationale du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui ... mais ne la signa pas. Ratifiée finalement en 1960, la France avait pour autant crée en 1958 l'Office Central pour la Répression de la Traite des êtres humains (OCRTEH) dans le cadre du ministère de l'Intérieur, et modifia sa législation : intensification de la répression du proxénétisme (la cohabitation avec une femme prostituée devint un délit - d'où l'impossibilité pour elles d'avoir une « vie de couple normale ») ; création de la contravention dite « racolage passif » ; suppression du fichier sanitaire et social de la prostitution et de la surveillance médicale des personnes prostituées ; prévention et réinsertion des personnes prostituées. Les années de libération sexuelle virent le vieux débat revenir sur le devant de la scène, notamment avec en 1970 la proposition de réouverture des maisons closes (dénommées « cliniques sexuelles ») lancée par le docteur Claude Peyret, député UDR de la Vienne, et Jacques Médecin, député PDM, maire de Nice, mais plus étonnant encore avec le retour de Marthe Richard, cette fois pour proposer en 1972 d'ouvrir des « Eros Center » (accompagnée en cela par Kurth Köhls, un promoteur allemand et Jacqueline Trappler, qui se prostituait à Mulhouse). Mais ce fut également l'année du début de la fiscalisation des revenus des personnes prostituées.

• Animateur : Justement, à la libération sexuelle de tout un chacun allait succéder la Révolution des « mœurs légères » !

• Historienne : Qui plus est en 1975, année internationale de la Femme ! C'est d'ailleurs la première fois qu'il y avait participation à visage découvert de femmes prostituées, notamment avec « Ulla » dans l'émission télévisée des Dossiers de l'écran (à grand audimat). Ce que l'on a appelé plus tard la « Révolution de la prostitution » apporte non seulement un éclairage sur les conditions du passage à l'action collective d'une population aussi marginale et stigmatisée que les prostituées, mais aussi sur leurs rapports difficiles avec le travail social de l'époque (bien qu'elles avaient vu des éducateurs en maison maternelle ou en prison, qu'elles avaient connu des assistantes sociales, elles estimaient que cela n'apportait absolument rien, non que le personnel social n'accordait pas l'aide demandée, mais plutôt que les papiers traînaient des mois et des mois), sur la dimension affective qui imprégnait leur rapport à leurs éventuels proxénètes, ainsi que sur l'impitoyable stigmatisation que produisait alors une attitude policière centrée sur le fichage et la répression. En fait, le mouvement de 1975 survint à Lyon (puis fit tâche d'huile), dans un contexte spécifique de déstabilisation du milieu prostitutionnel après la mise à jour de divers scandales politico-financiers entre policiers et proxénètes lyonnais et par la poursuite plus sévère des prostituées par la justice et le fisc. La lutte des prostituées a débuté au printemps 1975. Cette action était destinée à protester contre la répression policière dont les prostituées lyonnaises étaient alors victimes : verbalisées plusieurs fois par jour pour racolage passif et régulièrement raflées, celles-ci étaient depuis peu menacées de peines de prison ferme en cas de récidive dans le délit de racolage, ce qui exposait celles qui étaient mères de famille à perdre la garde de leurs enfants. Trois jeunes filles avaient été frappées par cette loi. Alors les prostituées décidèrent que ces jeunes filles n'iraient pas en prison, et de ce fait, ont caché ces femmes. Et de là s'est déroulé tout un système qui a fait que les péripatéticiennes en avaient ras-le-bol parce qu'elles ne pouvaient plus travailler, ayant constamment sur le dos la police à la recherche des fuyardes. Pour un oui, pour un non, il y avait un « emballage » qui n'avait aucune raison. Leur ras-le-bol de la répression policière était très fort, mais affleurait aussi leur désir de parler d'elles, de leur vie, de leur santé, de leurs problèmes afin de faire tomber les préjugés qui les dégradent (la honte, la culpabilité, la méfiance, le refus d'une médiatisation racoleuse et d'une exploitation mercantile de leur souffrance). Les prostituées voulaient ainsi que l'opinion publique sache exactement ce qu'est une femme prostituée, que l'on supprime ce mythe de la prostituée au coin de la rue, bien maquillée, sans famille, sortant des bas-fonds, sans instruction, la bête, le sexe, et c'est tout : elles voulaient montrer qu'il y avait une tête, qu'il y avait un cœur, un sexe aussi, bref que les gens s'informent, parce que les prostituées étaient trop marginales. Par exemple, il y a une loi que les filles font elles-mêmes : si un gars tombe pour elles, c'est-à-dire si ce gars va en prison parce qu'il leurs a offert une amitié ou de l'amour ou de l'affection, leur point d'honneur est de l'assister en prison. Lorsqu'il ressort, qu'il est délinquant, qu'il ne trouve pas de boulot, elles continuent à l'aider même s'il n'y a plus rien entre eux. Alors là, ça en faisait un proxénète car on n'acceptait pas qu'une prostituée soit avec un homme à qui elle peut trouver autre chose que ce qu'elle trouve sur le trottoir, un peu d'intimité avec quelqu'un. Dans la même veine, à l'époque, lorsqu'une femme voulait se retirer de la prostitution, il fallait qu'elle aille se faire déficher, alors que le fichage (photographies et empreintes) n'était pas censé exister (du moins au motif de prostitution, donc les filles étaient fichées en tant que délinquantes). Beaucoup considéraient d'ailleurs que c'était la police qui les avait forcées à continuer de se prostituer, car parce qu'elles étaient fichées, c'était terminé ! Une centaine de prostituées lyonnaises, emmenées par leurs leaders Ulla et Barbara, décidèrent ainsi d'occuper en juin l'église Saint-Nizier à Lyon, d'abord parce que l'église était le seul endroit où les forces publiques ne pouvaient les sortir. Les prostituées étaient d'ailleurs soutenues par les catholiques du Nid et par des féministes qui faisaient le parallèle entre mariage et prostitution et pour lesquelles la prostitution était le paradigme de l'oppression d'une classe de sexe sur l'autre. Le Mouvement du Nid était certes l'allié privilégié des prostituées, mais il voulait les inscrire dans un mouvement de « conscientisation », pour favoriser la prise de conscience de leur « aliénation ». Leur influence se lut dès le début du mouvement dans la présentation publique des prostituées comme mères avant tout. L'encadrement social de la prostitution s'était mis en place au début des années 1960 lorsque que la France s'est ralliée aux thèses abolitionnistes (faisant ainsi reculer les positions dites règlementaristes) en acceptant de ratifier la convention de l'ONU de 1949 « pour la répression et l'abolition de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui ». Redéfinie juridiquement, la sexualité vénale devint une activité privée et seul le racolage était poursuivi. Les prostituées étaient considérées comme des victimes souffrant de handicaps socioculturels et étaient prises en charge par les travailleurs sociaux. Des associations privées, dont l'Amicale du Nid, fondée dans la mouvance des catholiques sociaux, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, s'occupaient du traitement social de la prostitution. L'Amicale du Nid, composée de travailleurs sociaux salariés, était issue d'une scission, intervenue en 1971, avec le Mouvement du Nid, association fondée en 1949 dans la mouvance de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) et dont les militants, entendant œuvrer pour un « monde sans prostitution », assuraient sur les trottoirs une présence humaine auprès des prostituées en détresse. Les membres du Mouvement du Nid ont joué un rôle important lors de la révolte des prostituées en mettant leurs compétences et savoir-faire militants au service de prostituées novices en matière d'action collective protestataire. Le considérable, et largement inespéré, retentissement médiatique de cette occupation rallia non seulement aux prostituées lyonnaises le soutien de plusieurs organisations politiques, syndicales et féministes, mais il incita également les prostituées d'autres villes (Paris - suite à la fermeture du service « Saint Lazare » où les femmes prostituées étaient conduites après les rafles par la police -, Grenoble, Marseille, St-Etienne et Montpellier notamment) à occuper à leur tour des édifices religieux, ce qui a contribué à ce que les filles se resserrent vraiment. Alors que le gouvernement n'aurait jamais pensé que les prostituées lyonnaises se révolteraient à ce point, et surtout qu'elles tiennent le coup aussi longtemps (dix jours), refusant de répondre aux demandes de négociation des prostituées (la secrétaire d'Etat à la Condition féminine de l'époque, Françoise Giroud, s'était déclarée « incompétente »), le gouvernement mit fin aux occupations par une évacuation brutale des églises par la police au matin du 10 juin. Critiqué pour cette brutalité et pour son indifférence au sort malheureux des prostituées, le gouvernement tenta alors de restaurer son image en confiant une mission d'information sur la prostitution au Premier magistrat de la Cour d'appel de Versailles, Guy Pinot. Les prostituées, de leur côté, ne s'avouaient pas vaincues et, tout en acceptant de se rendre aux consultations ouvertes par G. Pinot, tentaient de maintenir leur mobilisation en vie par une série de meetings (à la Bourse du travail de Lyon en juin et à la Mutualité de Paris en novembre) ainsi que par des actions protestataires sporadiques, telles le bombage à la peinture de sex-shops accusés d'être, bien plus qu'elles, des « incitateurs à la débauche ». Malheureusement pour elles, les obstacles que rencontre toute action collective d'une population dépourvue de tradition et de savoir-faire en la matière eurent rapidement raison de leur ardeur militante. Incapables de se doter d'une organisation stable apte à relayer leurs revendications dans la durée, affaiblies par des dissensions internes, les prostituées subirent également le contrecoup de la défection d'Ulla et de Barbara qui préférèrent le retrait de la prostitution et l'écriture d'ouvrages autobiographiques à la poursuite de la lutte. Dans le même temps, le « rapport Pinot », remis au gouvernement en décembre 1975 mais dont les recommandations ne furent jamais examinées, fut « enterré ». Peu après, un vaste réseau de proxénétisme fut découvert à Paris et sa responsable, « Madame Claude », devint une célébrité. En parallèle, pour défendre « la liberté et la dignité des femmes prostituées », des hôteliers marseillais qui s'étaient enrichis dans les quartiers de prostitution créèrent une association nommée Association de soutien des commerçants de Marseille. Ulla, leader du mouvement lyonnais de 1975, reconnaît aujourd'hui avoir agi sur ordre des proxénètes du milieu local. Respectivement considérées comme la chef de file et la « numéro 2 » du mouvement, Ulla et Barbara ont en grande partie construit leur légitimité de leaders sur leur capital scolaire de niveau bac, supérieur à celui de la moyenne des autres prostituées, ainsi que sur leur position relativement favorisée au sein de la hiérarchie interne au monde de la prostitution (liens avec le milieu des proxénètes pour la première, spécialisation dans la clientèle masochiste pour la seconde). Dans le cas d'Ulla, il existait des liens étroits, quasi indissolubles, entre elle et celui qui fut à la fois son mari, le père de sa fille et son souteneur. Liens qui passent par l'amour, les coups, les affaires tordues, les humiliations incessantes, mais aussi l'argent, les voitures de course, le luxe, accompagnés de l'insécurité et de l'errance. Ulla montre à l'envie que la prostitution n'est pas un métier comme un autre et surtout l'extrême difficulté, pour celles qui le souhaitent, à sortir du cercle prostitutionnel. Cette difficulté tient autant à une société où il est difficile d'échapper à son passé de prostituée, qu'aux liens personnels et étroits qui unissent les « protégées » et leurs proxénètes. Dans le cas d'Ulla, mais c'est vrai aussi pour d'autres, les proxénètes ont été de véritables soutiens, voire plus, au mouvement qui leur permettait de desserrer l'étau étroit du fisc et de la police d'alors (intensification de la répression du proxénétisme avec les lois des 9 avril - avant le mouvement - et 11 juillet - après). Ce fut le point aveugle du mouvement de 1975. Après le mouvement, il y eut le collectif des femmes prostituées. Il était important car ce n'était plus une ou deux personnes, mais il regroupait toutes les jeunes femmes qui étaient mises en cause, qui se sentaient touchées par le problème. De fait, les femmes ont eu à se connaître, à s'aimer, à se comprendre, choses souvent très dures dans ce milieu de compétition (plus entre proxénètes qu'entre filles, mais quand même). Alors qu'auparavant une femme qui était convoquée à la police y allait et se débrouillait toute seule, après la révolte elle était accompagnée de ses consœurs. Automatiquement les flics leur fichaient davantage la paix, les laissant un peu plus tranquilles. Après le mouvement, en 1978, Joël le Tac, député du 15e arrondissement de Paris, présenta une proposition de réouverture des « maisons ». En 1990, les associations de prévention se réclamant d'une démarche de santé communautaire après l'apparition du virus du Sida, firent ressurgir la question du contrôle sanitaire des prostituées. Michèle Barzac, médecin, ministre PS de la Santé, présenta un projet de réouverture des maisons closes. En 1994, la réforme du Code Pénal supprima la pénalisation pour cohabitation avec une personne prostituée (en parallèle, des faits de proxénétisme pouvaient être qualifiés de crime) ainsi que la pénalisation pour « racolage passif ». En bref, les choses n'avaient pas tant évolué que ça, même si certains fondamentaux furent apaisés !

