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Avec le début de la Néolithisation (vers -12 000 au Proche-Orient), apparaît toute une série de mythes, créateurs d’un nouvel ordre social. Pour un groupe domestique disposant d’un toit, d’un foyer et d’un silo, la plus grande difficulté était de préserver la récolte issue de ses propres semis du « droit de cueillette » des autres groupes, de soustraire ses animaux d’élevage à leur « droit de chasse », puis de répartir les fruits des travaux agricoles entre les membres du groupe, non seulement au quotidien mais encore lors de la disparition des aînés, du mariage des jeunes et de la subdivision du groupe. Dans ces sociétés patriarcales (pour ne pas dire machistes), semi-nomades, l’organisation complexe croise des liens de parenté (clans et lignages familiaux), territoriaux (camps) et unités politiques (tribus). Les changements intervenus dans l’habitat, le mobilier, les sépultures et l’art témoignent de l’importance des transformations qui eurent lieu dans l’organisation (accroissement de la population, agrandissement des villages, extension des zones cultivées) et la culture de ces sociétés (domestication d’autres êtres vivants, nouvelles technologies, transformation de l’habitat, culte des ancêtres et du concept de Grande Mère / terre nourricière qui assure la fertilité et donc de bonnes récoltes et assez de proies). Les groupes sédentaires devenus agriculteurs obéissaient, encore plus qu’avant, à de nouvelles règles sociales permettant leur propre reproduction (tant culturelle que sexuelle), ainsi que la reproduction proportionnée des lignées de plantes cultivées et d’animaux domestiques dont dépendait leur survie.

Un étonnant bestiaire se met en place, à travers la sculpture architecturale monumentale (Göbekli Tepe, en Anatolie : plus ancien temple de pierre jamais découvert, datation estimée entre – 11 500 et -10 000), la gravure sur vases en pierre ou le modelage de figurines en argile. Souvent, les piliers sont pourvus de reliefs qui représentent des lions (animaux de domination, masculins, liés au soleil), des taureaux (animaux reproducteurs, féminins, liés à la Lune), des ânes sauvages (animaux humbles et doux, porteurs de la sagesse suprême), des canards (animaux de couples, érotiques), qui exterminent les serpents (animaux du chaos originel, opposés en tout, jour/nuit, bien/mal, vie/mort, féminin/masculin).
Près de ces piliers ont eu lieu des rites initiatiques, notamment de passage à l’âge adulte, avec transmission du savoir culturel via les mythes (interdits aux enfants).
Pendant ce temps-là, des pétroglyphes au sud du lac de Van (Arménie) renouvellent les peintures paléolithiques des grottes cantabriques (la Cantabrie est une région du Nord-centre espagnol, entourée par le Pays basque et les Asturies, bordée par la mer Cantabrique dans le golfe de Gascogne) et celles de l’Oural, décrivant des scènes de chasse aux capridés, cervidés et renards.
Les grandes œuvres sculptées de Nevali Çori poursuivent la tradition iconographique déjà connu à Göbekli Tepe, mais s’en détachent parce que la représentation de l’être humain, qui exprime une nouvelle conscience et une modification de la conception spirituelle du monde, passe au premier plan. Une manière particulière de gestion économique est accompagnée d’une pratique magicienne et spirituelle, qui se répercutent dans l’art. Les mythes, figurés par l’art, représentent pour tous les membres de la communauté des supports susceptibles de leur révéler les grandes vérités sur le monde tout en déterminant leur comportement dans la vie quotidienne (également, voire notamment, sexuel).
En commençant à maîtriser la Nature, l’humain découvre son devenir supra psychique, considérant qu’il possède une conscience ontologique (étude de l’être en tant qu’être, c’est-à-dire étude des propriétés générales de ce qui existe) qui ne se dévoilera parfaitement qu’à la condition d’assujettir nos fonctions d’esprit. Ces fonctions ainsi domptées perdront l’animalité qui en faisait des ennemis (lutte entre l’animal qui est en nous et l’humain « supérieur » : subconscient Vs inconscient) et gagneront des qualités initiatiques qui les ennobliront à l’état d’alliées spirituelles (l’inconscient d’une humanité Collective, épuré des bas instincts du subconscient, guidera la conscience individuelle vers des jours toujours meilleurs). A la lumière du mythe, les animaux créateur du monde nous éclairent de leur symbolisme spirituel : lorsque le serpent est enroulé autour de l’œuf primordial, il n’est plus question de lui broyer la tête sous le talon, lorsque le vautour accompagne l’âme du défunt, il n’est plus question de le traiter de charognard.

De son côté et parallèlement, le Khiamien du Levant ne serait que la phase finale du Natoufien (premier lieu de sédentarisation au Proche-Orient, vers -12 000) si des traits nouveaux n’apparaissaient à cette époque : des statuettes anthropomorphes en pierre ou en terre cuite, moins schématiques et plus nombreuses que les quelques représentations natoufiennes, presque toutes zoomorphes. La représentation humaine occupe une place croissante, reflet probable de la socialisation de plus en plus forte de l’individu.
Ce bouleversement mental est sans rapport avec les nouveautés techniques postérieures, apparition de l’agriculture et de l’élevage. Ces figurines témoignent seulement de l’apparition de l’humain au sein d’un répertoire qui était, auparavant, presque exclusivement animalier. Ces statuettes, dépourvues de tout attribut spécifique, n’indiquent qu’à peine le visage, stylisé de façon vigoureuse, mais peu reconnaissable. Cet humain est assez déshumanisé. Il évite une représentation réaliste du visage, régulièrement simplifié. Il n’en demeure pas moins que la femme entre définitivement dans le répertoire artistique de l’Orient ancien, avant toute représentation masculine. Il reste aussi que ces nouveautés ne sont nullement accompagnées de bouleversements des modes de subsistance (en tout cas pas de suite) et que le spirituel semble évoluer indépendamment du technique ou de l’économique. Pour autant, cette nouveauté est assez radicale dans l’évolution des comportements humains au début du -IXè millénaire.
Les sites khiamiens, qui n’ont restitué aucune figure animale, ont livré plusieurs statuettes féminines dont les caractères sexuels sont soulignés avec netteté. Huit figurines en pierre et en terre cuite de la phase suivante (-9 500 à -9 000) ont un caractère féminin encore plus explicite. On y a vu les ancêtres des « déesses-mères », dont les représentations, dans les styles les plus divers, jalonneront ensuite l’histoire des productions artistiques de l’Orient ancien jusqu’aux versions hellénisées.
Les statuettes khiamiennes sont assez analogues, avec leurs traits sexuels accentués (liés symboliquement à la croissance, à la graine ; la vulve est un symbole qui offre une sécurité, de la créativité, de la continuité et de la fertilité), aux « Vénus » du Paléolithique occidental. Sur certains sites khiamiens apparaît également une autre pratique : des crânes d’aurochs (de bœufs sauvages) sont enfouis dans les maisons au sein de banquettes de pisé courant le long des murs. Durant tout le -IXè millénaire, les habitants de Mureybet ont enfouis des cornes d’aurochs dans les murs de leur maison.
Ces deux personnages (Terre-Mère nourricière et taureau/aurochs fertiliseur), véritable couple spirituel, apparaissent aux environs de -9 500 au sein des villages préagricoles khiamiens, les derniers chasseurs-collecteurs du Levant. La Grande Déesse est une sorte de figure cosmogonique, créatrice du monde, symbole de l’unité de la nature, patronne de la régénération vitale et de l’incessant renouveau vie-mort-vie. En psychologie analytique, la Grande Mère est un des archétypes présents dans la féminité de l'homme (ou anima). Ce personnage féminin que l'homme a en lui, influence le masculin réel de l’homme qui peut se mettre à se développer. Ce processus se nomme l’individuation. Il permet à l'individu de grandir, de murir. Cette femme sage est guide. Cet anima du quatrième niveau, stade le plus élevé, correspond à une sagesse transcendante, sous l'image d’une initiatrice et muse. La dimension féminine entre en étroite relation avec la dimension masculine.


L’édifice à colonnes de Nevali Çori (-8 550/-8 350) préfigure les temples orientaux et occidentaux des époques historiques. Ainsi, les origines des «  temples » mésopotamiens sont aussi anciennes que le Néolithique PréCéramique anatolien.
Au cours du -VIIIè millénaire, les pratiques funéraires témoignent d’une moindre peur de la mort. La relation avec les disparus est alors empreinte d’une vénération, d’un respect dans lequel entre désormais plus d’affection que de craintes.
Dans la phase de construction la plus récente de l’édifice cultuel de Çayönü (contemporain et proche de Nevali Çori), une tête plus grande que nature, dont l’occiput (os participant à la formation du crâne, partie postérieure et inférieure de la tête, à l’endroit de jointure avec le cou) chauve est entouré d’un serpent, était emmurée dans une niche de la paroi du fond (ce fragment appartenait à une statue masculine qui, dans l’édifice le plus ancien, avait été placée dans une niche pour servir d’image de culte). Une statue ithyphallique (qui a un phallus – pénis – en érection, signe de fertilité et de fécondité) ainsi que des représentations, probablement contemporaines de la phase d’occupation la plus récente de Nevali Çori, se retrouvent là ainsi que déjà à Göbekli Tepe. D’autres exemples de grandes sculptures apparaissent sous forme d’un torse humain et d’un oiseau debout, dont la tête montre un visage humain. La sculpture d’un oiseau, par comparaison avec une statuette similaire de Göbekli Tepe, montre un vautour (animal prophétique, anticipateur des violences entre humains, conducteur des âmes vers le ciel en dévorant les corps).
Ce lien ancien avec le monde animalier se manifeste clairement non seulement à travers la représentation d’êtres hybrides, mais surtout dans une figure composite étonnante qui forme la partie supérieure d’une colonne figurée. Elle se compose de deux figures féminines accroupies, en position antithétique (qui forme une antithèse), qui sont couronnées par un vautour. La longue chevelure retombant au-dessus des épaules, semble être retenue par un filet. L’œuvre toute entière peut être reconstituée sous forme d’une colonne figurée monolithique, semblable à un pilier totémique : se reflète en elle des visions de fertilité, de vie et de mort à l’intérieur desquelles le vautour symbolise le lien entre ce monde et l’au-delà.
Sur un autre pilier apparaît à nouveau un vautour, qui semble attraper une tête humaine (à nouveau une représentation féminine). Le motif rappelle une peinture murale réalisée plus de 1 000 ans plus tard et qui orne la maison des vautours à Çatal Höyük. Cette peinture macabre montre des vautours qui planent au-dessus de corps humains sans têtes. Ainsi, le culte des crânes attesté à Nevali Çori et dans toute l’Asie Antérieure du Néolithique Ancien est en rapport avec ces représentations.

Cette conscience nouvelle de l’humain néolithique (symbolisation de la fertilité, de la vie et de la mort) se manifeste dans d’autres petits objets d’art. Les nouveautés par rapport à la culture mésolithique locale précédente ne résident pas tellement dans les formes mais plutôt dans les matériaux employés puisque c’est désormais la terre qui est principalement utilisée et non plus la pierre. C’est dans la terre qu’on jette des semences dont dépend la vie et qu’on ensevelit les morts en position fœtale, avec l’espoir de les voir renaître de son sein maternel ; c’est avec de la terre qu’on revêt les cabanes ou qu’on modèle des objets les plus divers et c’est à la terre que se rattachent les pâturages, les forêts et les minéraux, bref tout ce qui fait la vie d’un paysan. Autant de raisons qui font de la terre un grand symbole aux significations multiples. L’apparition des premiers agriculteurs se rattache en premier lieu au modelage de la terre, et c’est en terre que tous les objets cultuels sont désormais faits : la source de la vie, personnifiée en pierre (matière durable) dans la culture mésolithique, est incarnée par des vases de terre dans la culture des premiers agriculteurs.
Dans les sites de la haute Mésopotamie de la fin du -IXè et du -VIIIè millénaires, comme par exemple sur le Gürcü Tepe qui, visible du Göbekli Tepe, se trouve dans la plaine de Harran-Urfa, le passage au Néolithique est accompli. Les premières communautés d’agriculteurs et d’éleveurs se sont formées au moment même où les succès déjà réalisés dans la domestication d’animaux et la culture de plantes sortent du contexte rituel. Au moment où ils deviennent des biens communs accessibles à tous, les rapports sociaux traditionnels sont abolis, l’art monumental disparaît, le vieux mythe s’écroule et avec lui cette culture : les constructions et les images qui caractérisent le Göbekli Tepe et Nevali Çori sont absentes et, finalement, vers -8 000, les derniers gardiens de Göbekli Tepe font disparaître leurs sanctuaires en les enterrant. La stabilisation du climat chaud et humide y a été d’une grande importance. A l’époque, la vie florissait aussi bien dans les plaines que sur les collines, des clairières alternaient avec des forêts mixtes. C’est la foi en la générosité de la terre qui a incité les communautés locales à développer la production de nourriture et à instaurer la culture agricole néolithique.

Parmi les 700 figurines en argile de Çayönü, seuls 30 exemplaires sont de nature zoomorphes, tandis que les 670 autres sont anthropomorphes (une moitié représente des femmes nues, l’autre des figures masculines parfois vêtues d’un pagne). Au Néolithique ancien et moyen, l’art reste un art populaire, artisanal, tandis que la spiritualité est réduite au respect d’un grand nombre de forces élémentaires. Les vases à la panse accentuée ou bombée rappellent ainsi le corps de la femme enceinte ou bien l’outre trop pleine, ce qui permet de penser qu’ils expriment l’idée de fertilité universelle, qu’ils établissent le lien magique corps en gestation – terre, et indiquent les richesses inépuisables de la principale source de la vie. Les motifs et les techniques de décoration indiquent deux aspects de la fertilité : l’épi de blé et la terre labourée. D’autre part, les motifs décoratifs des vases peints (triangle, lignes en zigzag, entrelacs, spirales) symbolisent l’eau qui alimente la terre, des corps astraux et le renouvellement cyclique de la vie. A cette époque, on devine l’importance du principe masculin dans la vie et dans la Nature, ce qui se manifeste par des figurines en colonnette à l’aspect phallique.

Une fois l’élevage mieux maîtrisé, dans l’esprit de chaque membre se dessine l’idée de pouvoir troquer une des bêtes élevées pour obtenir des biens extérieurs, au caractère prestigieux et rare, entrevus lors des transhumances hivernales. Ces objets sont aussi alors un symbole fondateur d’une première hiérarchie au sein de la communauté, qui dut permettre de distinguer les pasteurs détenteurs de nouveaux biens culturels des autres membres.
Pour que les bergers puissent réaliser d’autres échanges sans diminuer leur niveau de consommation ni réduire leur capital-troupeau, il leur fut nécessaire d’envisager autrement l’élevage des chèvres. Ils ébauchèrent alors un contrôle des naissances, parvenant même peut-être à synchroniser et maintenir en équilibre une programmation des échanges en fonction de celle des naissances.
Par la suite, au-delà de cette gestion raisonnée du troupeau, se mit en place une gestion avec objectif d’accroissement du cheptel, permettant une ouverture de la communauté pastorale sur de plus fréquents actes d’échanges. Les acquisitions se diversifient alors et s’accroissent, en même temps que le troupeau se développe.