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Il faudra attendre la Révolution française puis les mœurs « faciles » du Directoire pour voir l'utilisation et le commerce du préservatif légalisés. Des boutiques, telle celle de Gros Millan, autour du Palais-Royal, se spécialisent dans la vente de cet article encore élitiste. Ce commerce, pour lequel les vendeuses étaient entraînées à avoir l'œil juste pour évaluer les tailles afin de ne vexer personne, devint rapidement des plus florissants. C'était l'époque où les longueurs des préservatifs étaient multiples et les hommes souvent vantards. Il fallait savoir discerner le client prétentieux de celui qui, par manque d'assurance, pouvait induire en erreur le marchand, le conduisant à sous-estimer la taille.

Les préoccupations des Révolutionnaires orientèrent le préservatif sur un autre terrain que celui du seul plaisir : le contrôle des naissances préoccupait déjà, la fécondité étant en baisse sensible. Condorcet le confirme en 1793, tout en affirmant que la limitation des naissances sera nécessaire, conséquence de l'augmentation de l'espérance de vie. Cinq ans plus tard, en Grande-Bretagne, Malthus publie un essai établissant que la population s'accroît plus rapidement que les richesses naturelles. Le malthusianisme prône donc la limitation des naissances, essentiellement par l'abstinence, seule façon à ses yeux d'éviter la misère. Pourtant, à cette époque, le préservatif devient dans de nombreux esprits ouvertement contraceptif : ayant été reconnu utile pour la prévention des infections, ce n'est que plus tard que son utilité contre les grossesses non désirées fut reconnue. Dans le courant du XIXè siècle, une amélioration sera apportée au préservatif, lorsque le lin sera trempé dans une solution chimique et ensuite séché avant emploi. Ce fut les premiers spermicides sur les condoms.

 

Personne n'avait songé à discuter l'étymologie du substantif « Condom » lorsqu'en 1817, le médecin allemand François Xavier Swediaur, né en Autriche en 1748, affirma que ce nom de Condom était celui de l'inventeur de l'ustensile, le docteur Condom, médecin anglais du XVIIIè siècle. Ce Docteur Swediaur était célèbre : installé à Paris depuis les premiers jours de la Révolution après avoir travaillé à Londres et publié de nombreux ouvrages en latin, en anglais et en français, lié avec Danton, il se fit naturaliser français. Spécialiste des maladies vénériennes, son œuvre principale publiée en 1798 est un « Traité complet des maladies syphilitiques ». Voici un extrait de son texte : « Condom : nom d'un Anglais, inventeur de ces petits sacs destinés à préserver contre les suites d'un coït impur et qui ont gardé le nom (…). C'est un nommé Condom qui a inventé les fameuses enveloppes ou gants, connus aujourd'hui en Angleterre par un usage très répandu sous le nom de condoms et à Paris sous celui de redingotes anglaises. Ces petits sacs, qui réunissent à l'avantage de garantir parfaitement bien la partie celui de n'avoir aucune suture, se font avec de l'intestin cæcum des agneaux, lavé, séché et ensuite rendu souple en le frottant avec les mains, avec du son et un peu d'huile d'amandes. Une telle découverte qui, par son utilité, mériterait à son auteur toute la reconnaissance des hommes éclairés, n'a fait que le déshonorer dans l'opinion publique, il a même été obligé de changer de nom… ».

Le docteur Condom, médecin de Charles II d'Angleterre, aurait le premier démontré le rôle contraceptif du préservatif. Certains prétendent qu'il était médecin, d'autres colonel et que Charles II était tellement ravi de cette invention qu'il le fit Chevalier. Tout laisse cependant à penser que le docteur en question n'ait jamais existé, si ce n'est dans l'imagination de Swediaur. La première mention de ce nom se trouve dans « A Scots answer to a British vision », un poème qui fut probablement écrit par John Hamilton en 1706. Très vite, de nombreux anonymes se manifestent et, en 1708, le poème « Almonds for parrots » (« Amandes pour perroquets ») laisse échapper ces quelques mots peu encourageants : « cette heureuse invention (…) éteignait la chaleur du feu de Vénus et préservait la flamme du désir de l'amour ». Plusieurs théories circulent quant à l'origine du nom « Condom ». Pour l’allemand Richter, le mot viendrait, selon ses recherches, du mot perse Kendü (ou Kondü) qui serait un réceptacle, en intestin animal, utilisé par les paysans pour y entasser le blé. Une autre version de l'origine étymologique du condom affirme que cette invention serait le fait des bouchers des abattoirs de la ville de Condom, au cœur du Gers (traversée par la rivière Baïse) qui eurent l'idée, grâce à des morceaux d'intestins d'animaux, de se prémunir contre les maladies vénériennes. Si les abattoirs, et donc les bouchers, étaient particulièrement nombreux dans la région, rien ne permet d'affirmer que ces derniers sont responsables de la découverte du mot ou de l'objet qui s'y rattache. Le nom condom donné à ses fourreaux serait, en fait, la simple transcription du nom condum, choisi par les Anglais et provenant du verbe latin « condere », qui signifie cacher, protéger ou du mot latin « condus », qui veut dire « respect » (sachant que « con / cuni » signifie autant le vagin qu’un lapin).

Les noms de « Condom » et « Redingote anglaise » furent dans le langage courant remplacés par « Capote anglaise », encore employée de nos jours. On le rencontre dès le Second Empire dans le premier vers de l'une des poésies de Théophile Gautier, publiées clandestinement à Bruxelles en 1864, sous le titre de « Parnasse satyrique du XIXè siècle » : « Ainsi qu’une capote anglaise Dans laquelle on a déchargé, Comme le gland d’un vieux qui baise, Flotte son téton ravagé ».

Conçu à partir d'un intestin animal, un préservatif français d'environ 20 centimètres et datant du début XIXè siècle possédait un galon de soie lui permettant d'être maintenu sur le sexe. Mais ce qui en fait une pièce historique à part entière demeure la scénette présente sur le préservatif : une religieuse désignant d'un doigt assuré, parmi trois ecclésiastiques en érection, son futur amant, annonce : « Voilà mon choix ! ».

En membrane animale, les préservatifs pouvaient être réparables. Le texte suivant, datant de 1808, en est la preuve : « Si la membrane travaillée a été légèrement perforée, alors on bouche les trous en collant des lambeaux membraneux dessus et de pareils condoms sont souvent vendus sans garanties. On s'aperçoit de ces reprises à l'éclat particulier de la colle lorsqu'on examine la membrane du côté des retouches à l'intérieur de la capote. L'humidité détache souvent pendant le coït les pièces collées sur les trous et la membrane même la mieux raccommodée peut alors se déchirer complètement au moment où son intégrité importe le plus ».

 

Au XIXè siècle, Thomas Malthus constata que la courbe des naissances dépassait la courbe des subsistances. Il prôna le recours à un contrôle des naissances qui n'empêcherait pas le plaisir. À l’opposé, les Révolutionnaires étaient également préoccupés par le contrôle des naissances, mais parce que la fécondité était en baisse sensible. Condorcet le confirma en 1793, tout en affirmant que la limitation des naissances sera nécessaire, conséquence de l'augmentation de l'espérance de vie. Sous Napoléon, en 1810, l’article 317 du Code pénal stipule que l'avortement n'est plus assimilé à un infanticide même s’il est un crime passible de la Cour d'assises, la France voulant voir croître sa population. En 1820, le code pénal français met dans le même sac celles qui avortent et ceux ou celles qui les aident puisqu'il punit de réclusion les personnes qui pratiquent, aident ou subissent un avortement. Les médecins et les pharmaciens sont condamnés aux travaux forcés.

À partir de 1850, on peut percevoir la montée progressive d'un hédonisme sexuel dans la population : les pratiques sexuelles se sont peu à peu libéralisées et diversifiées, le rapport au corps s'est fait moins prude, les relations prénuptiales et extraconjugales plus fréquentes. La période 1850-1950 marque ainsi un tournant essentiel dans la généralisation de la limitation des naissances par la méthode masculine du coït interrompu, ce qui implique un changement considérable dans les pratiques sexuelles.

 

En 1827, au Japon, le préservatif était connu en tant que Kawagata (ou Kyotai) et était fabriqué en cuir. À côté de cela les Japonais utilisaient aussi des préservatifs en écaille de tortue ou en corne. Le préservatif de caoutchouc est né lui après l'invention de la vulcanisation par Goodyear en 1839. En 1790, Samuel Peal, un industriel britannique, brevète une méthode permettant, en mélangeant de la térébenthine avec du caoutchouc, d'imperméabiliser des tissus. En 1811, l'Autrichien Johann Nepomuk Reithoffer fabrique les premiers produits en caoutchouc. En 1823, la découverte du procédé d’imperméabilisation des tissus par dissolution du caoutchouc dans un solvant (du naphte porté à ébullition) permet au chimiste écossais Charles Mac Intosh de confectionner les premiers imperméables. Il se mettra à fabriquer industriellement en 1870 des capotes en caoutchouc appelées « feuilles anglaises » (« French letters » en Angleterre). Devant l'ampleur du succès, 80 ouvriers de l'usine s'affairaient à confectionner, l'été, des ballons pour enfants et, durant l'hiver, des préservatifs. Un marché porteur, puisque Mac Intosh exportait deux tiers de ses capotes, les meilleures vers la Russie et l'Autriche, et, sans raison apparente, les moins fiables vers l'Espagne, le Portugal, l'Italie et la France. Les frères Goncourt en parlent en 1887 dans le « Journal des Goncourt », sous l’appellation de « Capote anglaise » : « Léon Daudet, qui m'accompagne et qui a assisté à l'ouverture de la maison de Hugo, disait que les armoires étaient bondées de "Capotes anglaises" d'un format gigantesque...et que c'était gênant de les faire disparaître en la présence de Madame Charles Hugo...! ».

En 1842, Charles Goodyear découvre la vulcanisation, qui permet de stabiliser le caoutchouc afin qu'il résiste mieux aux écarts de température. En 1853, l’Américain Hiram Hutchinson achète les brevets de Charles Goodyear et adapte le caoutchouc aux bottes. En 1843-1844, Goodyear et Hancock commencent la production en masse de préservatifs fait à base de caoutchouc vulcanisé (il faudra attendre 1868 pour que les pneus pleins pour vélocipèdes soient inventés). La vulcanisation est un procédé qui transforme le caoutchouc brut en produit élastique, permettant des préservatifs plus résistants et réguliers en épaisseur que les boyaux animaux.

Une deuxième révolution dans la production de produits en caoutchouc, dont le préservatif, est l'utilisation du latex liquide à la place du caoutchouc. Les techniques de production connaissaient également une évolution grâce à l'automatisation. Le premier à utiliser ces techniques était British Latex Products qui s'appellera plus tard London Rubber Company [rubber vient de robre, le rob étant un suc épaissi et rendu pur de plantes ou fruits cuits ; le mot d’ancien français rober (dérober) s’appliquait aussi au jeu, étant un ensemble de plusieurs parties de bridge]. Vers 1880, le premier préservatif en latex est produit mais il faudra attendre les années 1930 pour que son utilisation se répande. Il est d’ailleurs à noter que de nombreux hommes (tels les Hollandais, les Anglais ou les Américains), continuent d’utiliser encore aujourd’hui des boyaux, ces utilisateurs estimant qu’ils apportent plus de plaisir.