À l’opposé de ce mode de vie productif, Çatal Höyük est un lieu insolite, situé dans la plaine de Konya en Anatolie centrale : il s’agit d’un grand tell de plus de 13 ha, recouvrant une agglomération néolithique, établie de -7 400 à -6 150. Cette ville d’environ 5 000 habitants (population énorme en des temps si reculés), associait prédation et production : l’élevage des chèvres et des moutons n’occupe qu’une place mineure. On chasse beaucoup, en particulier l’aurochs. Peut-être commence-t-on à domestiquer le bœuf, que l’on consomme en grande quantité.
Par rapport à Asikli, le recours impressionnant à l’imagerie symbolique (reliefs, bucranes surmodelés, peintures murales, figurines humaines et animales) et l’absence de bâtiments exceptionnels dans un secteur à part, sont des différences majeures. Ici, la conscience mythique s’exprime de manière maximaliste, ce qui correspond à un besoin spécifique de mobiliser les images afin de renforcer l’ordre social, toujours Egalitaire mais vivant de fortes tensions à tendance hiérarchiques. Cette grosse agglomération (qui n’a pas encore franchie le stade urbain, malgré sa taille) présente une structure mêlant intimement habitat ordinaire et habitations rituelles. Ces dernières, chacune au centre de la trentaine de maisons d’une même famille étendue, incarnent l’unité sociale et le lien avec les ancêtres.
Le niveau V (-6 400) marque une rupture dans l’occupation : des espaces publics apparaissent et les bâtiments rituels sont plus accessibles. L’unité est désormais celle de la famille nucléaire, incluse dans le réseau de parenté et le lignage génétique. Le vocabulaire symbolique des bâtiments représente alors la superposition cosmologique d’un monde d’agriculteurs sur l’ordre du monde ancien des chasseurs-collecteurs. Ce sont surtout les sanctuaires ainsi que certains lieux de réunion qui font état de l’extraordinaire complexité de la pensée d’une société considérée comme un métissage d’Eurafricains (Européens ayant traversés le détroit de Gibraltar, avant de vivre au Maghreb puis de migrer, notamment vers l’Anatolie), de Méditerranéens et d’Alpins.
Quant aux rites funéraires, ils sont tout aussi complexes. Les morts, après avoir été exposés aux vautours, étaient enterrés, enveloppés de cuir ou de tissus, sous des plateformes d’argile. Parfois, les squelettes étaient sans crâne, cependant que dans certains sanctuaires des crânes avaient été soigneusement exposés. Dans le cadre d’un culte des ancêtres, les ossements avaient été fréquemment peints en rouge, vert ou bleu.
Une grande quantité de figurines n’indique pas seulement l’exceptionnelle imagination et talent artistique de leurs créateurs, mais aussi la naissance des mythes et la diffusion soudaine des pratiques magiques et spirituelles.
La diversité thématique des figurines anthropomorphes et le développement de leur style depuis les formes naturalistes jusqu’aux formes abstraites en passant par les formes réalistes témoignent sans équivoque que la magie primitive a été dépassé, autrement dit, que des idées spirituelles précises se sont formées.
Certaines figures d’Anatolie du Sud-Est, des cervidés, des bovidés, des bucranes en grand nombre ou des femmes à longue chevelure ou tête étirée, évoquent un monde assez lointain. Elles ne sont pas sans rapport avec des représentations de Çatal Hüyük, voire avec des images peintes sur les vases des cultures mésopotamiennes de Samarra et Halaf (les orbites du crâne d’une femme ont été garnies de coquilles, ce qui n’est pas sans évoquer les crânes plâtrés de Jéricho et de Palestine du PPNB : les rites de Çatal Höyük en dérivent en droite ligne). Il existe également un rapprochement avec les stèles de Göbekli Tepe, qui sont ornées de reliefs représentant des bovidés, des oiseaux, des bucranes et des serpents. Le serpent a été associé au féminin, et tout particulièrement à la Grande Mère (puis aux Déesses-Mères). Son mouvement ondulatoire et sa forme l’associent à l'énergie sexuelle ; ses résurrections périodiques et ses mues l'associent aux phases de la lune qui incarnent le pouvoir régénérateur des eaux, mais aussi énergies latentes renfermées dans le sein de la terre. Il représente la force vitale, étant à la fois créateur et destructeur ; il est de ce fait d’essence supérieure.

Entre -8 000 et -7 000, on est conduit à s’interroger sur l’univers mental des populations du PPNB. L’architecture traduit ces nouvelles structures sociales. La distinction du profane et du spirituel n’a aucun sens à cette époque. Le répertoire iconographique renvoie à la sphère du mythe, voire du simple chamanisme. Les villageois chassent encore beaucoup et les fondements de leur organisation sociale ne devaient pas être éloignés du mode de vie des chasseurs-collecteurs paléolithiques : sur certaines fresques sont peintes des scènes de chasse aux bovidés et aux cervidés héritées de la Préhistoire, tout comme le sont les empreintes successives de mains.
Le culte de la Grande Mère fait référence au culte primitif de la fertilité tel qu'il semble avoir été universellement pratiqué depuis -40 000 avec les Vénus préhistoriques (à cette époque-là culte du principe féminin). Ce culte, dans lequel la figure féminine tenait une grande place et revêtait une dimension sacrée, consistait essentiellement en une vénération de la Terre, cette dernière incarnant le principe féminin universel, qu’accompagnent d’autres êtres vivants, tels des carnassiers, capridés et serpents. Ce principe était associé au culte du taureau. Alors que l’aurochs préhistorique était considéré comme féminin, envisagée dans sa valeur maternelle, la puissance du taureau évoque ici la nature qu’on ne savait pas encore dominer, y compris en terme de sexualité humaine. Ici, on peut le considérer soit comme le versant masculin de la Grande Mère, perçue comme androgyne (« Mère au pénis » en somme), soit ce versant autonomisé qui accède alors à la dignité de compagnon/parèdre égal de la Grande Mère.
À l'origine il n'y avait que Nammou, la mer primitive, l'océan cosmique. Elle engendra An et Ki, le ciel et la terre. Ils étaient « réunis comme une montagne dont la base était les assises de la Terre et la cime le sommet du Ciel ». L'image de la montagne traduit l'union du Ciel et de la Terre, autant qu'elle évoque le sexe féminin de la terre dans laquelle un pénis divin peut s'enfoncer : c'est le lieu de conjonction, union sexuelle où le Ciel « verse la semence » dans le sein de la Terre comparée à une « vache féconde qui donne naissance aux plantes de vie ». Il faut noter que An et Ki sont ainsi étroitement unis, restent indistincts, tels « deux jumeaux ». Cette indistinction rappelle celle de la mer primitive dont ils procèdent, conjonction de deux éléments du même avec le même.

On pourrait parler de société « matristique » pour désigner un type de société qui perdura jusqu'au début des temps historiques (vers -3 000) où le patriarcat se serait peu à peu institué. Le système qui a existé dans la culture « matristique » était une société équilibrée (contrairement au mythe, irréel, du matriarcat), les femmes n'étaient pas si puissantes qu'elles auraient usurpé tout qui ce qui était masculin. Les hommes étaient à leur position légitime, ils effectuaient leur propre travail, ils avaient leurs fonctions et ils ont également eu leur propre puissance. Mais la Grande mère était créative, elle crée d'elle-même tout et tous.
Ce système ne se basait pas sur une discrimination sexuelle, mais sur l'importance accordée au féminin, la femme incarnant la reproduction de l'espèce et son espoir de pérennité dans une dimension temporelle qui n'était pas linéaire comme elle le devint avec le patriarcat, mais circulaire et cyclique où prend naissance le mythe de « l'éternel retour ». L'éternel retour est une notion d'origine mésopotamienne, d'après laquelle l'histoire du monde se déroule de façon cyclique. Après 25 920 années solaires (« Grande Année », découpée en douze mois cosmiques de 2 160 ans), une même suite d'événements se répète, identique à la précédente, avec des éléments recomposés. Les Anciens avaient découvert que les révolutions des planètes, les révolutions annuelles du Soleil et de la Lune sont des sous-multiples d'une même période commune, la Grande Année, au terme de laquelle le Soleil, la Lune et les planètes reprennent leur position initiale par rapport aux étoiles fixes. Ils en conclurent que la vie de l'univers est périodique, qu'elle repasse éternellement par les mêmes phases, suivant un rythme perpétuel.

La Grande Mère désigne la mère de tout être vivant, présidant aux processus naturels de fertilité et de fécondité. Figure féminine aux caractères sexuels hypertrophiés, elle dépassait largement les divinités masculines (qui avaient même fini par disparaître tout à fait avec le temps). « Maîtresse des animaux », représentée entre deux lions (symboles de la force masculine liée au soleil, les cornes du taureau – bucrane – représentant quant à elle le croissant de lune ou servant de berceau de cet astre), la Grande Mère se présente comme l’esprit suprême d'une religion naturaliste, où elle était regardée comme le principe de toute vie (principe du « Féminin sacré »). La soumission du roi des animaux symbolise la domination que la Grande Mère exerce sur la nature entière. Elle n'est pas seulement la mère des animaux, sa domination est aussi complète sur le monde végétal, les esprits, mais aussi sur les humains : elle les nourrit, les guérit de la maladie, assure leur reproduction et leur fertilité. On lui consacre les arbres verts, pin ou sapin, symboles d'éternelle jeunesse (et axes du monde) puisqu’elle est en rapport direct avec l'élément humide (l’eau comme élément de fertilité ou le ciel, plus tard symbolisé par le taureau) qui féconde la terre (donc elle-même). Pour en rendre compte, toute une série de cultes liés à la fécondité a été établie. La Grande Mère, seule ou avec son taureau (son égal ou son parèdre complémentaire), intégrée à tout un ensemble de mythe, participe directement ou indirectement à un grand mythe de la création.
Au sein des sociétés profondément Egalitaire que sont celles du Néolithique commençant (mais pas toutes), le monde du symbole est très présent et traduit la force nouvelle des structures Collectives d’un village. Le nouveau mode de production conduit à la mise en place d’une structure adaptée, une Communauté Domestique Agricole. Ce genre de formation se caractérise entre autres par des communautés que l’on dit lignagères, et qui sont organisées à partir du concept d’aînesse, la parenté définissant à la fois le groupe et sa structuration. Les greniers étaient évidemment communautaires et, parce que la communauté avait un représentant, celui-ci jouait un rôle dans le contrôle du grain. Indépendamment du fait que l’aîné a plutôt une autorité morale qu’un réel pouvoir, il ne gère en fait les greniers que parce qu’il est l’aîné. Il n’a aucune raison de profiter de la situation et en serait-il même tenté, il risquerait fort de se faire remplacer. Il se sert de la gestion des greniers pour asseoir son autorité morale, mais cette gestion, parce qu’elle est lourde, fait rapidement place à la gestion des femmes. On ne maîtrise donc que les moyens de reproduction : les personnages importants n’exercent leur contrôle que sur la circulation et l’échange des femmes (ou des hommes, tout dépend si la filiation est patrilocale – les hommes restent sur place – ou matrilocale, les Mésopotamiens étant plutôt patri et les Anatoliens matri). La plupart du temps, lorsque les communautés s’accroissent, elles se fragmentent et certains groupes vont s’établir ailleurs dans un monde sous-peuplé. Aussi peut-on parler, du -VIè au -IVè millénaire, de l’apogée des cultures villageoises, qui a permis un important essor démographique.
Les grands groupes de parenté, véritables lignages, semblent jouer un rôle de premier plan. Si la chasse est une activité toujours masculine, la collecte n’est plus l’occupation principale des femmes. En effet, le rôle alloué désormais à la femme est d’accoucher de fils mâles, destinés à être échangés contre les mâles d’autres clans à la génération suivante pour créer des alliances. La femme, bras ouverts et jambes écartées, donne naissance, le taureau renvoie à la chasse ou à l’élevage. Pour autant, la femme engendre souvent des taureaux ou des têtes de taureaux : la fécondité féminine (Grande Mère) engendre des fils mâles (taureau). Ce n’est pas la fécondité qui est importante, c’est la filiation. Les pilastres ornés qui encadrent les reliefs n’ont qu’un sens symbolique, pas architectural. Chaque pilastre représente un lignage. L’insertion d’une femme entre deux pilastres souligne l’alliance entre deux lignages, car une telle société ne peut se reproduire et se développer que par l’exogamie (recherche de partenaires en-dehors du groupe) et donc l’alliance. La femme représente donc la parenté, par la filiation et l’alliance des lignages, c’est-à-dire les deux principes qui permettent à toute société de se reproduire.

Pour autant, la spiritualité de la Grande Mère n’était pas qu’un rite de fertilité, importante pour la continuité de la vie sur terre, mais elle était aussi au sujet de la vie, de la mort et de la régénération.
Ainsi, concernant le grand taureau environné de petits personnages, il est l’image de la société environnée d’ennemis.
Les reliefs expriment un discours relatif aux règles qui fondent l’ordre social. On trouve également de grands vautours aux ailes déployées poursuivant des humains sans tête, tandis qu’ailleurs des seins en relief contiennent les squelettes de ces mêmes rapaces. Enfin, toujours sculptés, face à face, deux léopards (ou autres félins ailleurs, tels que des lions) s’associent à la Grande Mère en tant que « Maîtresse des Animaux ». Ces peintures ne sont maléfiques qu’en apparence. Elles annoncent en réalité la survie de la société et la perpétuation du système. Les représentations géométriques (losanges, triangles, points, zigzags, croix), loin d’être purement décoratives, renvoient au même système symbolique. Tout n’évoque que le principe générateur conçu comme féminin et son produit, présenté comme masculin. Cette iconographie permet de rappeler les valeurs qui fondent l’ordre social.
Les éléments décoratifs, figuratifs ou non, qu’ils soient en relief ou peints, se rangent en deux catégories qui ont trait respectivement à un principe (représenté par une parturiente – femme en train d’accoucher – sous son aspect positif et créateur, par un fauve sous son aspect négatif et destructeur), et à son produit, conçu comme masculin et représenté par un taureau (ou un bucrane : dans les mythologies orientales il supporte de ses cornes la voûte céleste).
En fonction de quelques règles de composition simples, ces éléments se combinent pour former un discours parfaitement cohérent qui se développe selon deux axes : celui de l’alliance, horizontal et relatif à l’espace, et celui de la parenté et de la filiation, lié au temps, et par là au cycle de la vie et de la mort. De façon à la fois synthétique et abstraite, cet ensemble iconographique permet à ses auteurs de rappeler avec entêtement leurs valeurs fondamentales. Il n’est question que du processus de régénération sociale à travers l’alliance, c’est-à-dire des règles qui fondent l’ordre social et auxquelles chacun doit se conformer pour que tous survivent. En réalité, il s’agit de présenter la règle exogamique (recherche d’un partenaire masculin dans une autre communauté) comme aussi naturelle que l’union d’un homme et d’une femme pour la procréation, ou que la vie et la mort. En effet, dans une communauté élargie telle qu’elle se présente sous la forme d’une petite « ville » (d’une grosse bourgade plutôt), les tentations sont fortes de se marier en interne, ce qui pousse inexorablement à créer des lignages plus puissants que d’autres et à vivre en autarcie, en vase clos, replié sur soi.
Les crânes isolés et les squelettes sans crânes enfouis sous les banquettes de Çatal Höyük témoignent de la vénération des ancêtres. Ils soulignent que le lignage et la référence aux ancêtres jouent un rôle important. On ne parle pas de relations au « divin », mais d’organisation sociale. On ne trouvait à Çatal Hüyük ni castes, ni classes sociales, mais seulement des clans et des lignages qui partageaient le territoire de la tribu. Quel fut le rôle de la parenté dans la formation et la reproduction des liens unissant cette nouvelle tribu ? Le principe de descendance est patrilinéaire (héritage du statut social par le père), mais clairement matrilocal (la mère reste dans la communauté, le père vient d’un autre clan, complètement extérieur). Tous ceux, hommes et femmes, qui descendent par les femmes d’un même ancêtre fondateur appartiennent à un même clan et selon la position de leurs ancêtres, aînées ou cadettes, ils forment des lignages différents. Ceux-ci comprennent plusieurs familles. Ni les familles, ni les lignages, ni les clans ne s’autoreproduisent : les mariages se font avec d’autres familles, appartenant à d’autres clans. Ce principe est complété par un autre dont l’application pourrait a priori sembler être capable de lier tous les clans entre eux. C’est l’interdiction pour deux frères de se marier dans le même clan, ainsi que d’épouser une femme du lignage du clan dont est issue leur mère, bref de reproduire l’alliance qu’avait faite leur père. Du fait de ces principes, chaque lignage est poussé à multiplier et diversifier ses alliances. Celles-ci sont la raison d’être de multiples échanges réciproques de biens et de services entre les lignages alliés, échanges qui se poursuivent pendant plusieurs générations. Familles, lignages et clans possèdent en commun des fractions de territoire où ils cultivent des jardins et chassent. Chaque lignage produit la plus grande partie des ressources nécessaires à son existence sociale, par ses propres forces et avec l’aide de ses alliés. Chaque lignage Coopérait avec quelques autres. Les activités économiques créaient donc une dépendance limitée entre ces lignages associés, mais celle-ci ne pouvait jamais s’étendre à la société tout entière et de plus cette dépendance existait aussi vers l’extérieur.
Régulièrement, tous les lignages et tous les villages se mobilisaient pendant plusieurs mois pour produire tout ce qui était matériellement nécessaire à l’initiation des jeunes (garçons : fabriquer des guerriers et des chamanes, capables de défendre la société contre les forces qui la menacent, tribus voisines ou puissances spirituelles hostiles ; filles : en faire des femmes dures au travail et des mères fécondes) et recevoir dignement les centaines de visiteurs des tribus voisines, amies ou ennemies. Ces initiations gouvernaient des rapports sociaux qu’en Occident, aujourd’hui, on appelle politico-religieux. Ils légitimaient la place dominante des hommes (mais une position fondamentale de la femme, donneuse de vie) et le monopole qu’ils exerçaient sur le commerce avec les dieux et les esprits de la nature. Leur symbole est la grande maison où se tiennent les rites, à l’abri du regard des femmes. Le sanctuaire est appelé le « corps » de la tribu dont chaque poteau représente un jeune initié. Les maîtres des cérémonies détiennent les objets sacrés et les formules reçues de l’esprit supérieur par leur ancêtre mythique, et qui permettent d’initier les jeunes. Leur savoir est si précieux que s’ils mourraient sans avoir transmis ce savoir, la tribu serait condamnée à disparaître. L’unité de la société repose donc sur le partage d’un ensemble de représentations spirituelles et sur l’organisation du pouvoir qui en découle. Comme dans la plupart des sociétés, c’est un noyau de « représentations imaginaires » qui soutient les rapports politiques garantissant son unité. Et ces représentations imaginaires, produits de la pensée, sont transformées en réalités visibles, concrètes et donc socialement efficaces par les pratiques symboliques qui témoignent à la fois de leur existence et de leur vérité, c’est-à-dire par les rites des initiations masculines et féminines auxquelles tous et toutes participent mais aussi par les initiations périodiques des chamanes qui ne concernent qu’un petit nombre d’individus, hommes et femmes.
La bourgade, devenue un grand marché (non seulement grâce à la valeur de ses propres produits, mais aussi grâce aux matières premières rares et aux objets importés), devint en même temps un grand centre spirituel et artistique, qui exerça une influence capitale sur les populations – multiples et variées – environnantes.
Les pesanteurs sont telles que ce répertoire iconographique symbolique a perduré à travers l’art oriental. La culture de Halaf, au -VIè millénaire, couvrira ses vases de silhouettes féminines et de bucranes. La céramique peinte des -Vè et -IVè millénaires a puisé dans ce répertoire jusqu’au début du -IIIè millénaire. La Mésopotamie historique est encore imprégnée du répertoire néolithique, qui plonge lui-même ses racines dans la tradition paléolithique.