 

Cette « officialisation » de la capote va donner des ailes à de nombreux opportunistes. C'est ainsi qu'apparaissent, en 1883 sur le marché Petticoat lane, en Angleterre, des boîtes de préservatifs arborant le visage de la reine Victoria ou celui du Premier ministre Gladstone. En 1889, Paul Robin crée à Paris le premier centre d'information et de vente de produits anticonceptionnels. Mais la vente de préservatifs reste confidentielle, destinée prioritairement aux filles de « mœurs légères » ou aux soldats. Naissent également des réclames pour des « vêtements imperméables à usage intime », au sein de publications légères, voire grivoises. Ces magazines, aux titres évocateurs tels que « Pour lire à deux », gardent toujours une colonne libre pour annoncer les nouvelles créations de la marque Excelsior (comme des préservatifs en baudruche blanche – pellicule de boyau de bœuf ou de mouton ; le ballon de baudruche moderne a été inventé par le scientifique Michael Faraday en 1824, généralement en latex –, garanties incassables) ou de la Librairie de la lune, maisons spécialisées dans l’« hygiène », ainsi que la sortie de leurs nouveaux catalogues de vente par correspondance destinés à ceux qui, trop timides, n'osent aller en pharmacie.

La richesse et la diversité des produits de ces maisons n'ont rien à envier au catalogue de la célèbre et contemporaine Condomerie d'Amsterdam : préservatifs parfumés, aux formes et textures des plus surprenantes (premiers « bibis chatouilleurs », « porc-épics » et autres capotes aux extrémités fantaisistes), avec réservoir (c'est une nouveauté en 1901), ne couvrant que le gland (« bonnet fin de siècle », « capuchon », « bout américain ») ou bien cachés afin de permettre l’aventure avec un minimum de risque (rangés sous le double fond d'une honorable boîte de cigares de la Havane, inclus dans une fleur pour boutonnière ou dissimulés dans un carnets de tickets de Métropolitain). Il existait même en ce début du XXè siècle un préservatif féminin, « Le Pratique », qui connu un franc succès (il disparut entre-temps pour renaître en 1992 sous le nom de « Femidon »).

Ces années 1900 virent également la naissance de l'appellation de « préservatif antiseptique » et la disparition de l'utilisation du cæcum de mouton. Le latex le remplacera, concurrencé un moment par une tentative déposée le 11 octobre 1910 et qui connut son heure de gloire : le fish-bladder. Il s'agissait d'utiliser, comme préservatif, la poche à air qui permet au poisson de remonter à la surface de l'eau. Unique désagrément, pour lequel d'ailleurs on ne connaît pas d'explication précise, seuls les « fish-bladders » du poisson-chat et de l'esturgeon semblaient pouvoir contenter ceux qui ne souhaitaient pas prendre un risque de paternité. Ce « fish-bladder » (vendu en Allemagne comme « beste französische Fischeblasen » : « poisson soufflé » ou « poisson bulle ») ne connut qu'un faible succès car ce « vêtement » mince se déchirait souvent pendant le coït.

N'oublions pas que ces préservatifs en « caoutchouc soie sans soudure », qui portent les noms évocateurs de « Crocodiles », « Le rival protecteur » ou « Le voluptueux », étaient lavables : « … si l'on veut se servir d'un préservatif en caoutchouc à plusieurs reprises, il faut d'abord le choisir plus grand (il existe plusieurs largeurs) à cause de son rétrécissement et le laver dans une solution de sublimé et l'essuyer à chaque fois que l'on s'en est servi. Après une insufflation d'air pour s'assurer de son intégrité et de sa résistance et pour enlever les plis, on saupoudre le condom à l'aide de lyocopode acheté à la pharmacie ou de talc que l'on se procure chez le marchand de couleur, et après avoir tourné et retourné le condom dans cette poudre, on l'enroule sur deux doigts pour le conserver à l'abri de la lumière, de la chaleur et du froid excessifs. Il faut également préserver le caoutchouc du contact avec les corps gras (huiles, graisses, vaseline, paraffine), l'acide phénique, etc., qui le dissoudraient … » (Lip Tay, ouvrage de 1908 sur la préservation sexuelle). Ainsi, après avoir été lavé, séché et talqué, à l'aide du Vérifior, « appareil nickelé, extensible, indispensable pour vérifier, sécher et rouler les préservatifs » (le tout pour la modique somme de combien Maryse ? 12 francs Pierre Bellemare !), le préservatif attendait… la prochaine fois. N'en déplaise à notre sens de l'hygiène ainsi qu'aux fabricants actuels qui ne cessent de clamer que « le préservatif ne sert qu'une seule fois », la capote de la Belle Époque était garantie cinq ans ! On n'ose imaginer le moindre service après-vente pour ce type d'ustensile, ni la moindre réaction de clients contestant un vice de fabrication après trois années de tendre complicité.

Au même moment, deux sénateurs, Béranger et de Lamarzelle, tentèrent sans succès, d'interdire la fabrication des préservatifs. À son niveau, le clergé tout puissant interdit également (et depuis toujours) la contraception notamment par le biais du préservatif, mais les capotes continuèrent de se vendre sous le manteau. Le condom devint alors interdit dans le cadre de la politique nataliste après la première guerre mondiale (tout comme d’autres moyens de contraception ainsi que l’avortement). Avec la généralisation de la limitation des naissances par la méthode masculine du coït interrompu, l'avortement palliait les échecs du retrait et « explosa » donc à partir de 1900. Les Françaises, de tous les milieux, et leurs conjoints, ont été précoces dans leur souci de maîtriser la fécondité ; elles étaient mentalement mûres bien avant que les techniques modernes n'aient été mises au point.

 

Toutefois, les pouvoirs publics empêchèrent la contraception de passer pleinement dans les mœurs car ils restaient sous le coup des interdits religieux auxquels vinrent s'ajouter d'autres préoccupations. En effet, le XIXè siècle et l'explosion de l'industrialisation amenèrent une forte demande de main-d’œuvre. Pour autant, le stérilet, dans sa conception actuelle, date de la fin du XIXè siècle. La conception d'obstacles physiques empêchant le cheminement du sperme vers l'utérus a offert à l'imagination des gynécologues d'innombrables alternatives. En Europe, le principe des « barrières » fut aussi employé. Les paysannes hongroises utilisaient des tampons constitués de cire d'abeille. Le diaphragme fut proposé en 1891 par Wilhelm Mesinga et son usage se répandit lors de la mise sur le marché des premiers spermicides. Longtemps il ne fut pas évident de s'en procurer. Ainsi avant la libéralisation de la publicité, des diaphragmes venaient d'Angleterre.

Aussi longtemps que l'avortement fut officiellement interdit et même s'il était pratiqué de façon clandestine, une partie de la population (la plupart des femmes) acceptait et comprenait les raisons de l'avortement. En effet le rejet d'une fille mère ou d'un enfant adultérin par la communauté était quasi inévitable. Il s'est d'ailleurs répandu, non seulement chez les femmes célibataires mais aussi les mariées, mères de famille trop nombreuse ou trop pauvre. Dans les milieux populaires, les femmes éprouvaient peu de culpabilité et s'échangeaient les recettes, au lavoir public ou dans les couloirs de l'usine. On estime ainsi entre 150.000 à 500.000 le nombre d'actes abortifs posés en France au début du XXè siècle. Pendant très longtemps, la clandestinité de l'acte eut pour conséquences qu'il se pratiquait dans des conditions déplorables, sans hygiène. Ces actes étaient effectués par des personnes incompétentes (faiseuses d'anges) sur des personnes voulant se débarrasser à n'importe quel prix de leur grossesse.

En général, les substances abortives populaires étaient inefficaces : l’ergot de seigle (base du LSD), le gaïac (bois brun verdâtre très dur, aussi appelé « bois saint » ou « bois de vie » : plante riche en saponosides à l’action laxative, purgative, son bois a été utilisé en décoction depuis plus de cinq siècles jusqu'à l'invention de médicaments modernes, dans le traitement de la syphilis), la camomille (la camomille romaine était utilisée de façon générale pour traiter tous les troubles où le spasme occupe une place importante, en particulier, dans le cas de troubles digestifs fonctionnels : digestions difficiles avec spasmes digestifs douloureux, ou de dysménorrhée comme difficulté d'écoulement des règles), l'absinthe (utilisée comme vermifuge, dans les maladies de l'estomac, pour provoquer les règles ; l'absinthe était la plante d'Artémis, déesse grecque responsable des morts violentes, on l'utilisa en infusion pour ses vertus abortives puis au XVIIè siècle, comme insecticide contre les puces), le safran (utilisé contre les indigestions et maux d'estomac, la goutte, la dysménorrhée, l'aménorrhée et divers désordres oculaires ; pour les anciens persans et égyptiens, le safran était aussi un aphrodisiaque, un antidote couramment utilisé contre les empoisonnements), etc. Il existait également des substances actives mais toxiques qui provoquaient la mort du fœtus : le plomb, le mercure, le phosphore, l'arsenic, des produits issus du potassium, du chloroforme... Ces substances pouvaient provoquer des hémorragies utérines qui tuaient le fœtus mais aussi mettaient gravement en danger la mère.

Des procédés mécaniques étaient également utilisés, comme les procédés populaires tels que des lavements répétés (à l'eau de javel par exemple), des bains chauds, des saignées, des sauts à la corde, des traumatismes extra-génitaux tels des chocs lors d'accidents provoqués ou des coups sur l'abdomen, ou encore des actions directes sur l'appareil génital comme les touchers vaginaux répétés, les coïts abusifs, les injections vaginales chaudes, la cautérisation du col de l'utérus, des massages abdominaux violents pour faire descendre l'utérus, avec comme conséquences des blessures du vagin, du col de l'utérus. En outre, l'utilisation d'instruments divers pour perforer les membranes n'était pas rare : aiguille à tricoter, tringle de rideaux, fil de fer, pointe de ciseaux, sondes de caoutchouc, etc. Les avortées mouraient très souvent dans des conditions et des souffrances horribles, décès le plus souvent liés à l'infection, à des perforations, parfois à un choc, une embolie pulmonaire foudroyante et une septicémie qui emportaient la femme en quelques heures après les manœuvres abortives. Vu que l'avortement était pénalement condamné, peu de médecins prenaient le risque de se voir interdire l'exercice de leur profession et de subir de lourdes peines (de 6 mois à 2 ans de réclusion et 5 ans de suspension, avant 1974). Ce travail était donc laissé à des personnes dépourvues de toutes compétences et de tous diplômes.
Si la législation est très sévère, les juges acquittent dans 60 à 80% des cas. Toutefois, la condamnation était plus présente dans les milieux bourgeois où l'on pensait que l'avortement était la conséquence de l'inconscience des femmes, « qui faisaient n'importe quoi avec n'importe qui ».

 

Au XIXè siècle, la société avait mis en place des « tours d'abandon ». Ces tours étaient destinés aux personnes qui voulaient laisser leur enfant dans l'anonymat et la sécurité. C'était une sorte de guichet installé dans la façade des hospices où était logée une boîte pivotante. L'ouverture du tour se faisait par la rue : il suffisait de déposer l'enfant dans la boîte, de sonner et la boîte se tournait vers l'intérieur de l'hospice où une sœur recueillait l'enfant.
A la fin du XIXè siècle, les tours sont supprimées pour faire place au bureau d'admission auquel les mères peuvent confier leur enfant. La police intervient parfois lorsque les parents ont commis un délit pour survivre. De plus, les domestiques ont parfois eu des relations avec leur employeur qui avaient entraîné une grossesse, ce qui poussait les employeurs à renvoyer la domestique car ils ne voulaient pas avoir de problèmes avec leurs femmes.

Au XXè siècle, la misère s'atténue petit à petit mais elle ne disparaît pas, elle reste présente. La cause d'abandon reste donc ce fléau. Mais il faut noter l'apparition grandissante des abandons dans la classe bourgeoise. Les femmes riches avaient des serviteurs et il leur arrivait quelque fois que celles-ci aient des relations extraconjugales. De peur que le mari le découvre, elles étaient contraintes d'abandonner l'enfant ou même d'avorter. Si elle était célibataire, la crainte du scandale et le risque que la famille, à l'annonce de la grossesse, n'expulse la jeune fille, ne laissaient à celle-ci pas d'autre choix que de se débarrasser du bébé.

Mais quand la dénatalité menace le pays, quand la guerre décime la population, le gouvernement réagit, ainsi les lois de 1920 et de 1923. En parallèle, les deux grandes guerres coûteuses en hommes susciteront des politiques natalistes dans la plupart des pays occidentaux (création des allocations familiales dans l'entre-deux guerres, par exemple).

Le 27 janvier 1920 fut créé, par décret, un ministère de l'Hygiène, d'Assistance et de Prévoyance sociales avec, à sa tête, Jules-Louis Breton, partisan de la reproduction à outrance et créateur de la médaille de la famille française qui récompense les familles, très, nombreuses. Le 31 juillet de la même année, une loi réprime fortement l'avortement (défini comme un crime ; il est important de souligner qu'à la fin du XIXè siècle, l'avortement n'était pas considéré comme un crime contre une personne, tel l'infanticide, et que la jurisprudence admettait l'avortement pour sauver la vie de la mère) et interdit la vente et la propagande pour les méthodes anticonceptionnelles (essentiellement le préservatif). En 1920, l'avortement était défini comme suit : « expulsion prématurée et violemment provoquée du produit de conception, indépendamment des circonstances de l'âge, de la viabilité ». De nos jours, l'avortement est défini en tant qu' « interruption volontaire de grossesse avec expulsion de l'embryon ou de fœtus avant que celui-ci ne soit capable de vivre de façon autonome. Si l'expulsion se produit alors que celui-ci est viable, on parle d'accouchement prématuré, et non pas d'avortement ».

En 1923, le Code pénal fit de l'avortement un délit, afin de mieux le poursuivre devant les Cour d'assises : la moyenne des acquittements passe sous les 20%. Ces mesures juridiques n’ont pas réussi à stopper la chute de la natalité : après 1923, la natalité diminua jusqu’en 1939, date à laquelle le nombre des décès excède celui des naissances. Du coup c'est le silence, la peur, la culpabilité qui règnent, ce qui n'empêche pas malgré tout les avortements clandestins de se poursuivre, avec tous les risques. Certains chiffres sont effarants : 20.000 à 60.000 décès par an dans les années vingt. Pourtant, peu à peu, la répression se relâche (notamment parce que la grande crise était là), mais les natalistes obtiennent la loi de 1939, dite « code de la famille », qui accrut la répression de l'avortement. Une prime à la première naissance fut même créée, en parallèle à la création de brigades policières spécialisées dans la chasse aux avorteuses (Madeleine Pelletier, une féministe qui défendait le droit à l'avortement, fut également arrêtée).

Sous le régime de Vichy, où la famille figure parmi les valeurs particulièrement prônées et donc défendues (Travail, Famille, Patrie était la devise officielle du gouvernement), l'appareil législatif se renforce : en 1941, les personnes suspectées d'avoir participé à un avortement peuvent être déférées devant le tribunal d'État ; en 1942, l'avortement est reconnu comme un crime contre l'État passible de la peine de mort (en 1943, Marie-Louise Giraud et Désiré Pioge furent guillotinés pour avoir pratiqué des avortements).

Après la guerre, si la peur de l'enfant existe encore dans toutes les classes sociales, les risques encourus ne sont pas les mêmes pour les petites ouvrières ou les vedettes du cinéma ou de la littérature. Bon nombre d'actes se pratiquaient au domicile de la candidate, avec un médecin complaisant ou dans des cliniques privées où les clientes attendaient dans un salon semi-obscur pour ne pas être trop tentées de se dévisager. Car, entre l'interdiction absolue accompagnées de poursuites pénales effectives et la libéralisation, il y a eu, dans de nombreux pays, une période où l'interruption se faisait dans des conditions sanitaires correctes, mais soit dans certains pays moins regardants, soit moyennant un paiement relativement élevé, soit encore dans certains centres de plannings familiaux, travaillant de manière plus ou moins clandestine.