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De manière significative, en Palestine et Mésopotamie, on observe du -VIè au -IVè millénaire une modification des rapports sociaux et l’émergence d’une classe de chefs locaux.
Dans le courant du -Vè millénaire, la diminution des pluies d’été affecte profondément la vie pastorale. Les humains cherchent alors à se rassembler là où l’eau demeure en abondance. Le résultat de ce repli va être lourd de conséquences sur le plan social : les structures familiales ou claniques (plusieurs familles affiliées) font place à des structures tribales (différentes familles qui ont moins de liens entre elles) de plus en plus complexes.
Normalement, les sociétés villageoises se scindent et essaiment, au lieu de se transformer, épuisant ainsi leur vitalité en expansion territoriale (ce qui permet de contrôler le fonctionnement et l’organisation de la communauté, en empêchant l’émergence d’une puissance coercitive pour gérer le nombre, protégeant au contraire la notion de « conseil de village », sans véritable chef mais plutôt leaders d’opinion). Des groupes humains étroits sont parfaitement viables, et les communautés préfèrent éclater, plutôt que d’affronter les problèmes que poserait leur élargissement. Cette tendance générale ne s’inverse que si la pratique agricole demande un investissement plus poussé et une collaboration plus étendue qu’à l’ordinaire.
Les sociétés néolithiques étant des sociétés de production, le contrôle des ressources fut une préoccupation quotidienne. L’organisation sociale des communautés villageoises était inadaptée aux exigences de l’agriculture irriguée. De puissants lignages se structurèrent au -Vè millénaire en chefferies.

On voit alors le pouvoir masculin s’affirmer de plus en plus face à la fertilité féminine.
La ziggurat du plateau iranien, composée de trois étages surmontée d’une paire de cornes (symbole du dieu taureau qui s’impose de plus en plus, la Grande Mère s’effaçant peu à peu), est construite sur un massif décoré de pilastres, ces colonnes semi encastrées symbolisant les lignages, et limité sur ses deux côtés d’un motif décoratif en zigzag (représentant l’eau, de plus en plus reliée au sperme qui fertilise la terre-mère : développement de l’importance de l’homme dans la reproduction). Les cornes marquent le caractère divin de l’être qui les porte ou l’aspect sacré du monument qu’elles décorent. Le caractère religieux de la ziggurat peut être précisé par certaines épithètes divines, en particulier celle du grand dieu de Suze, Insusunak, qui est dit « Seigneur de la mort dans le Kukunnum ». Or, le Kukunnum est le temple haut de la ziggurat. En d’autres termes, c’est l’aspect funéraire du bâtiment qui apparaît dans cette expression. Il importe également de souligner que le mot ziggurat est vraisemblablement un terme d’origine élamite et non pas akkadienne. Ce mot signifie « élévation de l’humanité », manifestation architecturale de l’humanité désireuse de s’élever au-dessus de la terre.
Rappelons-nous que les deux dieux primordiaux des débuts du Néolithique étaient Ki (la Terre ; la Grande Mère) et An (le Ciel, le taureau), étroitement unis, restant indistincts, tels « deux jumeaux ». Cette indistinction rappelle celle de la mer primitive dont ils procèdent, conjonction de deux éléments du même avec le même. C'est Enlil aux pieds de taureau (ses symboles sont les tablettes de la destinée et la tiare à cornes de buffle comme symbole d’autorité – couronne de forme haute, souvent de forme cylindrique, rétrécie vers son sommet, schématisant une montagne, accompagnée d’un cercle de courtes plumes entourant son sommet, pouvant représenter des nuages annonciateurs de pluie) qui les sépare, qui éloigne le Ciel de la Terre. Or le radical Lil signifie vent, air, souffle, esprit (dieu du vent du printemps, période de retour de la végétation dans les campagnes). Enlil ne disjoint en réalité que pour mieux conjoindre. Car, dans le partage du monde qui suit la séparation, Enlil va s'occuper de la Terre, comme An du ciel, tandis qu'une troisième divinité qui apparaît alors, Ereshkigal (sœur jumelle d'Enki), va recevoir le monde souterrain, l'Enfer. Enlil va faire couple avec sa mère Ki, la Terre. Il la fécondera comme An l'avait fait. Il prend la place de son père An. L'union d'Enlil avec sa mère donnera les animaux et les plantes (« Enlil, comme un énorme taureau, posa son pied sur la Terre. Il enfonça son pénis dans les Grandes Montagnes »). Dans les mythologies du Proche-Orient, l'axe du monde est montagne signifiant le sexe féminin (ou pilier cosmique phallique), renvoyant à une union charnelle.
Cette union est redoublée par celle entre Enlil et Ninlil (sa sœur, « Dame du Vent » : divinité de la fertilité, puisqu'on l'assimile à Ashnan, déesse du grain, et Nintur, déesse qui préside aux accouchements, ou encore avec Ninhursag, la principale déesse-mère des Sumériens), dont le récit mentionne une faute très grave imputable à Enlil et qui reproduit l'inceste avec Ki. Enlil est très attiré par la jeune déesse Ninlil. Il la suit, et l'épie alors qu'elle se baigne « dans l'onde pure ». Finalement, elle est violée dans une barque, au fil de l'eau. La jeune fille était vierge (« Mon vagin est trop petit, il ne connaît pas l'accouplement ; mes lèvres sont trop petites »). Enlil (traité d'être immoral) est excommunié pour avoir abusé de Ninlil, qui pourtant lui était promise. Les autres dieux, scandalisés par cette attitude, ne peuvent pas laisser le crime impuni, bien qu'Enlil soit leur maître. Ils le condamnent donc à l'exil aux Enfers. Mais Ninlil, qui n'en veut pas à Enlil, mais est au contraire très attirée par lui, le rejoint en secret. Par deux fois, ils couchent ensemble, et la déesse met au monde deux autres dieux. Les dieux qui avaient exilé Enlil aux Enfers finissent par le pardonner, et ils le laissent reprendre sa place au Ciel, avec Ninlil à ses côtés. Ce qui se joue dans la scène réussie de la séduction est le sang de la virginité, sang qui s'écoule au contact de l'eau (substance la plus importante dans la représentation sumérienne), conjonction très souvent prohibée. La substance clé est ainsi le sang : Ninlil engendra Sin, le dieu de la Lune, si universellement associée aux menstrues de la femme. Considéré comme le roi des dieux, Enlil a un palais au Ciel, l'Esharra, et son temple terrestre principal, l'Ekur (temple de la Nouvelle Lune), se trouve à Nippur (voisin du temple d'Inanna/Ishtar et de celui de Gula, déesse de guérison symbolisée par des chiens, qu'il faut peut être voir comme faisant partie d'un complexe cultuel dédié à Ninurta, divinité tutélaire de la cité ; fils de Enlil et de Ninlil, son frère est Nergal – le mari d’Ereshkigal, sœur d’Enlil et maîtresse des Enfers –,son épouse est Gula ; il est une divinité guerrière, également  dieu de la fertilité, de l'irrigation, du labour et du vent du sud). C'est lui qui dirige l'humanité, grâce aux tablettes du destin, sur lesquelles est gravé l'avenir des humains. C'est donc avant tout Enlil qui attribue la royauté sur les hommes à sa guise, et il fait chuter tout roi qui ne le respecte pas

Enki et Ninhursag, la grande déesse-mère des Sumériens, identifiée à la terre-mère, reproduisent le même inceste qu’Enlil et Ninlil. L'union d'Enki et de Ninhursag, sous forme d'eaux célestes fécondant la Terre, reproduit le thème originel de l'union du Ciel et de la Terre. Le cycle d'Enlil insistait sur la disjonction, celui d'Enki sur la conjonction. An, Enlil et Enki, la grande triade des dieux masculins du panthéon sumérien, participent tous d'une même nature céleste (Enki, en tant que dieu des eaux douces, opposées des eaux salées de Nammu la mer primordiale, est situé du côté du ciel, comme eaux de pluie).
Ninhursag est la divinité sumérienne de la Terre et la Déesse-Mère. Son nom signifie Maîtresse des collines, mais elle possède d'autres noms : Nintu (Dame naissance), Ninmah (Dame d'Aout). En akkadien elle était souvent invoquée sous le nom de Mama. En tant que femme et contrepartie féminine d'Enki, elle était appelée Damkina. Son prestige diminua à mesure que celui d'Ishtar augmentait, mais son aspect sous Damkina, mère de Mardouk, dieu suprême de Babylone, lui réserva une place dans le panthéon divin. Déesse de la fécondité qui a créé toute la végétation, Ninhursag est l'un des plus anciens membres du panthéon sumérien et a des titres prestigieux comme « mère de tous les enfants ». Elle est à ce titre également appelée Nintu, « dame de naissance » et peut être assimilée à Belet-Ili (déesse sumérienne de l'utérus), la mère des dieux. Elle est la sœur d'Enlil et la sœur-femme d'Enki et fille de Ki la terre. Elle a été la divinité tutélaire des souverains sumériens, qui s'appelaient « les enfants de Ninhursag ». D’ailleurs, le principal temple d'Enki, le é-engur-ra (« temple de l'abysse » ou « temple de l'eau profonde »), aussi appelé le é-abzu (« temple de l'Apsû »), était situé dans la vallée de l'Euphrate dans la ville d'Eridu, ville du premier roi.
Ainsi, la place de Ninhursag dans la société, assignée par Enki, est d'être « face au chef/roi ». En effet, Enki a volé la vedette à Ki (l’ancienne Grande Mère terre) en devenant la « source génératrice de vie », le dieu de l'intelligence, de la création et de la destinée ; il est d’ailleurs accompagné d'arbres symbolisant les aspects mâles et femelles de la nature, représentant ses capacités créatives (pour autant, le rôle de la femme dans la création et la procréation est encore affirmé – même si amoindrie par rapport à la Grande Mère –, pour quelques siècles). Ses attributs, la chèvre et le poisson (animaux de la prolifération, la chèvre étant le premier animal domestiqué et dont la reproduction fut organisée selon les besoins humains), seront combinés en un seul animal, le sukhurmashu, qui deviendra plus tard le capricorne de nos signes du zodiaque. Le Capricorne est lié à l'élément classique de la Terre (il partage cet élément avec le Taureau et la Vierge) et il peut se résumer à « Je suis le père de moi-même. Je gravis ma montagne ». Son opposé polaire est le Cancer, lié à l'élément classique de l'Eau (il partage cet élément avec le Scorpion et les Poissons), dont la planète maîtresse est la Lune, les attributs sont la famille, la naissance, l'enfant, ce qui se résume dans « Je suis l'enfant de ma mère ». Il est également intéressant de noter la phase de transition néolithique-civilisation qui s’exprime dans le signe des Poissons par « Je lâche prise. A travers moi, la loi divine s'accomplit », par opposition à la phrase du signe de la Vierge « Je me dévoue sur Terre. Je suis utile au quotidien ».
Alors qu’auparavant la Grande Mère Ki avait une vulve, des seins et des fesses (organes de la création et de la fertilité) surreprésentées, la Terre Ninhursag présente désormais un corps n'ayant ni organes génitaux mâles, ni organes génitaux femelles. Les dieux lui ont demandé de créer l'humanité pour eux. Elle a participé à la création de l'humanité à partir d'argile et de sang : quatorze morceaux d'argile primordiale qu’elle a formé en son sein, sept à gauche et sept à droite avec une brique entre eux, qui ont produit les sept premières paires d'embryons humains. Elle a créé les hommes, afin qu'ils puissent travailler le sol et creuser des canaux, et elle a créé les femmes afin qu'elles puissent continuer à porter les hommes. Ayant créé sept espèces de chacun, après 600 ans les gens étaient déjà trop nombreux. La terre est devenue si bruyante qu’Enlil ne pouvait pas dormir. Les gens étaient également coupables, mangeant leurs propres enfants (allusion aux difficultés des fils d’accéder à la sexualité, monopolisée par les pères). Enlil décida de régler le problème en lavant le pays avec une grande inondation.
Enki demanda à Nintu, la déesse de la naissance, d'établir une troisième catégorie de personnes, en addition aux hommes et aux femmes, qui comprendrait les démons qui volent les jeunes enfants, les femmes infertiles et les prêtresses qui n'ont pas le droit d'être enceintes. À Babylone, à Sumer et en Assyrie, certains types d'individus qui remplissaient un rôle religieux au service d'Inanna/Ishtar ont été décrits comme un troisième genre. Ils pratiquaient la prostitution sacrée (hiérodule), la danse extatique, la musique et le théâtre, portaient des masques et des caractéristiques des deux autres genres. À Sumer, le nom cunéiforme qui leur était attribué était ur.sal (« chien/homme-femme ») et kur.gar.ra (aussi décrit comme homme-femme).

De l’union entre Enki et Ninhursag (fille d’Enki et de sa mère la Grande Mère Ki) naît la déesse Ninmou (maîtresse des légumes), avec laquelle Enki engendra Ninkurra (divinité des plantes destinées au filage), de laquelle il a Uttu (déesse du filage). Le seigneur Enki est donc le créateur de la civilisation. Puis Enki ne pouvant contrôler son désir, prit Uttu pour s'accoupler avec elle (inceste entre le père et la fille répété donc trois fois), contre son gré. Elle ne résista pas mais alla se plaindre à Ninhursag, qui sortit les graines d'Enki du ventre d'Uttu et les transforma en plantes. Là où les graines ont été plantées, au bout de 9 jours il poussa huit plantes fortes et luxuriantes, les premières plantes créent par la déesse de la terre. À la vue de ces belles plantes, Enki, par curiosité et appétit, mangea avidement les huit plantes. Ninhursag assure des champs fertiles, mais furieuse et outrée du comportement d'Enki, maudissant son mari pour ses affaires incestueuses, elle décida de le punir et de se séparer de lui en descendant aux Enfers : Enki seul, avec huit organes malades, la terre devint sèche mais également stérile par l’absence de sa déesse tutélaire. Les organes étaient en train de mourir, et Enki dépérissait et souffrait, mais aucun dieu ne pouvait le guérir sauf Ninhursag qui s'était retirée. La perte d'Enki était insupportable à son frère Enlil, mais un renard vint le consoler et lui promit de trouver Ninhursag pour guérir Enki. Ce n'est que lorsque les dieux réunis à la hâte réussirent à amadouer Ninhursag que la terre est devenue à nouveau fertile. Ninhursag embrassa tendrement Enki, et lui retira la maladie à chacune des huit parties malades, et fit de chaque plante mangée un moyen de soigner plutôt que de faire du mal, et libéra la maladie en faisant naitre huit divinités, une pour chaque organe. Parmi les huit organes il y a notamment la côte, d'où va naitre une déesse appelée Ninti, dont le nom signifie à la fois la dame de la côte, et celle qui donne la vie.
Son mari étant volage, Ninhursag, particulièrement jalouse, déclenche des sècheresses à chaque incartade de son époux, ce qui institue le cycle des saisons.
Le parallèle entre les deux consommations, l'une sexuelle (inceste) et l'autre alimentaire (les plantes issues des graines de la semence d’Enki) est clair : Enki consomme son produit, ses enfants. Il tombe malade, Ninhursag l'ayant maudit et voué à la mort. Par rapport au cycle d'Enlil, celui d'Enki souligne la conjonction et ses conséquences : l'une positive, la fécondité de la Terre, les plantes alimentaires, la végétation, l'autre négative, la mort (lorsque Enlil descend aux Enfers suite à son viol de Ninlil; Enlil d'ailleurs engendre les deux saisons, hiver et été, préfiguration de l'alternance entre la vie et la mort). C'est ainsi qu'il faut comprendre le début du mythe, celui du paradis originel, avant la conjonction, lorsqu'on ne connaissait ni la maladie ni la mort, lorsque le lion ne tuait pas et que l'on ne vieillissait pas.
Le cycle d'Enki est entièrement placé sous le signe de l'eau, principe de fécondité (les déesses qui sont ses épouses et ses filles sont des déesses de la végétation).
Enki est placé sous le signe de l'humide, tout comme Enlil l'était sous le signe du sec : il est question du pénis d'Enlil mais non de sa semence, au contraire, il n'est que question de la semence qu'Enki verse dans le sein des femmes, acte cosmique dans lequel se lit l'identification entre sperme et eaux douces (« lorsque le père Enki eut posé son œil sur l'Euphrate, il se dressa fièrement comme un taureau fougueux, il pointa son pénis, éjacula et il remplit le Tigre d'une eau étincelante »).
Enlil et Enki sont tous deux autant concernés par l'agriculture, de même qu'ils le sont autant par la sexualité, mais différemment. Enlil est l'inventeur de la pioche et de la charrue, deux instruments qui ouvrent la Terre mais restent « secs », à l'image du pénis d'Enlil s'enfonçant dans la montagne, au lieu de la coupure, ne s'engouffre que l'air ou le vent. Avec Enki, c'est sur les deux registres connexes de l'agriculture et de la sexualité (Inanna s'adresse ainsi à son amant : « Laboure ma vulve, homme de mon cœur »), l'eau douce fertilisante ou la semence mâle qui joue le rôle de la Substance de la coupure, qui se présente ici beaucoup plus comme facteur de conjonction.
Sumer parle d'Amour, Babylone parlera plus tard de guerre :éloignement pacifique du Ciel et de la Terre contre éloignement violent, suivi de meurtre, union sexuelle contre combat titanesque s'achevant en une double exécution, affirmation du rôle de la femme dans la création et la procréation contre négation de ce rôle. Sumer fait succéder au vent l'eau fertilisante, Babylone fait succéder au verbe le sang. L'Enouma Elish mentionne d'abord le bruit, l'agitation, la parole et le verbe dont Enki est le champion, puis avec An il est question de vent qui trouble Tiamat et c'est encore le vent qui ouvre celle-ci et signe sa défaite. Ceci correspond très étroitement à Enlil, le Seigneur-Vent, associé au souffle, au verbe et à la parole créatrice. La première substance mentionnée par les deux cosmogonies est la même, c'est la seconde qui diffère, soit l'eau soit le sang.
Dans la mythologie, l'eau est sans cesse présentée comme substance vitale, mais moins en tant qu'élément nécessaire à la vie que comme matière organique engendrant le cosmos, eau du corps du grand dieu, sa semence.



La naissance des villes et l’essor démographique furent liés à l’existence d’organisations communes qui avaient mûri dans le sud de l’Irak depuis plusieurs centaines d’années, à partir de -4 300.
Privés de mobilité horizontale, la population croissante n’a d’autre issue que de se tourner vers l’intensification de la production, la concentration de l’habitat et finalement l’organisation politique pour gérer tout ceci. Dans ce cas seulement les gens restent ensemble et sont donc conduits à s’organiser, dans les domaines politique, social et idéologique, pour gérer un corps social en continuelle expansion. Pour autant, les communautés qui conservent leurs acquis et taille démographique pour faire face aux difficultés que pose l’environnement (comme auparavant les chasseurs-collecteurs de l’ère glaciaire), passaient par des techniques de régulation de la population (par la contraception médicinale voire l’avortement – par intrusion vaginale ou consommation de plantes –, si ce n’est par l’infanticide). La problématique est ici que les gens cherchent à avoir autant d’enfants que possible (notamment à cause de la mortalité infantile), pour les aider tant qu’ils sont actifs, pour les entretenir ensuite. Bien évidement, le pouvoir local tire également bénéfice de cet ordre des choses puisque plus les « villageois » croissent et se multiplient, plus le chef peut légitimer son pouvoir par la gestion et l’organisation de la masse.

Avant d’aborder le mythe d’Etana et le triomphe de l’aigle (masculinisation absolue de la reproduction), il faut d’abord comprendre Lilith et son aspect de serpent ailé ! Il s’agit du plus ancien mythe de la féminité contradictoire, reliant le serpent terrestre/aquatique (symbole féminin) et l’aigle céleste (symbole masculin). Elle est une représentation du matriarcat symbolique (qui n’a jamais existé, parlons plutôt de prédominance ou au moins de forte reconnaissance du féminin dans la reproduction) préexistant au patriarcat.
La femme incarnait la reproduction de l'espèce et son espoir de pérennité dans une dimension temporelle qui n'était pas linéaire comme elle le devint avec le patriarcat, mais circulaire et cyclique où prend naissance le mythe de « l'éternel retour ».
Lilith était un oiseau de proie, la déesse vautour de la mort et de la régénération (ses qualités de déesse de l’amour et de la mort la font se rattacher au solstice d’hiver, nuit la plus longue, mais annonçant aussi le renouveau de l’année). Elle qui était très puissante est devenue plus tard la sorcière. Étant reliée aux événements atmosphériques, avec les pluies et les orages, elle pouvait exécuter beaucoup de choses.
Elle pouvait commander à la sexualité masculine, elle pouvait couper la lune et l'arrêter dans sa croissance, elle était donc le compensateur des puissances de la vie. Cette déesse pouvait faire beaucoup de dommages : ne pouvant pas permettre à des choses de se développer pour toujours, elle a dû les arrêter, c’est pourquoi elle a fait naître la mort afin que le cycle de la vie recommence. Elle est donc la régénératrice principale du monde entier, de toute la nature. Comme on ne pouvait pas la commander, les instances du pouvoir masculin qui se développaient fortement ont donc démonisé celle qui était la plus puissante. Elle est ainsi la femme primitive, la femme fatale, celle qui développe les comportements instinctifs : l'homme est prisonnier de ses affects, possédé par ses sentiments et ses émotions sans aucun recul possible. Elle préside ainsi aux plaisirs charnels.

Présente à l’origine comme démon femelle sumérien (donc non sémite) sous le nom de Lilitû, elle est identifiable dans l’épopée de Gilgamesh, Gilgamesh et le saule, sous le nom de Lillaka, récit dans lequel elle se rapproche de la déesse Inanna (Lilith sera d’ailleurs assimilée plus tard à une prostituée, comme celle exerçant pour le compte et le culte d’Inanna déesse de l’amour, puisqu’elle provoque les hommes à des pratiques sexuelles illicites – il existe ainsi des incantations pour éloigner Lilith du lit conjugal). Elle est ainsi également nommée « spectre de la nuit ». Pour autant, elle n'est pas la nuit, mais le crépuscule, le moment où la nuit survient, où les sensualités s'échauffent, où la musique emplit les âmes (sa séduction passe par des attraits physiques, principalement la poitrine, et le chant) : elle préside ainsi à l’acte sexuel et dirige les incubes et les succubes (ces démons tentateurs, souvent des hommes et femmes déçus dans leurs amours ou dans leur désir d’enfantement), pousse les femmes à jouir de leur corps, et leur donne passions et orgasmes érotiques.
Elle est le pendant féminin de Lilû, engendrée comme lui par le dieu du vent Enlil, et sont donc tous les deux considérés comme des esprits du vent et de l’orage (Gallû est un autre de ces démons mésopotamiens). Le démon mâle Lilû, héritier du Lil sumérien, est un esprit de licence et de lascivité, séduisant les femmes durant leur sommeil. Les Lilû sont des jeunes hommes décédés avant d'avoir pu se marier, hantant les déserts et les grands espaces. Leur action était particulièrement néfaste aux femmes enceintes et aux enfants. Ils attaquaient leurs victimes quand elles dormaient, dans le but d'en faire leurs conjointes. Celles-ci n'avaient dès lors plus de chances de trouver un époux parmi les mortels.
Lilitû, ou Ardat Lili (servante de Lilû), joue vis-à-vis des hommes le même rôle funeste. C’est une vierge inassouvie, ravisseuse nocturne, qui attaque les hommes mariés et leur foyer. Les mères et les jeunes mariées, doivent tout faire pour éviter de laisser leur fils et époux seuls aux abords du crépuscule. Car alors, devenus une proie facile pour cette démone, toujours à l’affût, ils seraient entraînés, directement, vers la débauche pour toujours (le caractère nocturne de Lilith ou des personnages assimilés nous confronte au thème du regard interdit ou dangereux). Ce démon est considéré comme issu du spectre d'une femme morte en couche qui dévore les enfants. C'est un démon stérile, possédant sa victime, masculine, dont elle fait son conjoint, l'empêchant de faire sa vie avec une mortelle. Elle a un aspect séducteur, comme une succube, bien qu'elle possède le corps d'une louve à queue de scorpion (gardien de la montagne sacrée, le vagin : lors de la parade, mâle et femelle scorpions se tiennent par les pinces et semblent exécuter une danse qui permet en fait au mâle de tirer la femelle vers un endroit propice où il va déposer son spermatophore, une baguette de quelques millimètres qu'il colle au sol ; le mâle doit ensuite amener la femelle exactement au-dessus de ce spermatophore pour qu'il rentre dans ses organes sexuels). Elle peut également être toutes celles qui sont éprises de vertige et se retrouvent recluses dans leur prison d’amour. Patronne du processus d’initiation, elle gouverne le désir le plus profond de l’individu.
Ardat-Lili est également présentée comme ayant un appétit sexuel insatiable. Elle s'en prend aux hommes, dont elle tente de faire ses conjoints, ou bien qu'elle empêche de se marier. Elle agresse également les jeunes filles en âge de se marier. Ardat-Lili est en effet souvent décrite comme le spectre d'une jeune fille morte avant de se marier, ce qui explique sa volonté d'empêcher les mortels de se marier.
La démone sumérienne Lamme est très proche de Lilith en de nombreux points. Elle est une démone stérile, ravisseuse d’enfants, attaquant les femmes enceintes et les mères. C’est un vampire femelle qui massacre les enfants, se repaît du sang des hommes et dévore leur chair. L’iconographie akkadienne la montre en femme nue, les membres inférieurs en serres d’oiseau de proie ; elle a la tête et les oreilles d’une lionne, parfois d’un vautour.

Les représentations de Lilith sont pétries de contradictions : elle serait à la fois aérienne et chtonienne, voire aquatique et dévoratrice. Considérée par la suite comme un démon dévorateur, elle est liée à la Déesse mère en tant que symbiose déesse-serpent et déesse-aigle, dotée d’une sexualité illimitée et d’une fécondité prolifique (cette puissance peut recevoir une expression métaphorique, souvent d’accentuation phallique : les ailes, organes du vol ascensionnel à fort symbolisme mâle). Représentée une vulve dessinée sur son front, ses jambes prennent la forme de serres, et pour couronner sa majesté deux ailes lui confèrent un aspect prodigieux. Elle est accompagnée de chouettes (animal apotropaïque par excellence, il protège en détournant le danger : elle qui est rattachée à la virginité par le non mariage, par sa sagesse nocturne, elle protège des tempéraments secrets) et est posée sur deux lions (symbolisation de sa suprématie sur le masculin). Elle porte également les emblèmes du pouvoir, le bâton et le cercle. Le cercle est lié à l’éternité et aux puissances magiques, alors que le bâton (qui peut se confondre avec le sceptre) est le symbole de l'administration civile ou religieuse.

Le livre de la Genèse propose deux récits de la création de la femme. Dans le premier, Adam est créé en même temps que la première femme (qui n’est pas nommée) à partir d’argile (« Dieu créa l’homme [l’humain] à son image ; il les créa mâle et femelle » : Adam aurait été créé initialement androgyne, et cet être bisexué aurait été séparé en homme et en femme). Dans le second, où elle trouve son nom d’Ève, la femme est conçue à partir d’une côte prise sur le corps d’Adam afin qu’elle soit, bien qu’issue de lui, sa semblable et son égale. Ni l’élohiste ni le yahviste (les scripts de la Bible) ne disent mot quant à la nécessité de cette seconde création. Pour tenter de résoudre la contradiction entre ces deux passages, certaines légendes sémites prouvent l’existence d’une « autre première femme ». Lilith était donc, à l’Éden, la première femme et la première compagne d’Adam, avant Ève.
Elle précède même la vitalité d’Adam au jardin d’Éden. Plus qu’épouse, elle est simultanément mère, amante et initiatrice. Elle y est femme primordiale, source de toute vie et modèle de toute fécondité. Elle est ainsi la femme qui « enfante l’esprit d’Adam » encore inanimé, puis qui s’unie à lui quand il s’éveille, mère et épouse à la fois, à l’image d’une femme supérieure incluse dans l’Adam androgyne. Les dieux fendirent Adam en deux, moitié mâle moitié femelle, et préparèrent la femme telle qu’on doit la parer pour l’introduire sous le dais nuptial (disque d’honneur dressé sur une estrade, cette table étant généralement surmontée d'une tenture, à la manière d’un lit à baldaquin). Aussitôt que Lilith le vit, elle prit la fuite et se sauva par-delà les mers, prête à fondre sur le monde.
Lilith est « celle qui dit non », celle qui transgresse la Loi divine pour vivre le désir absolu et qui, ne pouvant l’assouvir, s’enferme dans la solitude glacée de son refus, mourant de soif au bord de la fontaine. Lilith n’était pas qu’une femme, c’était aussi Celle qui savait, du fait de sa grande intelligence : elle a mangé du fruit de la connaissance du bien et du mal qui ne l’a pas tuée, elle dit donc que le désir est bon. Lilith apparaît donc comme le serpent de l’arbre des tentations qui fascine et éveille le désir de la connaissance qui rendrait égal aux dieux. La conscience scelle donc la fin de l’innocence édénique et la femme-serpent, à la beauté souveraine, signifie toutes les pertes de l’homme, éperdu d’amour pour elle.

Lilith est la Rebelle, elle est cette première femme qui précède celle qui assumera le rôle de l’épouse inférieure, plus apte à se conformer à la loi conjugale. Lilith rejette cette loi de domination masculine, elle revendique la plénitude du désir. Elle sera donc la grande prostituée de Babylone, la future démone et sorcière qui brûlera sur les bûchers du désir collectif refoulé. Elle qui est souvent représentée avec son vagin sur le front, elle gouvernera tout ce qui est désormais jugé impur. Elle est donc un repoussoir pour que les femmes acceptent leur rôle d’épouse soumise aux lois du mariage et de la maternité. On la stigmatise comme étant une femme qui ne recule pas devant le fait de dévorer ses amants, n’hésitant jamais à marier l’amour avec la mort, exprimant ainsi la part maudite de l’anima masculine. Lilith est ainsi l’incarnation de la « lune noire » (le deuxième satellite de la Terre, incarnant l'immoralisme, la perversité et le désespoir, toujours invisible car en opposition avec la vraie Lune), de la capacité de chacune de refuser la sexualité bridée par la loi sociale ou divine afin d’aller vers la plus grande et la plus libre transcendance en brisant les interdits.
Adam et Lilith ont été créés, de manière égale. Pour autant, Lilith est toujours décrite ou perçue comme une maîtresse femme qui a un fort ascendant sur Adam et un appétit sexuel insatiable. Entre eux naquit un différent dont le prétexte fut la manière dont ils feraient l’amour (elle refuse de se tenir au-dessous de lui quand ils font l’amour), dissimulant de façon symbolique le conflit des prétentions à la suprématie sociale. Lilith contesta les revendications de son mari à être le chef. Elle voulait l’équivalence de ses droits au sein du couple.

Adam se serait séparé de Lilith pour plusieurs raisons, toutes d’ordre sexuel :
1.    Lilith refusait de voir son corps déformé par les grossesses et pratiquait la contraception voire peut-être l’avortement (ce qui va à l’encontre du Commandement formulé plus tard dans la Bible « Croissez et multipliez-vous ») ;
2.    Adam soupçonnait Lilith, l’insatiable, de forniquer avec les incubes (démons mâles), contrevenant ainsi au Commandement « Tu n’auras d’autres époux que ton époux » ;
3.    Adam ne souhaitait pratiquer les relations sexuelles principalement ou uniquement en s’en tenant à la position du missionnaire. Mais Lilith, elle, rejetait les postures les plus classiques (qui donnaient toutes la supériorité à l’homme durant l’acte sexuel). Lilith revendiquait ainsi clairement son statut de « paire » ;
4.    Finalement, Lilith, lasse de subir les reproches, les scènes et les exigences de son compagnon, se révolta ouvertement.

Devant l’intransigeance d’Adam, elle invoque le nom de l’Ineffable, et reçut miraculeusement des ailes. Elle s’en fut par les airs hors du jardin d’Éden. Adam a le cœur brisé. Ému, le créateur envois trois anges à la recherche de Lilith. Mais elle ne veut rien entendre, malgré la sentence du seigneur qui est qu’elle mettra au monde de nombreux enfants et que 100 de ses fils mourront chaque jour. Elle est donc celle qui dit non à la fois à la position que lui propose l’homme dans leur couple et à la fois à la tentative de réconciliation du créateur lui ordonnant de se plier au désir de l’homme Elle est désespérée et pense mettre un terme à son malheur en se jetant dans la Mer Rouge. Mus par le remord, les anges lui donnent tout pouvoir sur les enfants nouveau-nés, pendant 8 jours après leur naissance pour les garçons (jusqu’à la circoncision) et 20 pour les filles ; en outre elle a un pouvoir illimité sur les enfants nés hors mariage.

Moralement comme psychiquement, Lilith fonctionne alternativement comme image du démon sexuel et comme femme fatale, stérile, là où Ève est davantage vue comme la femme docile à l’homme, aussi idéale que génitrice.
Lilith fut ainsi stigmatisée comme une femme frigide, dont l’insatisfaction sexuelle n’est que le reflet de sa négativité. Femme cherchant une voie entre ou au-delà de celle de la vierge, de la mère ou de la putain que lui offrent ses amants, elle est finalement seule, frustrée et frigide, fantasmant à jamais un bonheur impossible et signant, à travers l’échec d’un couple, celui de la féminité.
Il est d’ailleurs à noter que les développements subtils de l'Eros sont sous la gouverne du royaume de la nuit, de l'obscurité, car c'est de nuit qu'ont lieux les changements d'état de la conscience. De même, les processus de sacralisation et d'évocation de l'Eros, dont le mariage comme mystère (alias les hiérogamies et la prostitution sacrée), en sont les représentations du monde, peuvent se prolonger de façon ténébreuse par l'incubat et le succubat. L'incube et le succube sont deux formes spectrales d'un hermaphrodisme convertible : il s'agit de l'union de deux formes tendancielles des deux principes masculin et féminin, pouvoir évocatoire de l'imagination permettant le contact avec les puissances suprasensibles du sexe.