 

L'Angleterre ne semble pas succomber aux diktats de la politique nataliste et les femmes anglo-saxonnes virent dans le préservatif une aubaine, une nouvelle forme de liberté, celle de choisir ou non sa grossesse. Leur argument était de taille : « Plus de femmes meurent durant leur grossesse que dans les mines ».

Le préservatif connu également un succès croissant aux États-Unis, où l’on vit des pin-up décorer les boîtes dès les années folles, les années 20. D’ailleurs, les GI's en emporteront toujours dans leur paquetage. La fabrication des préservatifs n'était pourtant pas admise dans tous les États. La firme Youngs créa, en 1926, la marque « Trojan ». La société gagna la confiance des drugstores, qui, outre-Atlantique, font office de pharmacie, après que les préservatifs eurent été l'exclusivité des bars, billards et bureaux de tabac. « Trojan » devint une telle institution qu'elle fut plagiée dès l'année suivante. C'est ainsi qu'une fausse « Trojan - bas de gamme » fut mise sur le marché, ce qui amena un certain C.I. Lee à comparaître pour contrefaçon. Ce dernier se défendit en prétextant que le nom « Trojan » n'était pas déposé et rappela, ironiquement, que la fabrication des préservatifs était illégale dans une partie du pays. Prenant C.I. Lee à son propre jeu, le tribunal le débouta, rappelant qu'il n'y avait justement pas de loi fédérale interdisant la fabrication de préservatifs et écarta par là même un décret d'interdiction d'Antony Comstock qui prévoyait des peines de prison à qui ferait la promotion du condom. Nous sommes alors en 1929, la crise économique bat son plein, ce qui n'empêche nullement les premiers distributeurs de préservatifs de voir le jour aux États-Unis, alors que le pourcentage de caoutchouc peu fiable présent sur le marché avoisine 50%. De fait, en 1930, la fabrication de latex liquide remplace le caoutchouc crêpe. Aujourd'hui encore, le latex liquide est à la base de la fabrication des préservatifs.

En 1932, une usine de préservatifs Durex, spécialisée dans la technique relativement nouvelle du latex, est construite à Hackney. Les fabricants se livrent, jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale, à une « guerre des gangs » sans merci, à coup de délation, racket et insultes en tous genres. Cinq cents millions de préservatifs se vendront toutefois, en 1937, sur l'ensemble du territoire américain. Pendant la Seconde Guerre mondial, le caoutchouc venant à manquer (la seule usine américaine de caoutchouc venait d'être bombardée à Pearl Harbour par les Japonais), « Youngs » investira 250 000 $ pour tenter, en vain, de réaliser un préservatif en nylon. Quatre mois plus tard, la fabrication de préservatif cessa. Pendant ce temps, les combats se poursuivaient et les préservatifs faisaient partie intégrante du paquetage des militaires américains, mais aussi allemands. La Grande Guerre avait servi d'exemple. L'impératrice Augusta-Victoria avait alors interdit la capote dans le paquetage militaire contre l'avis pourtant expert du général Von Bissing, et la syphilis avait ainsi désarmé de nombreux combattants. Durant le second conflit mondial, mode d'emploi et textes sur l'hygiène furent joints aux préservatifs.

L'utilisation la plus étonnante du condom, durant cette période, se fit lors du débarquement américain baptisé « Opération Torch » à Alger, Oran et Casablanca le 8 novembre 1942, et le 6 juin 1944 en Normandie. Couvrant le canon des fusils, le préservatif protégeait les armes du sable et de l'eau. Comble de la sophistication, cette « fleur au fusil » était le seul et le plus simple élément protecteur qu'il n'était pas obligatoire de retirer pour « tirer un coup » ! Mais ne soyons pas naïfs, les préservatifs avaient tout de même pour vocation de permettre aux soldats d'aller régulièrement « aux putes » avec une capote en poche ou, à défaut, un ensemble « pro-kit », (coton et chlorure de mercure) à utiliser après coup, « après le coup » comme cela se disait à l'époque. Les prostituées avaient, elles aussi, tout intérêt à se protéger car, victimes d'une maladie transmissible sexuellement, elles étaient punies, les militaires risquant quant à eux une mise à pied.

Enfin, le préservatif servit aux marins de toutes les mers pour mettre à l'abri de l'eau rations alimentaires, allumettes ou cigarettes. L'idée fut reprise, plus tard, par les passeurs de drogue : l'héroïne est enfermée dans de la cellophane, entourée de chatterton et enfilée dans une capote lubrifiée ; l'ensemble séjournera dans l'anus du trafiquant durant son voyage.

 

Au Moyen Age, on conseillait d'avoir des rapports dans la période la plus éloignée des règles (donc, en fait, la période d'ovulation) pour qu'ils restent stériles. Ce n'est que sporadiquement au XIXè siècle, et surtout à partir d'Ogino, dans les années 1930, que l'on osera aborder à nouveau cette pratique. La continence périodique fait cependant allusion à une autre réalité : les longues périodes de continence qu'impose le calendrier ecclésiastique ou les sanctions du confessionnal. Qu'il s'agisse donc d'une limitation volontaire ou imposée des naissances, il semble que la continence périodique ait été inefficace jusqu'au XXè siècle.

Avec le renouveau idéologique post-guerre des années 50, on assista à une intense valorisation du couple amoureux : il s’agissait pour les jeunes de s’aimer corps et âme. Si Pie XII, dans les années 50, admit que les recherches pour adoucir l'accouchement n'étaient pas contraires à la volonté divine, l'obligation d'accueillir tout enfant persista sans restriction pendant fort longtemps. Or l’Église maintint une position intransigeante (voir l’Encyclique Quadragesimo Anno) qui n’admet comme moyens de contraception que les moyens naturels (en 1930, le pape Pie XI interdit toutes méthodes artificielle qui entraverait la procréation ; vingt et un ans après, Pie XII autorisa tout de même l'abstinence sexuelle périodique, ainsi que la régulation des naissances pour raison économique, eugénique, sociales ou médicales). Ainsi, pour tenter de rester dans les clous, le Coca-Cola était parfois utilisé comme contraceptif en douche vaginale (alors que cette méthode est inefficace et peut être dangereuse ; il existe d’ailleurs des sacs à lavement d'un modèle courant aux États-Unis pouvant être utilisé à la fois pour des lavements intestinaux et des douches vaginales, suivant l'embout utilisé).

 

La contraception n'entrera dans sa phase endocrinologique que lors de la découverte des hormones ou, du moins, du principe de leur sécrétion. C’est à partir de 1954 que les femmes se sont vues offrir la possibilité de faire l’amour sans risque de tomber enceinte et sans préservatif, en interrompant grâce à la pilule le processus d’ovulation qui les rend cycliquement fertile. La pilule perturbe le dialogue entre l’hypothalamus (petite structure cérébrale de la taille de l’ongle du pouce qui sécrète une neurohormone) qui commande à l’hypophyse (une glande grosse comme deux noisettes constituées de deux lobes), de produire deux hormones stimulant les fonctions ovariennes (la FSH, hormone de stimulation des follicules, petits sacs lieu de maturation de l’ovule dans l’ovaire ; et la LH, hormone lutéinisante, stimulant le « corps jaune », follicule produisant des œstrogènes et libérant de la progestérone). La pilule maintient ainsi un pseudo-cycle menstruel, sans ovulation, grâce notamment à des progestatifs, hormones proches de la progestérone. Fabriqués à base de testostérone, ces progestatifs avaient un effet virilisant. Aujourd’hui, avec de nouveaux cocktails et dosages d’hormones, les effets sur la pilosité et le désir sexuel sont quasiment nuls.

Par contre, il est beaucoup moins évident d’obtenir un arrêt complet mais réversible de la production de spermatozoïdes, car la production de testostérone chute avec pour effet pour l’homme une voix fluette de fausset, des seins qui poussent ou une libido déficiente. Pour les hommes, le plus efficace est le slip chauffant : en effet, à température corporelle, les spermatozoïdes sont stériles (d’où la position des bourses en-dehors du corps).