En tant que femme supplantée ou abandonnée, au bénéfice d’une autre femme, Lilith représente les haines familiales, la dissension des couples et l’inimitié des enfants. Dévorée elle-même par la jalousie, elle tue les nouveau-nés allant jusqu’à les dévorer, s’enivrant de leur sang. Ce cannibalisme va de pair souvent avec un épuisement des forces vives de la victime, qui ne fait que conclure l’épuisement sexuel. Ce trait dissimule toute une problématique de stérilité charnelle et spirituelle.
Autour de Lilith, deux thèmes, deux pôles, servent de repères à la lecture mythologique : l’avalage et le vol. A travers toutes les diverses formes d’avalage, en fin de compte c’est le ventre que le mythe désigne en permanence. Le ventre digestif, lieu privilégié des transformations vitales (voir alchimie par exemple), est également utérin. Ce refuge bienheureux peut cependant se faire prison, il n’abandonne pas sa proie facilement. Souvent, l’initié devra pourtant pénétrer dans une caverne avant d’en ressortir avec une connaissance rénovée, comme le montrent de nombreux rituels de passage qui comportent un séjour dans une grotte ou un substitut (four, fosse, forêt), symbole d’une renaissance après la mort spirituelle de son ancienne perception (désir que l’épreuve de la mort vienne combler la jouissance de la vie et que l’expérience du remords vienne couronner la découverte du plaisir). Le fond contient le trésor caché de la science nouvelle, la science du moi intérieur, mais il est défendu par ses hôtes funestes ou malins.
Le confinement de la caverne est l’antithèse du caractère illimité des expansions aériennes. Les cieux ont de tout temps été le refuge des dieux et du merveilleux. L’oiseau est protégé des dieux avec lesquels il entretient une relation de connivence. L’aile est bien évidemment symbole aérien par excellence, de plus liée à la notion de communication entre hommes et dieux. Le vol est aussi verticalité, érection, virilité, force et séduction. Le vol ascensionnel est seul capable d’assurer la reconquête du paradis primordial, situé en haut, et de nous reporter dans les conditions d’avant la chute.
Lilith est donc fantasmes d’origine et de retour, toujours plus ou moins chargés de relents incestueux ; fantasmes de chute et de perdition, toujours plus ou moins teintés d’agressivité et de culpabilité. Tous ces fantasmes s’articulent autour des représentations de la femme ambiguë.
Dans ces siècles techniques (développement de la métallurgie du cuivre, des systèmes d’irrigation, etc.), classiquement symbolisés par la conquête du feu (représentant la prise de conscience du masculin et de sa foudre dans le processus de reproduction) et une influence prométhéenne, Lilith, séductrice et prolifère, fut le symbole de la société moderne de l’époque, en précaire équilibre entre la chair et l’esprit, entre la régression toujours menaçante (abandon des chefferies voire retour au nomadisme) et l’exaltation parfois perverse de la raison. Comme Lilith, la civilisation technique se révèle simultanément séductrice et terrifiante, prolifique et stérile : la technologie engendre l’urbanisation et la désertification des campagnes, forme de stérilité ; l’urbanisation délirante engendre ségrégation sociale, elle même source de frustration et d’angoisses.
Dans le même temps qu’enseignant la parole, elle engendre la violence.

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Quelles que soient les traditions, le monde naît du divin ! Le hasard, s’il existe, part d’un dieu créateur et y ramène : souvent, celui-ci jaillit d’un œuf, forme parfaite symbole de l’unité génératrice et réservoir illimité des possibles. Le véritable commencement du monde s’identifie à l’acte qui transforme la matière primordiale en cosmos. La procédure suit trois modèles : le premier fait référence à la procréation, à la génération sexuée ; le deuxième met l’accent sur le savoir-faire artisanal ; le troisième fait appel à la thèse du pouvoir, créateur de la parole divine.
Les dieux créateurs des premiers âges donnent tous naissance à des monstres. Les récits fondateurs n’imaginent pas d’emblée un monde parfait, mais un Univers en gestation où les premières créatures, symboles des éléments naturels (l’eau, la terre, le feu, la sécheresse, le froid, etc.) sont des dragons immondes. Ces monstres, souvenir peut-être des gros lézards de la préhistoire (le serpent est l’une des figures les plus fréquentes, pouvant se déplacer sur terre comme sur l’eau et grimper, logeant également sous terre, donc en rapport avec toutes les grandes forces naturelles), se disputent et s’entredévorent sous le regard agacé de leurs géniteurs, eux-mêmes repoussants.
La vision des premiers âges est toujours violente : le choc des éléments est symbolisé par le combat des enfants des dieux créateurs. Ils se querellent tant et si bruyamment, que le père décide de s’en débarrasser (comme les humains avec le Déluge). Mais l’un des fils le tue : le meurtre familial est l’une des constantes des mythes fondateurs, pour que puissent commencer, après le temps des monstres, l’organisation du monde et l’âge des humains ! En tuant le père, propriétaire exclusif du harem, le fils permet aux membres de la tribu de se partager les femmes et assurer ainsi leur descendance. Après le meurtre, acte fondateur par excellence, le père devient totem et donc tabou : nul ne peut le toucher ! Ainsi naît la loi, à travers un événement traumatique, fondateur du mythe.
Violence sans fin ? Non, nouvelle étape. Si un fils peut supprimer un dieu créateur, c’est qu’il jouit d’une qualité nouvelle, indispensable à l’organisation du monde : l’intelligence ! Le fils criminel est ainsi le plus « sage », et le plus « capable ». Libérés des forces brutes, les dieux « sapiens » peuvent organiser le ciel et la terre et préparer la venue de l’humain. Ces conceptions véhiculent l’idée que le créateur et sa création partagent la même essence ! La création de l’humain est donc la marque de la naissance des dieux ! Cette dernière se fonde sur la division qui seule peut permettre l’établissement d’un ordre stable et définitif à partir d’un désordre qui confine à l’informe. Le monde naît ainsi de la tension entre l’unité et la division : sa mise en ordre peut soit aboutir à l’établissement d’un pouvoir qui se perpétue à l’aide de la violence et de la persuasion, soit elle est sans cesse remise en cause par un mouvement qui va de l’un au multiple et vice-versa. Souvent, les premières divinités naissant du chaos sont le résultat d’une reproduction non sexuée. Par la suite, lors du premier rapport sexuel créateur d’autres divinités, une forte proximité se crée : cette étreinte est beaucoup trop rapprochée, empêchant la venue au jour des enfants et arrêtant ainsi le processus de division en cours. Pour que ce processus reparte, il faut que le fils rompe l’union parentale par un acte d’une extrême violence, la castration du père, qui permettra l’établissement d’une bonne distance entre dieux et déesses : le masculin et le féminin sont alors bien définis ! Mais la distance instaurée risque de déclencher une réaction inverse (comme souvent, d’un extrême à l’autre), une séparation trop grande : lorsque le masculin et le féminin sont séparés, leur union devient en effet problématique. Un nouveau type de proximité entre les êtres est alors établi : au sexe vécu dans la violence va ainsi succéder l’Amour né de la persuasion ! Avec la castration, la sexualité n’est pas abolie (risquant alors d’entraîner la disparition de l’humanité), elle change d’allure ! Ce n’est plus la peur (souvent les hommes, ou les femmes, étaient échangés pour créer des réseaux d’alliance), mais le désir qui rapproche les sexes. De surcroît, dans le jeu du désir, les deux partenaires tiendront dans la relation amoureuse un rôle qui relèvera de leur initiative.

Dans un système fondé sur la concentration, la ville est un noyau humanisé, un paysage artificiel. Une ville est un lieu où les habitants se considèrent comme des citadins. Derrière la boutade, il y a une réalité. De grosses agglomérations paysannes ne sont pas des villes : une cité est caractérisée par la diversité sociale de ses habitants. Ces citadins, comme ceux qui, autour de la ville, assurent sa subsistance, instaurent entre eux des relations d’un type nouveau : la cité est la tête et le centre d’un nouveau système social. Le monde « civilisé » (en terme étymologique) ne peut fonctionner sans ces cités : la ville est un centre de relations et de décisions où se rencontrent les humains, où s’échangent les marchandises et où se diffusent les idées. C’est donc un système d’habitat particulier, concentré, qui permet à une société complexe de résoudre des problèmes spécifiques qui ne peuvent être réglés à l’échelon individuel ou familial. Les relations de dépendance personnelle apparaissent comme antérieures à l’état et jouent un rôle fondamental dans son émergence. Il y a une différence colossale entre un citadin-citoyen et un parent (dans le cadre d’une chefferie lignagère) : la relation seigneur-citoyen est une relation totale, non partagée. Les parents sont des partenaires, avec des droits et des devoirs réciproques, tandis que dans le cas du citoyen, tout est dans la main du seigneur.
La ville, avant d’être une forme d’habitat spécifique, est un lieu où se tissent entre les gens des relations particulières, directement liées à l’ampleur de la population qui y habite. Le corps social étant très vaste, des relations de voisinage s’ajoutent à celles, traditionnelles, de parenté et d’alliance (qui d’ailleurs se schématisent), et une part d’anonymat s’installe donc entre les gens. Surtout, l’ampleur de la population entraîne sa hiérarchisation, car l’appareil qui contrôle la société doit s’adapter à la nécessité de gérer des effectifs accrus. Une élite héréditaire s’est dégagée peu à peu de la masse, au point de constituer un groupe relativement à part, dominé par un personnage plus important que les autres, et que l’on appelle le seigneur.

Le temple, tel qu’on le connaît en Mésopotamie à l’époque historique, n’émerge qu’à Eridu (puis Uruk) dans le courant du -Vè millénaire. Il y eut certes des lieux de culte auparavant, mais, sous sa forme construite, le temple apparaît comme un phénomène strictement lié à la cité. En effet, Enki, le dieu d’Eridu, aurait apporté la civilisation à Sumer par le biais d’Adapa/Adamu : il servait fidèlement son dieu, qui l'avait créé pour qu'il soit capable de faire de nombreuses choses pour son plus grand plaisir et c’est lui qui introduisit les arts de la civilisation dans cette ville. Adapa est souvent désigné comme conseiller auprès de la mythique première royauté (« Après que la royauté fut descendue du ciel, Alulim devint roi, et il régna pendant 28 800 ans » : premier roi d’Eridu et premier roi de Sumer, il fut le premier roi du monde). En plus de ses fonctions de conseil, il a servi comme grand prêtre et exorciste, et après sa mort il prit sa place parmi les Sept Sages [apkallu : lié au chien, vient du sumérien Abgal (Ab = eau, Gal = grand homme)], bien qu’il brisa les ailes de Ninlil le Vent du Sud, qui avait renversé son bateau de pêche.

Au même moment, de vastes bâtiments émergent, parfois ornés de manière recherchée : l’art est devenu propagande, aux seules fins de pouvoir, non plus accessible au commun des mortels. A cette époque apparaissent définitivement des représentations humaines « enfin » réalistes : la révolution urbaine est une révolution humaniste en ce sens que l’humain, enfin reconnaissable (alors que la femme et son principe naturel reproducteur l’est plus ou moins depuis les Vénus préhistoriques de -35 000 environ, en Europe), s’assure dans le monde des représentations figurées la place éminente qu’il ne quittera plus et qu’aucune figurine néolithique n’avait occupée à ce degré. Sur ce point aussi cette époque marque une rupture. L’anthropomorphisme des représentations figurées permet l’avancée notable des conceptions religieuses. La charnière du -IVè au -IIIè millénaire est l’époque où s’élaborent les premières esquisses théologiques et où sont définies les premières figures divines.
L’enracinement religieux de la reproduction des rapports sociaux ne concerne pas seulement les sociétés les plus simples, relativement peu différenciées. Il est encore plus fortement impliqué dans l’émergence de hiérarchies d’ordres ou de classes sociales. Différents degrés de stratification ont été observés, allant vers une séparation croissante des fonctions politico-religieuses. Le clan le plus noble tire sa position de la divinisation de son ancêtre.

Après le règne d’Alalgar qui dura 36 000 ans, la royauté passa à Bad-Tibira, le « mur des travailleurs du cuivre ». Le troisième roi fut Dumuzi, l’aïeul auquel tous les rois se réfèreront par la suite.
Le pouvoir a longtemps été considéré comme devant être consacré par les puissances divines pour affirmer sa légitimité. Cette reconnaissance se faisait par l’intermédiaire de mariages sacrés (hiérogamies) où, en s’accouplant avec l’énergie de la déesse-mère et tutélaire (les deux regroupées dans Inanna/Ishtar), le roi devient son amant et accède de la sorte au statut de fils et de parèdre (alter ego). À travers cet inceste symbolique, c’est la fécondité du royaume et la fertilité de son sol qui sont recherchées (fécondité qui représente le premier devoir du souverain). Il s’agissait ainsi, par la mise en scène du désir et de l’amour consommé, d’assurer la fécondation des matrices par l’ « eau du cœur » (le sperme) en répétant les ardentes noces de la déesse Inanna et de l’antique roi berger Dumuzi. Les chants sacerdotaux sont d’ailleurs explicites. Soulevée de passion, Inanna chante : « Quant à moi, à ma vulve, à mon tertre rebondi, Moi, jouvencelle, qui me labourera ? Ma vulve, ce terrain humide que je suis, Moi, reine, qui y mettra ses bœufs de labour ? ». À quoi on lui répond : « Ô Inanna, c’est le roi qui te labourera, C’est Dumuzi qui te labourera ! ». Et la déesse d’exulter : « Laboure-moi donc la vulve, ô homme de mon cœur ! ». C’est l’expression de ce désir et l’union qui en résultait que le roi réel devait répéter pour son propre compte avec une prêtresse d’Inanna qui en jouait le rôle et en qui la déesse était incarnée pour la circonstance (dans certaines cultures, si la déesse est un animal, le roi doit donc s’accoupler avec elle dans un acte de zoophilie sacré). Fondamentalement, le but de ces unions n’était pas tant d’assurer la fertilité des terres et l’abondance des récoltes (autant que la reproduction animale et humaine), que de ratifier la souveraineté du roi.

Dumuzi le berger devint le nom d’un dieu de la fertilité et de la végétation qui, en tant que tel, mourait et ressuscitait, invitant l’ensemble de la nature à suive le cycle des saisons. Un récit mythologique l'oppose d'ailleurs à Enkimdu, dieu de l'irrigation et de l'agriculture (fils d'Enki le dieu de la sagesse, identifié avec Enbilulu, « l'inspecteur des canaux ») auquel il dispute les faveurs de la déesse Inanna.
Bien que la déesse lui préférait l’agriculteur, aux vêtements moins rugueux, l’hésitation initiale de la déesse en ce qui concerne la personnalité de son futur époux, berger ou fermier, aboutit au choix du berger comme amant (comme dans Caïn et Abel), et ainsi comme roi de la communauté humaine. Ce choix fait écho à la présence de groupes humains aux modes de vie différents et à la légitimation, à un moment donné, de la montée sur le trône du représentant des bergers (Enkimdu s’inclina, acceptant que Dumuzi fasse brouter son troupeau de chèvres sur ses propres terres), reflet dès cette époque reculée d’une métaphore assimilant troupeau et communauté humaine, métaphore qui restera attachée à la personnalité royale et, plus loin, aux guides des Peuples, fussent-ils religieux. Ce passage illustre l’importance du rôle divin dans la légitimation des pouvoirs.
Élu du cœur de la déesse, Dumuzi l’épousa, épisode heureux qui servit de fondement au rite de la hiérogamie, dans lequel le roi jouait le rôle de l’époux d’Inanna en lieu et place de son ancêtre héroïque Dumuzi. Ce rituel garantissait symboliquement la fertilité de la terre et du bétail, mais désignait aussi Inanna comme source du pouvoir royale. Toute la mythologie sumérienne insiste sur la fécondité des femmes et des vaches, sur le lait qui sort des seins et des déesses-mères, sur la crème riche qui nourrira les humains (c'est encore sa « crème » et son beau « lait jaune » que le berger Dumuzi propose à Inanna lorsqu'il lui fait la cour ; ambivalence de cette substance, éminemment masculine mais présentée comme un produit féminin parce qu'il est celui des brebis).