Alors qu’en 1955 l'avortement thérapeutique (interruption de la grossesse pour raison médicale, pour l’enfant comme pour la mère) est autorisé en France, la pilule anticonceptionnelle est mise au point aux États-Unis. Le 8 mars 1956, l'association Maternité heureuse se crée, militant pour donner accès aux françaises à la contraception et pour l'abolition de la loi de 1920. Jusqu'aux années 1960, la contraception était pratiquement exclusivement mécanique. Elle est devenue massivement médicale avec l'apparition des traitements hormonaux (« la pilule »).

 

L'année 1961 connaîtra, en mars, la condamnation de « tout procédé contraceptif ou moyen stérilisant qui a pour but d'entraver la venue au monde des enfants », par l'Assemblée des cardinaux et archevêques de France. Mais sous le général de Gaulle, décidemment inclassable, les choses commencèrent à évoluer. Au-delà des inventions il fallait encore faire connaître, expliquer, prescrire. Ce fut le rôle notamment des centres de plannings familiaux : en juin 1961, on assiste à l'ouverture du premier Centre de planification à Grenoble par Henri Fabre, ainsi qu'un second à Paris en octobre.

En 1967, fut votée la loi Neuwirth, du nom du député gaulliste de la Loire qui s'acharna, malgré les fortes résistances des milieux conservateurs, à faire évoluer mentalités et législation. Cette loi vint abroger la loi anti-avortement de 1920, autorisant ainsi la vente des produits contraceptifs (jusqu'à 21 ans – la majorité légale à l’époque – une autorisation parentale étant nécessaire pour la délivrance de la pilule) tout en encadrant la publicité (interdite sauf dans les revues médicales). Elle fut complétée en 1974, sous l'impulsion de Simone Veil, par une nouvelle loi autorisant l'importation, la fabrication et la vente en pharmacie des produits définis comme contraceptifs. Cette loi légalisait la contraception et permettait son remboursement par la sécurité sociale.

 

C'est dans le contexte de « il est interdit d'interdire », de la Révolution sexuelle et de la popularisation de « la pilule » que sort le 29 juillet 1968 la fameuse encyclique Humanae Vitae publiée par Paul VI. Prenant le contre-pied des conclusions de l'ensemble des groupe de travail (aussi bien les experts scientifiques, les représentants des mouvements sociaux chrétiens que les théologiens), le Pape Paul VI y condamne la contraception, sous toute forme autre que « naturelle » (interdiction de l'utilisation de la pilule contraceptive et de toute régulation artificielle des naissances). Seule est autorisée la méthode Ogino. Gynécologue japonais, en 1924 il découvrit la loi physiologique qui porte son nom (loi d'Ogino), selon laquelle chez la femme l'ovulation (la libération de l'ovule par l'ovaire) se produit d'habitude une seule fois au cours du cycle menstruel, c'est-à-dire entre le douzième et le seizième jour après le début de la menstruation. Cela couplé à une survie des spermatozoïdes jusqu'à 4 jours suite à l'éjaculation, et à une survie de l'ovule pendant 1 jour suite à l'ovulation amène une période féconde entre 12-4 = 8 jours et 16+1 = 17 jours après le début des règles. Une telle connaissance permettait aux couples qui désiraient un enfant de savoir à quel moment les rapports offraient les meilleures chances de conception. En 1928, le gynécologue autrichien Hermann Knaus confirmait et précisait la découverte d'Ogino, mettant au point la méthode Ogino-Knaus, dite également rythmique ou cyclique, qui consiste à prévoir à chaque fois, grâce à un calcul statistique des cycles menstruels précédents, la période de l'ovulation, c’est-à-dire pendant laquelle la fécondation est possible. Seulement il modifia considérablement l'esprit de cette méthode pour en faire un moyen de contraception (la Méthode des cycles). Ogino s'opposa à cette façon de voir, soutenant que le taux d'échec était trop élevé et que promouvoir une telle méthode pour la contraception, bien que d'autres fussent disponibles et plus efficaces, aboutirait à un grand nombre d'avortements dus à des grossesses non désirées. De fait, l'application d'une telle méthode sur une vaste échelle s'est révélée difficile et a conduit à un grand nombre d'échecs en raison de sa complication : elle exige une grande autodiscipline chez le couple et elle n'est pas utilisable lorsque les cycles menstruels sont irréguliers, comme c'est souvent le cas. Parmi les méthodes de limitation des naissances, cette méthode Ogino-Knaus fut approuvée par l'Église catholique en 1951 et, avant qu'on en découvrît les limites, elle souleva d'immenses espoirs. Roger Peyrefitte écrit dans Les Clés de saint Pierre : « Vénus reparaissait, sans l'épithète désespérante de genitrix (« celle qui enfante », la génitrice), et l'héroïne de ce roman pense que, lorsqu'elle sera mariée, elle n'aura plus besoin de se soucier des « jours du pape » (en Italie, on parlait de la méthode « Oggi, no » : « Pas aujourd'hui, mon chéri »).

La seule contraception que l'on veut bien concéder, au nom de Dieu et du « Laissez-les vivre », c'est l'abstinence. Si on s'entête à faire l'amour pour le plaisir et non pour la procréation, on paiera ce crime par une naissance non désirée. Cette prise de position radicale a joué un rôle considérable dans la distanciation d'un certain nombre de chrétiens par rapport à la loi de leur église, voire même de la part d'un certain nombre de clercs. Parallèlement, les condamnations de la contraception s'atténuent dans les milieux cléricaux sur le terrain, face à la menace, beaucoup plus grave, de la dépénalisation de l'avortement.

 

En 1969 se crée l'association nationale pour l'étude de l'avortement. Toujours timide, l’assemblée se contente en 1970 de la proposition de loi Peyret (député gaulliste, président de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale) prévoyant un assouplissement des conditions de l'avortement thérapeutique. Pour faire avancer le débat et surtout les lois, l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur publia le 5 avril 1971 le « Manifeste des 343 salopes » dans lequel 343 femmes (des personnalités du spectacle, de la littérature et de la politique) déclarent avoir avorté. Aucune poursuite ne fut engagée par le gouvernement Messmer. Le contexte dans lequel éclate l'affaire est celui d'une interdiction légale assortie d'une relative mansuétude de la part des parquets qui ferment souvent les yeux. Ce divorce entre la loi et la pratique est évidemment contestable en démocratie.

En juillet 1971, l’avocate Gisèle Halimi et l’écrivaine Simone de Beauvoir (deux signataires du Manifeste) fondèrent l'association Choisir pour défendre les personnes accusées d'avortement. Le 20 novembre 1971, plus de 4 000 femmes manifestèrent à Paris pour le droit à l'avortement. En octobre 1972, l'avocate Gisèle Halimi fit acquitter une jeune fille de 17 ans qui avait avorté. Le 5 février 1973, moins courageux que les 343, 331 médecins firent savoir qu'ils avaient eux aussi pratiqué des avortements. Ils furent suivis en avril par la fondation du Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception (MLAC) : personne n'est pour l'avortement, il s'agit toujours d'un échec mais il peut, dans certaines circonstances précises, être un moindre mal ; le mouvement insistera aussi sur la nécessité de remettre la loi en accord avec la pratique.

C'est sous la présidence de Giscard d'Estaing, mais dans un contexte qu'il faut situer plutôt au cœur des grands combats féministes affirmés depuis 1968, que le sujet de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) apparaît dans les assemblées représentatives. Devant l’actualité du débat, l'Assemblée nationale vota le 28 juin 1974 le projet de Simone Veil (ministre de la Santé), qui libéralisait totalement la contraception : la Sécurité sociale rembourse la pilule, les mineures ont droit à l'anonymat. Dans la foulée, du 26 au 29 novembre 1974, des débats houleux (et même honteux vu le peu d’arguments et le grand nombre de petites phrases blessantes mais hors sujet) animèrent l'Assemblée nationale sur le projet de Simone Veil de dépénaliser l'interruption volontaire de grossesse (IVG) pour les femmes dites « en état de détresse » jusqu'à la dixième semaines de développement fœtal et jusqu'à la naissance au cas où l'enfant est handicapé ou si la vie de la mère serait menacée par la poursuite de la grossesse. Ainsi, la loi n'autorisait pas l'avortement mais elle suspendait les poursuites légales si un certain nombre de conditions étaient remplies.

Le 17 janvier 1975, la loi Veil fut promulguée, mais avec une mise en place pour une période de cinq ans (la loi sera reconduite définitivement le 30 novembre 1979, mais le texte fut adopté à une majorité beaucoup plus courte que lors de son premier passage en 1974). La loi de 1975 a pu faire disparaître les complications et les morts dus à l'avortement. Si la loi de 1975 légalise l'IVG, elle réaffirme aussi le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu'en cas de nécessité et selon les conditions définies par la loi.

Le 31 décembre 1982, la loi Roudy permit le remboursement de l'IVG par la Sécurité sociale. En 1986, une proposition de loi fut déposée sur le déremboursement de l'avortement à l'occasion de la première cohabitation gouvernementale. La proposition de loi fut bloquée par le gouvernement Chirac et ne fut donc pas soumise au vote du Parlement. En 1990, il y eut une proposition de résolution du Parlement européen sur l'avortement (sans suite, les états étant très divergents à ce sujet). En 1993, la loi Neiertz créa le délit d'entrave à l'IVG en réaction aux commandos anti-IVG. L'Église catholique préfère actuellement encourager les méthodes de Planification familiale naturelle, telles que la méthode Billings (observation du cycle féminin et identification des périodes de fertilité par le suivi de l'état de la glaire cervicale), à toute méthode chimique ou mécanique.

 

En 1950, et essentiellement dans le sud des États-Unis, vingt-cinq mille distributeurs automatiques étaient installés dans les toilettes publiques ou station-service, remplaçant le plus souvent des distributeurs de lames de rasoir qu'il fallut adapter. En 1957, le tout premier préservatif lubrifié fut lancé au Royaume-Uni. En 1961, la marque DUREX commercialisa le premier préservatif lubrifié.

Depuis 1920, il était interdit en France de promouvoir le préservatif. Alors que son commerce se développait énormément, le tabou du contrôle des naissances impliquait la censure des ouvrages qui en parlaient, avec un à six mois d’emprisonnement et 100 à 5000 Francs d’amende pour propagande anti-conception ou campagne antinataliste. En 1938, prôner l’hygiène était la seule solution pour contourner la loi. En 1939, le Code de la famille était toujours remonté contre le chapeau pour « chauve au col roulé », position renforcée par les lois anti-conception du gouvernement de Vichy. Le slogan de l’époque était « la France a besoin d’enfants ; on ne doit pas les oublier lors de la lune de miel ! ». Une carte postale proclamait haut et fort « À quoi rêvent les fiancées (remplacées à la main par « jeunes mariées ») ? Au gentil bébé qu’elles chériront ! ».

Début des années 80, le virus du Sida est identifié. Le SIDA, virus répandu depuis longtemps chez les singes d’Afrique, aurait contaminé un chasseur dans les années 30 puis a progressivement touché la planète entière par un effet domino. En France, 50% des contaminés l’ont été par voie hétérosexuelle, 25% homosexuelle et 3% par des seringues infectées. La France n’autorisera finalement la publicité sur le préservatif qu’en 1987, sous réserve d’obtention d’un visa de la part de l’Agence de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé, au même titre qu’un médicament. En 1991, la publicité pour la contraception est enfin autorisée : en France, où la couverture contraceptive féminine est l’une des plus importantes au monde, la pilule concerne deux tiers des femmes en âge de procréer. On verra alors se multiplier des grandes campagnes d'information, la distribution de livrets explicatifs, des spots didactiques ainsi que l'organisation de séances d'éducation sexuelle dans les établissements scolaires.

Depuis mars 2001, les infirmières scolaires (dans les collèges et les lycées) sont autorisées à délivrer la pilule du lendemain (Norlevo).

Le 4 juillet 2001, la loi Aubry, dépénalisa complètement l'avortement, porta de 10 à 12 semaines le délai légal de l'IVG et supprima l'autorisation parentale pour les mineures. À partir de janvier 2002, les pharmaciens durent distribuer gratuitement la pilule du lendemain aux mineures, et depuis juillet 2004 l'IVG médicamenteuse est autorisée chez les gynécologues et certains médecins généralistes pour les grossesses inférieures à cinq semaines.

 

Au XXè siècle, la législation française a créé l'accouchement sous X, assurant l'anonymat d'abord total sur la personnalité de la mère. C'est devenu la principale forme d'abandon. La société a contribué à diminuer l'abandon en instaurant des systèmes de prévention tels que la contraception mais s'il a peut-être diminué, il n'a pas pour autant disparu.

De nos jours, l'avortement n'est plus un sujet tabou pour la société, même si les opinions ne sont pas unanimes sur le sujet. Les autorités papales condamnent toujours cet acte qu'ils considèrent comme un crime. Dans l'U.E., l'Irlande reste le seul pays d'Europe à s'y opposer, même s'il est permis d'aller se faire avorter ailleurs, ce qui est le cas pour 7000 femmes chaque année qui se rendent en Grande-Bretagne.

Depuis les années 60, la femme a donc conquis de nombreuses libertés dans le domaine de la maternité : avec la contraception et, si celle-ci a échoué, l'IVG, elle peut désormais choisir d'enfanter ou non. « Mon ventre est à moi », proclamaient déjà les manifestantes des cortèges féministes des années 70. Pourtant, d'après une enquête récente, il apparaît que chez certains jeunes, spécialement les garçons, l'avortement soit devenu un moyen anticonceptionnel et donc un nouveau combat pour la contraception doit être mené car elle reste la meilleure dissuasion de l'avortement.

Si toutes les femmes pratiquaient la contraception, si toutes les possibilités leur en étaient données, si l'on conditionnait la conscience féminine à la prévention de la grossesse, le problème de l'avortement deviendrait un problème marginal. L'important pour une femme est d'abord de savoir, puis d'être persuadée, que la contraception est le meilleur moyen de disposer de son corps.

La position de l'Église n'a pas changé, au contraire. Jean-Paul II a fréquemment répété son opposition totale et, en théorie, aussi bien celle qui se fait avorter que celui ou celle qui l'accompagne sont passibles d'excommunication. Le bras de fer entre les centres de planning familiaux chrétiens allemands et le Vatican est une illustration très récente de cette opposition.
Comme souvent dans les sujets éthiques, la position du clergé du terrain est plus nuancée mais ceux qui acceptent le geste ne le font que dans la référence à la doctrine du « moindre mal ».

Par contre, l'apparition du Sida a contribué à faire se multiplier des déclarations moins tranchées de la part d'autorités ecclésiastiques plus près de leurs bases, à savoir les évêques, qui ont souvent prêché la règle du moindre mal et donc l'utilisation du préservatif dans les situations à risque.

 

Les années 1990 permirent aux nouvelles technologies une amélioration considérable du préservatif et la production de modèles beaucoup plus sophistiqués que ceux que connaissaient nos ancêtres. La dernière nouveauté est l'AVANTI de DUREX, fabriqué à partir d'un type de polyuréthane unique, le DURON, qui est deux fois plus résistant que le latex et permet d'obtenir un film plus fin afin d'augmenter les sensations.

Actuellement, le seul moyen contraceptif efficace pour l'homme et la femme, reste le préservatif. Mais ce dernier risque bien d'évoluer avec la mise au point en novembre 2000 par Michel Bergeron (professeur à l'Université de Laval au Québec) d'un gel contraceptif inodore, incolore et imperceptible, protégeant contre les MST et même le virus du sida. Ce gel, baptisé « préservatif invisible », est composé de deux ingrédients : un gel polymère (liquide à la température extérieure, mais qui se gélifie à température corporelle) combiné d'un germe comme le sulfate de sodium laurylé. Pour l'instant, la méthode testée sur des souris a donné de bons résultats. L'avenir nous dira si ce gel est applicable à l'humain.


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