Inanna, souveraine du « Grand Royaume d’En Haut », décide de descendre aux Enfers pour supplanter sa sœur aînée Ereshkigal, souveraine du Monde Inférieur. Elle s’apprête et revêt ses sept parures, symboles de ses pouvoirs. Mais pour accéder au royaume des Morts, elle doit franchir sept portes et, chaque fois, y déposer un de ses atours en paiement de son passage. Finalement, elle se présente nue devant sa sœur et s’installe sur son trône. Sur ordre d’Ereshkigal, elle est aussitôt condamnée à mort et les Sept Juges des Enfers (Anunnaki) la tuent. Le cadavre d’Inanna est suspendu à un clou. La disparition d'Ishtar provoque un arrêt de la fécondité sur terre. La servante d’Inanna, sans nouvelles, va chercher du secours auprès d’Enki. Celui-ci, ne supportant pas que sa sœur soit ainsi traitée, façonne deux créatures capables d’accéder sans difficulté au royaume des Morts. Ces messagers asexués raniment Inanna avec le « breuvage de vie » donné par un kalaturru (kalû/keleb signifie « chien », mais aussi esclave ou serviteur ; chienne signifie « inverti – homosexuel – sacré » : ces musiciens imberbes avec chapeau étaient des lamentateurs kalû ; il n’existait pas d’équivalent féminin pour les lamentateurs kalû, bien qu’au -IIIè millénaire ce métier ait pu également être exercé par des femmes) et la « nourriture de vie » donnée par un kurgarru ( catalogué parmi les chanteuses, ils avaient leur place fixe dans les temples, et sont à identifier avec des figurants qui dansaient, chantaient ou jouaient lors de cérémonies cultuelles). Obéissant à la loi qui dit que quiconque pénètre en Enfer ne peut revenir sur Terre, les Anunnaki ne la laissent pas partir. Inanna doit fournir un remplaçant. Elle revient sur terre accompagnée de démons et après diverses recherches, elle trouve Dumuzi confortablement installé sur le trône de la cité et ne pouvant contenir sa colère, elle le fait envoyer au royaume des Morts. Geshtinanna, déesse du Vin et sœur de Dumuzi, propose de prendre sa place. C’est ainsi que Dumuzi et Geshtinanna passent, alternativement, la moitié de l’année au royaume des Morts (sous un autre de ses aspects, que l'on retrouve notamment dans le Mythe d'Adapa, Dumuzi est l'un des deux gardiens du palais céleste d'Anu, avec Ningishzida). Le retour de Dumuzi sur terre est vu comme le début du renouveau de la nature (Dumuzi avait donné son nom au sixième mois de l'année à Lagash sous les Dynasties archaïques, le calendrier mésopotamien des époques postérieures comprend un mois nommé Dumuzi/Tammuz, le quatrième). Cela est notamment marqué dans les rituels mésopotamiens par le mariage sacré (hiérogamie), dans lequel les rois sumériens interprétant Dumuzi s'unissaient rituellement à la déesse Inanna, pour marquer le retour du printemps. Il dispose d’ailleurs de son sanctuaire dans celui de sa parèdre Inanna à Uruk.
Sargon d’Akkad (-XXIVè siècle), qui fut d’abord soumis au roi de Kish, s’est lui aussi placé sous le patronage d’Inanna, introduisant son culte dans sa nouvelle capitale. En effet, il doit son ascension politique à la déesse qui, s’étant éprise de lui, lui a toujours accordé son aide. Inanna, choisissant de s’établir à Akkad, y bâtissant son temple, attire toutes sortes de prospérité sur la ville grâce à la prostitution « sacrée ». Au -XXIè siècle, les souverains d’Ur, dont la dynastie est originaire d’Uruk, reprennent la thématique du roi aimé et même amant de la déesse.
Il est à noter que la puissance féminine d’Inanna gouverne dans un même temps, dans une sexualité souvent désordonnée et dépassant les cadres moraux et légaux des humains, les forces naturelles qui assurent la fertilité de la terre et l’esprit guerrier qui en garantit l’intégrité (le sol de la province, du royaume, étant lui-même compris comme le corps de la Mère). Ainsi, au-delà de garantir la prospérité du territoire, les rois (« suprêmes) »doivent aussi le gouverner avec sagesse et mesure, devant donc être capable de discernement, d’ordre spirituel.

Le mariage est le symbole de la réunion des extrêmes, ou couple d’opposés, qui dès lors se complètent et accèdent ainsi à une unité plus haute, comme un tout qui signifie plus que la simple somme de ses parties. Ainsi, le mariage sacré symbolisait l’union créatrice du Ciel et de la Terre, du dieu de l’élément masculin (le roi) et de la déesse de l’élément féminin (Inanna).
Le mariage et l’union sexuelle sacré symbolise donc l’union des éléments originels, qui forment alors un être androgyne, accédant de ce fait à une unité plus haute, primordiale. La dualité originelle du soleil et de la lune, de Mars le guerrier et de Vénus l’aimante, se résout alors dans l’union de la force et de la sagesse.
L’être androgyne représente la totalité de l’âme et de l’être humain : la tension entre les deux pôles n’a pas toujours revêtu une signification sexuelle, elle peut même être interprétée selon d’autres couples d’opposés dont les images sexuelles ne sont que les signifiants. L’androgyne représente en fait l’union des contraires en une unité autonome et parfaite, le retour à l’unité originelle (celle de l’œuf, d’avant le chaos), à la totalité du monde maternel et paternel dans sa perfection divine, où se dissolvent toutes les oppositions.
C’est de cette façon qu’on pouvait garantir la fertilité et l’ordre cosmique pour l’année à venir (cette union se faisait lors de la fête qui marquait le début de l’an nouveau).
Par le mariage, la femme est pour l’homme le seul moyen d’avoir des enfants et d’assurer ainsi une certaine forme d’immortalité. Mais pour nourrir sa famille, l’homme doit travailler la terre et récolter des céréales. L’espèce humaine peut donc se perpétuer, mais à la condition d’établir entre les hommes et les femmes des relations génératrices de maux associés à la mort et au travail. La lutte contre la mort exige que la femme souffre en enfantant, tandis que l’homme perd sa vie en travaillant. À travers les mythes s’expriment aussi ce que ne peut connaître l’expérience humaine, le royaume des morts. Avec la partition annuelle du séjour d’une divinité (souvent féminine) en Enfer, on assiste alors à un compromis, organisant la relation entre le monde d’en-haut et celui d’en-bas, dans le souci de respecter à la fois l’intérêt des récoltes qui naissent de la terre et celui des morts qui y sont enterrés. Le cycle végétatif (pendant l’hiver, les graines sont sous la terre, invisibles et comme mortes ; au printemps, des tiges commencent à sortir, puis les plantes se forment et poussent avant d’être récoltées) associé à la vie humaine peut également alors faire naître l’espoir d’une survie de l’âme humaine, telle une graine (sachant que les humains vivent sur la terre en dérobant le grain dans le sol) : la vie ne se termine pas avec la mort, elle se poursuit à travers elle !
Finalement, le roi se mariant à Inanna se sacrifie pour, après avoir toute sa vie fait exécuter les ordres venus d’en-haut, être condamné au séjour éternel aux Enfers afin que la déesse puisse continuer à prodiguer l’Amour (mais aussi la guerre) ! Explication bien « humaine » qui cache le mystère de la mort rituelle du roi pour assurer la fertilité universelle. En fait, Inanna regroupe différents aspects de la Grande Mère et de Lilith. Elle est la femme d'action présente chez l'homme qui a du mal à s'affirmer et s'attache surtout à des femmes qui le dominent. Elle est également la femme de la sublimation, celle qui apporte à l’homme à la fois vie, et mort ; elle est alors synonyme d'initiation et de destruction. Elle représente certains désirs, certaines attentes, arrangées dans un système de relation érotique.

Il faudra attendre le courant du -IIIè millénaire et l’apparition des premières dynasties pour entrer dans une ère nouvelle, celle de l’état fondé sur un pouvoir héréditaire, quand les textes transmettront des lignées de « rois ».
Les dieux apportent alors la civilisation, débarrassent l’humain des êtres monstrueux, fauves/rapaces et serpents, et mettent à sa disposition les animaux dont il peut se nourrir grâce à la chasse ou l’élevage, autant qu’ils enseignent la culture des végétaux. Avec tous ces changements, on cherche un monde ouvert, à ordonner ! Et l’on commence par le plus simple : la communauté élémentaire, la famille, le clan, puis la cité. Ces entités assurent leur identité grâce à la généalogie que racontent les récits fondateurs : sont ainsi fondés l’origine, le rattachement à un territoire, la parenté, les liens d’amitié comme les rapports de haine ! Les sociétés polythéistes s’ordonnent et se limitent grâce aux mythes, qui les aident aussi à se problématiser. Essentiels sont les mythes de succession, qui, à travers l’ordre des dieux, nous amènent à l’ordre du monde.
En-men-dur-ana de Sippar (ou également Enmeduranki) fut le septième et avant-dernier roi du pays de Sumer prédynastique. Son nom signifie « chef de la compétence de Dur-an-ki », qui signifie « le lieu de rencontre du ciel et de terre ». La ville de Sippar était associé avec le culte du dieu-soleil Utu, appelée plus tard Shamash dans la langue sémitique. Un mythe écrit dans une langue sémitique raconte qu’il fut emporté au ciel par les dieux Shamash et Adad, qui lui ont enseigné les secrets du ciel et de terre. En-men-dur-ana est extrêmement important pour les Sumériens : il a été l'ancêtre de tous les prêtres qui ont dû être en mesure de retracer l'ascendance généalogique. Il est parfois lié au patriarche biblique Énoch : fils de Yared (lignée de Seth), il initia le décompte des temps. Arrière-grand-père de Noé, il est le septième des patriarches de la lignée dont Adam est le premier et Noé le dixième. Il est réputé pour être à la fois le père de l’écriture, de l’astronomie et de la maîtrise du fer.

Ngushur fut le premier roi de Sumer après le Déluge, effectuant la mise en place de la première dynastie de Kish. Il marque donc le début de la période Dynastie archaïque II de Sumer, ce qui correspond à peu près au début de l’Âge de Bronze II, soit vers -2 900.
Kalibum de Kish fut le septième roi sumérien dans la première dynastie de Kish vers -2800. Ce nom est dérivé de l’akkadien « chien ».
Etana fut roi de Kish, « le pasteur, qui est monté au Ciel et a mis de l'ordre dans tous les pays ». Au -IIIè millénaire, dans toute l’antiquité, on bascule vers un roi dynastique. Etana vole le secret de la fertilité, institutionnalisant la masculinisation de la reproduction. Le développement du pouvoir royal semble s’accompagner d’un abandon progressif des anciens rites de fertilité, au profit d’un nouveau culte rendu à la puissance physique (les représentations de la femme sont désormais quasi inexistantes). Succèdent alors aux grandes stèles anthropomorphe celles du guerrier : une forme d’organisation (aberrante pour les Anciens) va se fonder, une personnalité armée, avec ses tendances agressives, imposant ses aspirations à l’ensemble de la communauté. Le mythe de la force, stérile, ennemi même de la vie, allait s’imposer. La structure sociale devient alors patriarcale, patrilinéaire et la psyché est guerrière. Chaque dieu est également un guerrier. Les déesses féminines sont les jeunes mariées, les épouses ou jeunes filles sans pouvoir et sans créativité, à part Inanna/Ishtar.

Le mythe d’Etana est une légende sumérienne ayant pour personnage principal Etana, le roi de Kish, qui tente désespérément d’obtenir un fils pour lui succéder.
Le récit commence par l’histoire d’un serpent et d’un aigle, liés d’amitié avant que le second ne mange les enfants du premier. Celui-ci va chercher conseil auprès d’Utu, le dieu-soleil, qui lui dit de piéger l’aigle en se cachant dans le cadavre d’un bœuf, et d’attendre que le volatile s’approche, pour le capturer. C’est ce que le serpent fait, avant de jeter l’aigle dans un trou après l’avoir molesté pour l’empêcher de s’envoler, et il dépérit. C’est alors qu’entre en scène Etana, le roi de Kish. Celui-ci désire ardemment un fils. Pour cela, il fait une demande à Utu, qui est aussi prié par l’aigle de lui venir en aide. Faisant d’une pierre deux coups, il dit à Etana que la solution serait d’obtenir une « plante d’enfantement », qui se trouve au Ciel, là où résident les dieux. Pour se rendre dans ce lieu inaccessible aux mortels, le dieu lui conseille de sortir l’aigle du trou, de le soigner, et qu’alors celui-ci l’aiderait à la trouver. Dans un premier temps, l’aigle ne veut pas l’aider. Il ne cède qu’après qu’Etana l’ait longuement imploré. Etana s’envole donc vers le Ciel sur le dos de l’aigle.
Finalement, Etana trouve dans le Ciel la déesse de la féminité (Inanna) à qui il demande le don de la fertilité (« plante d'enfantement »). Celle-ci accepte. Avec le don de la fertilité Etana s'assure le pouvoir de la succession : la Liste royale sumérienne indique qu’Etana a eu un fils comme successeur, Balih (également nom d’un affluent de la rive gauche de l’Euphrate, cours d’eau peu considérable avec maigre débit). Etana devient le premier roi dynastique de l'histoire. Ce mythe exprime la version masculine du culte dédié à la féminité, il marque l’affirmation de la supériorité du pouvoir masculin (et la reconnaissance de son rôle dans la reproduction), même si le matriarcat en tant que tel n’a jamais existé (nulle part). Les déesses-mères agricoles deviennent alors des dieux-rois métalliques (cuivre et bronze) représentés par des statuettes à tête d’aigle.

Ces légendes apparaissent bien tard dans les palais de Mésopotamie, puisque le Mythe d’Etana apparaît à la fin du -IIè millénaire, 600 ans après que la civilisation d’Aratta les ait dessinées.
La pensée humaine, sa vision du beau et du terrible, sa quête d’une organisation sociale, son exploration chaotique d’un principe supérieur, tout cela a pris forme quelques siècles avant Sumer, 1000 km plus au sud, à Jiroft, en Iran, véritable paradis oriental. Cette région qu’on croyait habitée à cette époque par des nomades était en réalité le cœur d’une civilisation prodigieusement avancée. Elle abritait une population dense et hiérarchisée au cœur d’une chaîne montagneuse avec désert, à mi-chemin entre Mésopotamie et Indus, en face d’Ormuz en Arabie Saoudite, non loin de la route de l’opium venu d’Afghanistan.
Aratta avait un art plus élaboré qu’en Mésopotamie. L’artisanat étant au cœur des échanges de cette civilisation, de par son talent exceptionnel dans la gravure des sceaux (créativité et originalité), ses produits voyageaient avec les idées qui y sont rattachées. Ainsi, quatre des plus anciennes légendes sumériennes parlent d’Aratta dont les Sumériens enviaient la puissance et la richesse (pierres dans un périmètre de 100 km autour du site, puis stockées dans le palais). La région, plus riche que fertile, ne dispose pas de matières premières : du limon, du bitume, des roseaux, rien d’autre. Ce peuple mésopotamien doit donc circuler, commercer, voyager (aussi bien aux Indes qu’aux marches de l’Europe), et il suppléé ses carences naturelles par des trouvailles techniques et intellectuelles. Les Sumériens, venus peut -être par la mer du golfe Arabo-persique, semblent avoir coupé les ponts avec leur patrie d’origine. Les Sémites en revanche s’enracinent dans un puissant arrière-monde, remontant jusqu’à la Syrie. Plus dynamiques, plus nombreux, constamment alimentés de sang frais, même s’ils semblent avoir été moins inventifs, ils « décollent » grâce à leur contact avec les Sumériens. Réciproquement, les Sumériens profitent de l’extraordinaire vitalité des Sémites. Il faut aussi compter sur d’autres Peuples, déjà présents sur les lieux, qui nous ont légué de nombreux noms propres tels que Lagash, Uruk, Ur. Nous sommes donc en présence d’une civilisation dynamique, composite. Le choc de l’écriture va la précipiter (dans le sens chimique du terme) dans un double mouvement : l’organisation d’une mythologie et celle, complémentaire, d’un certain esprit « scientifique », les deux se liant.

Des vases décrivent l’affrontement entre l’homme-lion et l’homme-scorpion. L’humain de Jiroft se cherche. Il teste ses forces et ses peurs. Sera-t-il le lion ou le scorpion, le dominé ou le dominant ? Il existe en effet une hiérarchie des puissances surnaturelles au sommet de laquelle se place l’homme-lion, seul capable de dominer le mal incarné par l’homme-scorpion (l’orgueil contre la reptation – le fait de « ramper »).
Le danger pour l’homme vient du scorpion et du serpent, de la panthère aussi, mais à un moindre degré (elle se renverse sans façon devant l’humain porteur d’une parure protectrice et devient même son allié contre le serpent, aux côtés de l’aigle). Ainsi, les forces, bonnes, mauvaises ou neutres, sont clairement identifiées.
Le dieu scorpion protège la montagne sacré ! L'image de la montagne traduit l'union du Ciel et de la Terre, autant qu'elle évoque le sexe féminin de la terre dans laquelle un pénis divin peut s'enfoncer : c'est le lieu de conjonction, union sexuelle où le Ciel « verse la semence » dans le sein de la Terre comparée à une « vache féconde qui donne naissance aux plantes de vie ». D’ailleurs Ishhara (Inanna/Ishtar prend ce nom en tant que déesse présidant aux accouplements) a pour symbole un scorpion. Le signe du Scorpion est lié à l’élément classique de l’eau (symbole de fertilité) et son opposé polaire est le Taureau. L’axe Taureau-Scorpion est d’ailleurs l'axe de la pulsion : le Taureau se définit par « La vie est sur Terre. Je crée et je possède », par opposition à la phrase du Scorpion « La vie passe par la mort. Je détruis pour transcender ».
Les fauves et les rapaces font allusion au pouvoir destructeur de la divinité, de telle sorte que l’association fréquente des uns et des autres dans des scènes conflictuelles évoque la mort qui s’abat sur les humains. Ici, dans une conception cyclique du temps, la mort est toujours annonciatrice d’un renouveau. Le héros dompteur de fauves (ou « Maître des animaux ») représente la royauté maîtrisant les forces délétères (nuisible, dangereuses pour la santé, qui peuvent causer la mort), une des fonctions royales étant en effet de garantir l’ordre sous toutes ses formes.
Le « Maître des animaux » (silhouette humaine dont la tête est sommée de cornes de capridés, le corps ocellé – avec des taches rondes, comme sur le pelage, le plumage, de certains animaux – et les mains pourvues de trois doigts), fait d’ailleurs suite à la « Maîtresse des animaux », la Grande Mère.
Cet homme, protégé par des parures (ou bracelets, colliers, bandeaux), maîtrise des serpents ou renverse des panthères ; un lion (pouvoir masculin) se bat contre de longs serpents (pouvoir féminin) qui cherchent à l’étouffer dans leurs anneaux, mais il n’offre en revanche qu’une résistance assez molle au « Maître des animaux » paré qui le soulève de terre et le renverse d’un doigt indifférent.
À une époque qui précède celle de la structuration des villes et de l’écriture, ce personnage se distingue des autres. Certaines de ses parures ou de ses attitudes le relient au monde animal. On peut le mettre en rapport avec l’apparition d’une hiérarchie dans le cadre d’actes qui ne relèvent pas de la sphère quotidienne : ce personnage est ainsi la représentativité d’une autorité supra-humaine (ancêtre héroïque, esprit voire dieu).

En complément, les œuvres d’Aratta décrivent jusqu’à l’obsession les enlacements des serpents qui s’enroulent et se dévorent dans des entrelacs interminables (le serpent – animal du chaos originel, opposé en tout, jour/nuit, bien/mal, vie/mort, féminin/masculin – est le fondateur du monde terrestre, lorsqu’il pondit l’œuf primordial).
Le monde naît du divin. Un dieu créateur sort de l’œuf, forme parfaite et réservoir illimité des possibles. Les dieux créateurs des premiers âges donnent naissance à des monstres, symboles des éléments naturels (eau, terre, feu, sécheresse, froid, etc.). Ces monstres se disputent et s’entredévorent sous le regard agacé de leurs géniteurs, eux-mêmes repoussants. Le serpent est l’une des figures les plus fréquentes : à Sumer, c’est une femme qui est à l’origine du monde, femelle reptilienne et sauvage, Tiamat. Être gigantesque et destructeur, elle est le symbole de la prolifération encore désordonnée de l’énergie vitale, sexuelle.
Le serpent a le même signe qui désigne la vie constamment renouvelée (ouroboros : le serpent se mord la queue, ce qui donnera plus tard le nœud gordien, l’infini grec), il symbolise la société en cela que la femme est seule capable de relier le masculin au féminin (acte sexuel) et de produire soi du même (bébé féminin) soi du différent (bébé masculin).
Le serpent, le féminin, ne s’oppose pas au masculin, il contient et réunit les deux aspects récepteur et émetteur.
La femme, symbole du renouvellement, est aussi celle qui dispense les soins. Les idéogrammes MI (femme) et NIN (féminin) sont abondamment employés dans les textes concernant les soins de l’âme et du corps où interviennent la miséricorde, la pitié, la tendresse du cœur, le secret. L’antériorité, la préséance du féminin éternel est indiquée par un sexe féminin voilé, prononcé NIN. Ce n’est pas une personne, c’est une énergie, une réalité profonde, symbolisée par des figures féminines dont la beauté est perçue comme une présence du divin créant l’amour dans l’humain, éveillant en lui le désir de la pénétration métaphysique. Dès la plus ancienne époque sumérienne, même les noms des divinités masculines sont précédés par l’idéogramme NIN, qui signifie Féminin. Une des fonctions essentielles du Féminin est de soigner. Selon les Sumériens, la maladie est un moyen salutaire pour inciter l’humain à se transcender dans une quête d’immortalité toujours renouvelée. La femme, symbole de ce renouvellement, est celle qui dispense les soins. Thérapeute et prêtresse, elle agit afin d’aider son patient à trouver la Vie (c’est-à-dire la santé) à travers les épreuves (crises curatives), qui préparent à des renaissances.

Après le retour d’Etana sur la terre ferme, avant qu’il n’ait un fils, voici la suite de l’histoire, manquante sur les tablettes mais présente sur les vases de Jiroft. L’humain étatique (en somme le personnage, Etana, justificateur de la religion, donc du roi), s’épuise à combattre le serpent, tentateur de la connaissance du bien (et forcément du recto de la médaille, du mal – mais qui peut être le « bien » perçu par les humains de la servitude volontaire, celle du monde civilisé). L’aigle et la panthère sont les « preux » qui, à ses côtés, étouffent la bête immonde (du véritable bien, celui de la société d’avant où on respectait les femmes comme donneuses de vie et gardiennes de savoirs). Et, pourtant, l’immonde est un monde envoûtant. L’artiste est habité par ses anneaux luisants. Le serpent est à la base du décor, incrusté de bleu et de feu : s’il est le « mal », il est aussi la beauté. Au poignet des Persanes et des Mésopotamiennes d’aujourd’hui scintille toujours sa tentation en bracelets graciles.
Dans une société sédentaire bien alimentée, qui fait plus d’enfants, qui meurent moins souvent, on ne peut avoir les mêmes attitudes face à la sexualité qu’une société nomade à faible natalité (puberté et sevrage plus tardifs) et fort taux de décès périnatal.

L’aigle est le roi des oiseaux, qui descend du ciel pour s’abattre sur la terre. Il est symbole de puissance et de combattivité, mais aussi d’âme qui s’envole vers le ciel rejoindre les dieux.
Animal capable de regarder le soleil sans ciller des yeux et d’évoluer dans le ciel inaccessible aux humains, tueur de serpent, l’aigle est le symbole masculin de la victoire de la lumière sur les forces obscures, c’est pourquoi il est souvent représenté tenant dans son bec un serpent, symbole féminin. Il représente finalement la puissante vertu de la justice.
Pour certains, une première période de la royauté aurait vu l’existence de centres urbains dominés par des divinités féminines, dont les rois, des « en », auraient été les princes consorts. Par la suite, les états du -IIIè millénaire possédant presque tous une double capitale (Girsu et Lagash, Umma et Zabalam, Nippur et Tumal), la capitale religieuse aurait été la plus ancienne, celle qui avait une déesse à sa tête, doublée d’un époux humain, l’« en » de la cité. Pour des raisons militaires, les capitales politiques se seraient développées en miroir avec un dieu masculin à leur tête, un « ensik » (statut du roi, vicaire, par rapport au propriétaire divin de sa cité). Cette situation expliquerait qu’à terme, le roi de l’époque Dynastique archaïque finale ait pu être tout à la fois époux de la déesse (« en »), vicaire d’un dieu masculin (« ensik ») ou encore homme fort de l’état (« lugal »).
Les rois reçoivent du plus puissant des dieux le sceptre (crosse de berger) et le fléau (flagellum du bouvier ?), ou une couronne (forme très particulière et adéquat du couvre-chef, placée sur la tête elle domine le corps humain – donc la matière – et participe du ciel vers lequel elle s’élève, établissant un pont entre l’humain et l’azur).
Les rois d’Uruk, comme les héros d’épopées, revendiquent des liens très forts avec Inanna et voient volontiers en elle la source de leur pouvoir. Il en va de même des souverains de Kish, dans la partie nord de la plaine, autre centre du culte de la déesse et première dynastie d’après Déluge, lieu de naissance d’Etana. Ainsi, Eannatum de Lagash (vers -2 450), lorsqu’il prend le titre de roi de Kish, explique : « Inanna, parce qu’elle aimait Eannatum, gouverneur de Lagash, lui a donné de gouverner Lagash et d’être roi à Kish ».

Finalement, le choix d’un roi procédait du dieu tutélaire de la cité, par élection ou par naissance. Toutefois, le dieu Enlil lui-même conférait également la royauté, tandis que l’amour de la grande déesse Inanna pour le roi est également censé confier et légitimer le pouvoir royal. Les titres royaux traduisent la nature intermédiaire attachée au souverain, mettant en valeur le principe de réciprocité des relations entretenues avec les dieux. Le roi est donc dans la posture subalterne d’un régent (qui gère au nom de), en même temps qu’il est l’élu et le chéri des dieux, nourri par la grande déesse, façonné par les dieux. Le sentiment du roi à l’égard des dieux est à la fois centrifuge et centripète (donc qui attire et qui écarte), fondé non seulement sur la crainte, le respect et l’obéissance, mais aussi sur une grande proximité, établie sur une forme complexe d’assimilation au monde supérieur doublée de la certitude d’un légitime amour en retour.

L’épopée de Gilgamesh fait figure d’un des tout premiers poèmes et des prémisses (pour ne pas dire préliminaires) de la littérature érotique. On y évoque la mort, l’amitié mais aussi l’amour physique, parfois de manière assez crue. Le désir y est abordé comme un des moteurs de l’Histoire. La morale de l'Épopée est qu'on ne peut échapper à la mort, symbole de la condition humaine, et qu'il vaut mieux chercher à profiter au maximum de son existence sur Terre.

Uruk (-4 300 à -3 100) était au cœur d’un vaste réseau de relations et d’échanges dont le développement est étroitement lié aux mutations que connaît alors l’ensemble du monde mésopotamien. Uruk était ainsi le centre très actif d’un important réseau de villages et de petits bourgs situés le long des chenaux de l’Euphrate. On a lié la révolution urbaine à une croissance démographique que la rente agraire de Sumer rendait possible. En effet, installées sur les bras du cours combiné du Tigre et de l’Euphrate, les cités sumériennes exploitent au prix d’un effort humain limité les ressources exceptionnellement riches d’une niche écologique, un immense delta, qui offre d’abondantes ressources de poissons, des roseaux et l’eau de l’irrigation. Bref, nous disposons là de tout un faisceau de contraintes qui expliquent en partie son dynamisme. De plus, les pluies de moussons affectaient jusque vers -3 500 le pays de Sumer. En revanche, à partir de cette époque, les conditions climatiques actuelles (aridité extrême) se mettent en place, et ces modifications climatiques ont pu nécessiter un encadrement accru des populations.
Tel le jardinier de la vie et l’organisateur de son pré carré, on remarque l’image du seigneur, souvent plus grand que les autres (selon une convention appelé à un long avenir). Il n’est pas symbolisé ou idéalisé, mais représenté de façon réaliste, humaine : c’est un personnage historique et non une idée ou un concept. Le fait qu’il apparaisse en même temps que des signes écrits, qui permettront plus tard le souvenir d’évènements historiques, n’est pas le fait du hasard. Alors que l’on avait affaire à une gestion très poussée dans le cadre des chefferies, on passe avec l’urbanisation à un contrôle de plus en plus absolu des productions et des échanges. Le terme gestion est plus neutre car il ne présume pas d’objectifs. L’idée d’organisation y est implicite et par-là même celle de prises de décision, au moins individuelles, voire au niveau du groupe, supposant alors une volonté ou un objectif communs. Le terme contrôle, quant à lui, contient l’idée d’objectifs à atteindre, de maîtrise, de domination et donc de pouvoir sur les choses ou les êtres. Le seigneur de la cité a alors quasiment un droit de propriété sur ses possessions, ses femmes, ses subordonnés. Le fait de disposer de gens, fidèles et dévoués, est un instrument de pouvoir efficace sur le reste de la société. Parmi les stratégies les plus courantes utilisées pour acquérir du pouvoir et d’autres bénéfices basés sur la production, on trouve le prix payés pour les époux/ses, l’investissement dans les enfants (pour augmenter leur valeur comme époux/ses), l’établissement de tabous, d’amendes et contrôle dans la résolution des disputes, la manipulation des valeurs culturelles (contrôle de la fertilité et de la richesse, besoin alliances pour se défendre, acquisition des épouses par le paiement).

Le site d'Uruk fut occupé à partir de la fin de la période d'Obeid, vers la fin du -Vè millénaire, sur le bord de l'Euphrate. Identifié à l'Erech de la Bible, cette ville joua un rôle très important sur les plans religieux et politiques pendant quatre millénaires. Elle passe pour être la plus ancienne agglomération (environ 30 000 habitants) à avoir atteint le stade urbain dans la seconde moitié du -IVè millénaire : c'est sous la Période d'Uruk (environ -3 800 à -2 900) que la cité s'épanouit. Sept grands temples datent de la fin de la période d'Uruk, au niveau IV A (fin du -IVè millénaire), et c'est le niveau IV de l'Eanna qui a livré les plus anciennes tablettes (de comptabilité) écrites retrouvées en Mésopotamie, ce qui paraît confirmer la tradition sumérienne voulant voir dans Uruk le lieu de naissance de l'écriture.
Le site est organisé autour de deux entités, qui correspondent à deux villages unifiés pour former la cité d'Uruk : Kullab à l'ouest (mort du soleil), et Eanna à l'est (naissance du soleil), séparés d'environ 500 mètres seulement, localisés au centre du tell.
Kullab ou Kullaba était à l'origine un village doté d'un temple consacré au dieu sumérien Anu (dieu suprême du Ciel). La déesse Ninsun, qui signifie dame de la vache sauvage, est une divinité mineure de la mythologie sumérienne, mais sous son appellation Rimat-Ninsun (la sage, l'intelligente, l'omnisciente, la grande reine, la vache sublime), on peut la relier à la Grande Mère. Son culte était également rendu à Kullab. Là se dressait un sanctuaire : sur une plate-forme de 13 mètres de haut et d'une quarantaine de mètres de côté avait été bâti un sanctuaire de 18 m sur 7 m, le « Temple blanc ».
L'Eanna (« la maison du Ciel ») est le temple principal de la déesse sumérienne Inanna (Ishtar chez les Akkadiens et Babyloniens) dans la ville d'Uruk. À Uruk, le centre de la cité est son cœur politique. L’Eanna est une acropole où se pressent les bâtiments prestigieux dus à la volonté de l’élite de la cité, dorénavant unie autour d’un seigneur reconnaissable. C’est tout l’ensemble de l’Eanna qui est le palais d’Uruk. Son maître, le seigneur, chef de la cité, garantit la prospérité du pays, la fertilité des plantes et des troupeaux, il nourrit – ou vivifie – les troupeaux. Inanna (Ishtar en akkadien) est la plus grande déesse du panthéon mésopotamien. Elle est liée à la fertilité et à l’amour. C’est l’amante, la sœur, l’épouse et la mère de plusieurs divinités. Elle acquiert progressivement un caractère guerrier, très agressif, fournissant aux souverains les armes et se tenant à leurs côtés pendant les combats. Identifiée à Vénus, la plus brillante des étoiles / planètes, elle peut être figurée sous la forme d’un astre, d’une femme nue dévoilant ses charmes ou au contraire vêtue mais armée, des masses d’armes émergeant de ses épaules.

L’Épopée de Gilgamesh est un des textes majeurs traitant de la royauté et de sa définition au travers d’une prise de conscience de sa nature par une confrontation à celle des dieux et à leurs prérogatives. Ce chemin initiatique est voulu par les dieux, qui cherchent ainsi à lui faire comprendre et accepter sa condition de roi, certes placé au-dessus de ses sujets, mais devant exercer sur eux un pouvoir juste et mesuré, dans le cadre d’une finitude humaine. Le récit vise également à assurer la pérennité de la civilisation en stigmatisant ceux qui vivent comme des sauvages.
Les problèmes sociaux issus de la densité de population furent résolus d’abord par le développement des villes : vers -3 000, sur un territoire grand comme la Suisse, existent le long de trois grands chenaux de l’Euphrate et du Tigre une série de micro-états (une quinzaine), qui exploitent chacun une partie du réseau et développe les champs alentours. Au-delà même de la pratique agricole, le système social qui s’est mis en place implique des réseaux de parenté irremplaçables (c’est la couverture sociale de l’époque, avec la garantie entre autres de trouver un conjoint pour procréer de futurs aides de champs), une structure politique capable d’assurer l’ordre et la sécurité, des monuments qui sont l’expression même de la prospérité Commune. Avec le temps, les communautés s’amplifient encore et la hiérarchie s’accentue. On aura bientôt affaire à des micro-états, gouvernés par une élite à la tête de laquelle se trouve un seigneur.
Cette dynamique a un caractère relativement irréversible (même si on a vu des retours au nomadisme ou au moins semi avec la reconversion de certains vers le pastoralisme) car, lorsque s’est constitué au fil des siècles un réseau d’irrigation de plus en plus étendu et performant (permettant la survie de ces agglomérations « obligatoires »), nul ne peut espérer se passer d’un tel héritage sans remettre radicalement en cause son mode de vie.
Tous ces avantages, réels ou subjectifs, sont propres à dissuader de partir tandis qu’à l’inverse, les agglomérations les plus importantes (les plus prospères, les mieux organisées, celles qui se sont dotées de bâtiments les plus impressionnants) constituent des pôles d’attraction vers lesquels convergent les populations des campagnes environnantes.

« Kish fut soumise par les armes, sa royauté à Eanna (Uruk) fut transportée. À Eanna, Meskiangasher, fils d’Utu (dieu du soleil, frère d’Inanna/Ishtar, comme il dispense la lumière, il est rapidement vu comme le dieu de la vérité, du droit et de la justice ; il tend au souverain les emblèmes du pouvoir, le bâton et le cercle et règle aussi le cours des saisons), devint grand-prêtre et roi. Il devint le soleil en entrant dans la mer et en sortant par la montagne. Enmerkar, fils de Meskiangasher (roi d’Uruk qui construisit la ville en fusionnant les deux entités de Kullab et d’Eanna) devint roi.
Suivi le divin Lugalbanda, puis Dumuzi (un autre, pêcheur). Le divin Gilgamesh (son père était un démon lilû, un esprit maléfique qui hantait les déserts et grands espaces, son action était particulièrement néfaste aux femmes enceintes et aux enfants), grand-prêtre de Kullab devint roi ».
Gilgamesh est le cinquième roi de la première dynastie d'Uruk (où il aurait régné vers -2 600), présenté comme le fils d'un démon lilû (jeune homme décédé avant d'avoir pu se marier) et de la déesse Ninsun (dans l'épopée de Gilgamesh, elle apparaît comme reine et non comme déesse, épouse du roi Lugalbanda). Lorsque l’accouplement surnaturel concerne une femme et un esprit, le fruit d'une telle union a des dons exceptionnels : cela ouvre la possibilité d'engendrer, pour une femme chamane lorsque l'union se fait avec un esprit, un enfant qui pourra se réclamer plus tard d'une nouvelle lignée chamanique. Gilgamesh est ainsi deux tiers dieu, un tiers homme, et est grand, beau et fort, même capable de séduire une déesse, Inanna/Ishtar.
Gilgamesh est un despote qui se veut l’égal des dieux : brutalité, tyrannie, soif de plaisir sans limite. Homme intrépide qui veut se mesurer au monde entier et qui aspire à l’immortalité, d’origine noble, il apporte plus d’intérêt au luxe, à son bien-être et aux orgies, qu’à ses devoirs de roi.

Gilgamesh est un grand roi mais la complainte des habitants de sa ville d’Uruk monte trop souvent auprès des dieux du ciel qui sont assaillis par les mêmes prières continuelles. Ils viennent se plaindre au père des dieux, Anu, d’avoir créé un tel homme, fils d’une déesse (la patronne ou la Dame des buffles), de n’avoir pas ignoré ces actions futures et la façon dont il maltraiterait les gens de sa propre ville. Ce roi est insupportable car il ne laisse ni garçon, ni fille à leurs parents. Il emploie les uns aux travaux et à l’armée et à l’encontre des filles, il exerce un droit de cuissage rigoureux (allusion possible à un rite de défloration sacrée dans le cadre de la prostitution toute aussi sacrée au sein du temple d’Inanna : Hérodote dit que « la plus honteuse des lois de Babylone est celle qui oblige toutes les femmes du pays à se rendre une fois dans leur vie au temple d’Inanna pour s'y livrer à un inconnu. (...) Les femmes sont assises dans l'enceinte sacrée d’Inanna, la tête ceinte d'une corde, toujours nombreuses, car si les unes se retirent, il en vient d'autres. Les femmes n'ont pas le droit de retourner chez elles avant qu'un homme ne les ait choisies, en leur jetant quelque argent sur les genoux, en prononçant ces mots : "J'invoque la déesse Mylitta/Inanna/Ishtar". Quelle que soit la somme offerte, la femme ne refuse jamais, elle n'en a pas le droit et cet argent est sacré. Elle suit le premier qui lui jette de l'argent et ne peut repousser personne ») et il les emploie aux multiples travaux féminins que nécessitent le palais et les temples : tissages, filages, broderies, service des cuisines et de boulangerie… Anu le père des dieux ne pouvait ignorer tout cela.

Gilgamesh prend place sur le plan de l’abus sexuel et l’abus de ses pouvoirs de demi-dieu, roi qui s’impose à tous dans tous les domaines de sa cité. Les plaintes du peuple de la ville d’Uruk ne cessent de monter vers les dieux qui en ont les oreilles rebattues. Ils tiennent une assemblée pour déterminer la conduite à tenir envers Gilgamesh. Ils convoquent la déesse Aruru, qui avait déjà formé l’humanité, pour qu’elle façonne un être d’un seul bloc, sur le patron de l’ouragan, aussi puissant que Gilgamesh. Cet être s’empoignera avec Gilgamesh, le terrassera et la complainte cessera.
Aruru fit Enkidu à l'image d'Anu le dieu du ciel, de la végétation ainsi que de la pluie (il était le père de tous les dieux ; on disait de lui qu'il avait le pouvoir de juger tous les criminels) et de Ninurta le dieu de guerre, de la fertilité, de l'irrigation, du labour et du vent du sud (connu pour apporter sécheresse et famine en saison sèche, et des inondations lors de la saison humide) en tant que soleil du matin et du printemps. Elle le façonne à partir d’un lopin d’argile, velu par tout le corps, ses cheveux longs (plutôt même une crinière) comme ceux des femmes ne sont pas noués sur ses épaules, au contraire des habitants civilisés de la ville. Il vit dans la steppe en compagnie des gazelles, broute l’herbe avec elles, boit dans les aiguades ou les rivières avec elles. Voici une naissance hors du commun mais qui ressemble à la formation de la race humaine selon les divers textes de création de l’humain que nous possédons et provenant du Moyen Orient antique.
Né sans mère (absence compensée par la vie avec les gazelles), il a été élevé à l’écart des hommes et de la société, par des bêtes sauvages. Il a vécu toute la première partie de sa vie à l’écart de la société des hommes et des femmes, ignorant la vie de la société des hommes, les femmes, les plaisirs, les joies et aussi les peines des humains. Enkidu (ce nom n’évoque pas la vie animale, mais plus simplement la créature d’Enki) vit comme les gazelles et se sent un être comme elles, qui agit comme elles. Cet homme né hors du commerce naturel des hommes et des femmes est un isolé, volontaire ou involontaire.
Enkidu a un rôle important à jouer dans son royaume. La vie à l’écart qui le caractérise ne peut durer sans dommage pour les habitants du pays. Né dans les steppes, Enkidu est découvert par un homme qui hante les steppes, un chasseur (Enkidu vit isolé, tout comme le chasseur qui le découvre vit isolé, l’isolement du chasseur étant dû à son seul métier). La surprise de cet homme n’a d’égal que son désarroi face à cet être aux cheveux longs dénoués et qui vit avec les gazelles mais qui démonte tous ses pièges de chasseur ou comble toutes ses trappes pour prendre les animaux sauvages ou qui leur permet de s’échapper ou de se tirer du piège qui les retenait. Le chasseur qui l’a vu dans la steppe, s’inquiète car trappes, pièges et filets n’ont plus d’effet. Le chasseur prend conseil de son père qui l’envoie au roi d’Uruk car il est plus habitué à courir la steppe qu’à vivre en ville (le père du chasseur habite sans doute un village proche de la steppe plutôt que près de la ville). Le chasseur va demander à son roi le conseil pour savoir que faire de l’homme étrange qu’il a vu dans la steppe. A Uruk, le roi décide seul de la conduite à tenir et de celle qui exécutera la mission. La décision de Gilgamesh a pour but d’attirer Enkidu à la ville. Ce roi renvoie le chasseur dans la steppe en compagnie d’une courtisane (une prostituée en somme), qui aura pour mission de se mettre nue devant Enkidu et de lui dévoiler ses charmes (le père du chasseur lui avait déjà donné le même conseil). La harde de gazelle avec quelle il vivait lui deviendra alors hostile. Ainsi, le conseil des dieux sumériens visait un homme à corriger, alors que l’homme à corriger envoie une courtisane.
Tout advient comme Gilgamesh l’avait dit. La venue de la courtisane lui fera perdre la tête et il agira en mâle avec la fille, envoyée expressément à cet effet. Enkidu, homme innocent qui ignore l’amour des femmes, succombe aux charmes de la courtisane. Quand elle se dévêt devant lui en laissant apparaître ses charmes féminins et son sexe, elle attire l’homme pour coucher avec lui immédiatement dans la steppe, sans retenue, et ce pendant une semaine (comme des bêtes pourrait-on dire). La courtisane le mêlant ainsi à la société des hommes (Shamat est venue pour « corrompre » l'homme sauvage : elle civilise Enkidu en l'initiant aux rites sexuels de la déesse Inanna/Ishtar, en tant que prostituée du temple, prêtresse de la déesse), les animaux le rejetteront et il ne pourra plus vivre avec la harde de gazelles dont il partageait la vie et qui désormais ne le reconnaît plus pour l’un des siens (une harde est un troupeau d'ongulés sauvages, notamment de ruminants. Ce terme est souvent utilisé pour évoquer un groupe de cerfs mais, selon les pays, pour multiples animaux : une harde de chevaux est un groupe, un troupeau, de chevaux sauvages ; une harde désigne également les liens attachant les chiens quatre à quatre ou six à six. Attention à ne pas confondre « harde » et son cousin « horde », ce dernier terme s'appliquant uniquement aux groupes humains). La réussite des actes de la fille de joie (qui s’appelle justement Lajoyeuse) tient plus du fait que les gazelles abandonnent leur ancien partenaire parce qu’il appartient désormais au monde des humains, à la civilisation qu’il ignorait (autant que les villes et les attraits de la vie en société). Amadoué par la courtisane, Enkidu devient un homme digne de vivre parmi les hommes civilisés (il a perdu en force mais il s'éveille à l'intelligence), et entend parler du roi d’Uruk en bien et en mal (comportement abusif du roi). Avec elle, Enkidu part vers Uruk, passe près des huttes des bergers et des vachers. La courtisane s’arrange pour que les bergers et les vachers leur offrent de la nourriture ou de la boisson. Mais Enkidu ignore ce qu’est la nourriture des hommes, faite à partir des plantes qu’ils ont cultivées : le raffinement ne peut pas être le même, puisqu’il vivait comme une gazelle dans la steppe et n’avait aucune idée de ce qu’était la civilisation. Il refuse les galettes ou la bière d’orge et il faut tout l’entregent de la courtisane pour les lui faire prendre, goûter et accepter. Se plaisant dans son nouveau statut, il gardera les troupeaux pendant un temps en déchirant les lions ou les loups qui viennent assaillir les brebis ou les vaches. On peut en déduire que les bergers et vachers louaient hautement son aide et ses connaissances des animaux de la steppe, car il leur facilitait la tâche et leur donnait un répit important dans la surveillance de leurs troupeaux.

L’arrivée d’Enkidu est précédée dans l’épopée de deux rêves de Gilgamesh. Quand Enkidu entre dans la ville, il est heureux de voir la ville de ce roi puissant, il est heureux de découvrir la civilisation qu’il n’avait jamais connue auparavant. Toute la ville se presse pour voir ce nouvel arrivant qui a une prestance semblable à celle de leur roi, Gilgamesh. Enkidu croise une noce et comprend que Gilgamesh va s’arroger le devoir de l’époux avec la jeune épousée. Enkidu va alors agir vis-à-vis de Gilgamesh comme s’il était personnellement touché par ses abus sur les filles des habitants. Enkidu pouvait déchirer les lions et les loups, mais quand il voit Gilgamesh se parer comme l’époux à la place de celui-là, il l’empêche d’entrer dans la chambre nuptiale et le combat. Les deux hommes en viennent aux mains et se battent dans la rue. Après s’être battus toute la nuit, le roi n’est pas vaincu mais il compose avec cet homme aussi fort que lui et qui avait osé lui résister. Au lieu de le prendre en ennemi, il s’en fait un allié. Gilgamesh comprend ses propres limites et qu’il ne doit plus abuser de son pouvoir.
Enkidu devient l’ami ou le double de Gilgamesh (il le cajole même comme une épouse et le traite à égalité – même la mère de Gilgamesh traite Enkidu à égalité avec son fils, voire ils règnent en tandem sur Uruk et sont même un couple charnel) : Enkidu, qui a couché sept jours durant avec la courtisane, agit sur la sexualité débridée du roi d’Uruk en ne lui laissant pas procéder à son coutumier droit de cuissage, éhonté, objet des supplications du peuple auprès des dieux de la ville. Le rôle d’Enkidu a échoué, en partie du moins, mais Gilgamesh a abandonné par la suite son comportement abusif vis-à-vis des enfants des habitants de la ville d’Uruk (il s’amendera et conduira son royaume à la prospérité). Aucune nouvelle prière n’arrive auprès des dieux.
Il ne faudrait pas voir dans le récit de Gilgamesh le recours au sauvage pour mater le civilisé, mais plutôt l’intervention de la force sauvage pour museler l’abus de pouvoir en tout domaine du demi-dieu. L’objectif est la réalisation d’une civilisation parfaite, d’une société policée qui connaît la prospérité par la douceur de vivre sous un bon gouvernement, sans abus ni défaut. Les dieux tentent, par un moyen détourné, qui ne nuira qu’à l’intéressé, de mettre un point final, non pas à la vie du héros, mais à son comportement hautement abusif et objet de tant de prières qui méritent d’être exaucées. Gilgamesh est arrogant et abusif, sexuellement parlant mais aussi sur le plan de l’embrigadement de tous les enfants de la cité. Enkidu est excessif en couchant sept jours d’affilé avec la courtisane, mais ensuite, il refuse la nourriture des bergers et garde les troupeaux comme les bergers ne savent pas les garder (en tuant les bêtes fauves à mains nues). Les deux sociétés sont de nouveau correctement gérées et dirigées au plus grand bonheur des dieux et des hommes.
On peut d’ailleurs voir Gilgamesh (ou Enkidu, les deux étant interchangeables, chacun ayant pris le meilleur de l’autre après avoir rejeté le pire de soi), serrant sur son cœur un lion vivant, symbole de la force assimilée par l'Initié qui, dans les sables brûlants du désert, a su maîtriser la bête royale et dompter sa puissance, choisissant ainsi de capter et réguler son énergie jusqu'alors destructrice, plutôt que de la tuer et de s'affubler de sa dépouille : symbole, en somme, de la Force mise au service de la Sagesse (Enkidu naturel et Gilgamesh culturel, les deux définissent le passage de l’un à l’autre).
Enkidu peut être interprété comme l’incarnation des forces brutes de la nature avant la conquête de la civilisation, celles de la vie instinctive sans frein (ce qui n’était pas le cas, car toute culture – même chez les autres animaux – connaît et dicte des limites), exprimant la nostalgie d’une libération des désirs. De bien des façons, la métamorphose d'Enkidu peut représenter la puissance de séduction exercée par les ville-États de Mésopotamie. Ses origines (la steppe) et sa vie au milieu des bêtes sauvages suggèrent le chasseur-cueilleur vivant en marge du territoire des premiers fermiers de l'Irak méridional. Sa transformation et l'acceptation de la vie citadine représente la lente assimilation de cette population nomade par la civilisation agricole. Pour autant, Enkidu, commençant à dépérir, maudit le chasseur et la courtisane envoyée pour le civiliser (importance sociale et rôle positif de la prostitution dans la civilisation). Peu avant sa mort, suite aux paroles du dieu Utu (dieu solaire de justice) qui lui reproche son ingratitude envers elle, il finit par la réhabiliter : certes Shamat l’avait arraché à l’innocence de sa vie première, mais elle lui avait somme toute apporté beaucoup de bien tout de même (elle l'a vêtu, abreuvé et nourri, lui a procuré un compagnon tel que Gilgamesh). Mais dans certaines versions, le terme de catin est employé pour désigner Shamat. L'utilisation de ce mot apporte à son rôle une connotation très différente. Il véhicule peut-être l'idée que la transformation d'Enkidu ne lui a pas été totalement salutaire.

Inanna est déesse d’Uruk, de l’amour, de la fécondité, de la guerre et de la mort. Gilgamesh lui érigea le plus grand temple d’Uruk, la ziggourat de l’Eanna, pour y célébrer chaque année le rituel de fertilité qui lui est dédié. Le roi s’unit sexuellement avec une prêtresse vierge qui l’attend dans le temple. Il doit accomplir ce rite juste après son retour de la forêt des cèdres (du Liban), mais Inanna apparaît auréolée des flammes de la passion. Elle veut séduire et s’unir elle-même avec le roi en devenant son épouse, plutôt qu’une prêtresse le fasse à sa place. Surestimant encore une fois ses forces, Gilgamesh s’oppose à la déesse et refuse d’épouser Inanna, en lui reprochant d’avoir toujours provoqué le malheur de ses amants, mettant ainsi en avant les aspects violents et dévastateurs de la personnalité de cette déesse de l’Amour, mais aussi de la guerre.
Elle fait tomber malade Enkidu, qui succombera d’une terrible fièvre. Enkidu descend aux Enfers pour y chercher les insignes de royauté donnés par Inanna à Gilgamesh, que celui-ci y a laissé tomber. Enkidu est alors retenu aux Enfers, mais son esprit revient raconter à Gilgamesh ce qui se passe dans le monde des morts.

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